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Editos

Mourir avec Macron

Julien Aubert
Julien Aubert

L’approche des élections européennes a un effet excitant, délétère et déstabilisant sur la qualité du débat politique en France. Menacé d’un score inférieur à 20%, qui condamnerait le reste de son mandat, Emmanuel Macron a en effet décidé de pousser les feux au maximum pour forcer ses adversaires à lui emboiter le pas ou à prendre des positions antagonistes risquées. C’est la logique du kamikaze. 

 

Pour ses oppositions, les débats mis sur la table cristallisent des visions très caricaturales, mais malheureusement très probables, de l’avenir. Car en voulant se sauver lui-même, le président Macron révèle en réalité une vision de l’Europe, de sa société et de son avenir, proprement effrayante. 

 

La première carte jouée par le Président de la République a été l’instrumentalisation des sujets sociétaux. Il vise à mettre en difficulté les deux têtes de liste Reconquête et Les Républicains, respectivement Marion Maréchal et François-Xavier Bellamy, qui ont sur ces sujets intimes des convictions fortes. Il permet à peu de frais de passer pour progressiste et de remobiliser son électorat. 

 

Emmanuel Macron a donc débuté en faisant le choix d’inscrire dans la Constitution la garantie donnée aux femmes d’avoir recours à l’IVG. Cette inscription n’était nullement nécessaire, répondant à la décision controversée de la Cour suprême américaine de revenir sur sa jurisprudence « Wade vs Roe ». Elle était même cosmétique, puisque la Constitution n’a pas vocation à être un catalogue de « garanties ». Elle est enfin potentiellement dangereuse puisque la liberté de conscience des praticiens n’a pas été intégrée dans la formulation constitutionnelle. 

 

Malgré les oppositions, ces objections n’étaient cependant pas suffisamment puissantes pour faire dérailler le train de la réforme. Beaucoup d’élus nationaux ont malheureusement eu peur d’être caricaturés en « anti-IVG » 

 

Comme si cela ne suffisait pas, le président a ensuite annoncé qu’il voulait faire inscrire cette garantie au niveau de la Charte européenne des droits fondamentaux, dans une espèce de course à l’échalote sans fin destinée à maximiser son avantage politique. Tout ceci est un peu « petit bras » : pourquoi ne pas modifier, puisqu’on y est, la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 ou inscrire dans la Charte des Nations-Unies cette garantie ? 

 

Vous l’aurez compris. Quand Macron croit avoir trouvé un bon puits de pétrole, il creuse le plus profondément possible. Mais sans doute craintif qu’il n’y ait plus grand chose à forer sous peu, l’Élysée s’est décidé à prospecter un nouveau champ sociétalo-pétrolifère : l’euthanasie. 

 

Sujet intime, sujet sensible, sujet qui a fait l’objet en 2016 en France d’une loi équilibrée et consensuelle sur la sédation profonde, l’euthanasie vient donc d’être mise en sujet de campagne. On pourrait s’en étonner : c’est justement le genre de sujet douloureux dont il ne faut surtout pas politiser l’enjeu. Mais l’Élysée n’en a cure : on ne fait pas d’omelette strasbourgeoise sans casser quelques œufs, et s’il faut euthanasier au passage le poulailler, tant pis. 

 

Là encore, point de coïncidence dans le timing : en 2019, lors de la précédente campagne européenne, la tête de liste LR avait été mise en difficulté sur le débat concernant l’affaire Vincent Lambert, un homme plongé dans un sommeil végétatif dont le médecin avait pris la décision d'initier l'« arrêt des traitements et la sédation profonde et continue » dans la semaine du 20 mai 2019, quelques semaines avant le scrutin. Cette décision, qui avait provoqué un grand débat national, aurait coûté aux LR quelques points. 

 

Tout ceci est évidemment complètement antagoniste avec les positions passées de Macron. N’est-ce pas le même président qui, il y a encore quelques mois, parlait de « réarmer démographiquement » le pays ? Si le président avait annoncé le réarmement militaire du pays, et qu’il annonçait un grand débat sur le démantèlement du Charles-de-Gaulle ou l’inscription dans la constitution que l’on garantit l’objection de conscience à combattre pour son pays, tout le monde se dirait qu’il manque peut-être quelque chose à se mettre sous la dent, comme une stratégie positive par exemple. 

 

Tout ceci est évidemment à mettre en lien avec les autres folies wokistes qui sont en train de miner l’Occident, comme la possibilité de changer de sexe avant sa majorité. 

 

La seconde carte de Macron pour cliver le débat est l’Ukraine, son joker secret. L’Ukraine s’est révélée être une « carte gagnante » qui en 2022 lui a permis d’être réélu en s’attirant les votes d’un bloc central terrifié par l’attaque de Poutine. Il s’agit ici de mettre en difficulté le Rassemblement national, suspecté, depuis qu’il a accepté un emprunt russe, d’être « poutinophile ». En effet, la précédente élection de 2019 avait été marquée par le ralliement de Thierry Mariani au RN. Or, cet ancien ministre de Nicolas Sarkozy était vu comme pro-russe. Il s’agit aussi de cliver avec Reconquête, le parti d’Éric Zemmour, qui n’avait pas caché autrefois son admiration pour Poutine. 

 

Pour ce faire, le président Macron s’est appuyé sur un accord de coopération avec l’Ukraine, signé le 16 février dernier, qui prévoit une aide militaire, financière et même le soutien de la France à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE et l’OTAN. 

 

Un tel accord - qui est en réalité un traité d’alliance qui ne dit pas son nom - aurait dû faire l’objet d’une habilitation juridique par le Parlement au titre de l’article 53 de la Constitution. L’entrée de l’Ukraine dans l’UE est quant à elle régie par un autre article (88.5) qui prévoit justement un vote spécifique. 

 

Macron n’en a cure et a préféré violer les règles constitutionnelles (c’est bien la peine de faire la leçon à Orban !) pour faire de la communication et a donc saisi le Parlement au titre de l’article 50, c’est à dire un débat sur l’accord, suivi d’un vote. Le Parlement ne ratifie donc pas l’accord mais se prononce quelque part sur le fond. Comme pour l’IVG, voter contre, serait-ce refuser d’aider l’Ukraine ? Le piège est là car le peuple Français n’a cure des subtilités juridiques et raisonne en termes binaires. Il y aura d’un côté « les gentils » et de l’autre « les méchants ». 

 

Reste qu’il n’est pas anodin d’aller mourir pour Kiev. 

 

Comme il faut bien pour que ces pièges fonctionnent que l’opinion publique fasse le lien avec le scrutin européen, Macron a également trouvé hors de nos frontières une tête de turc - comme il l’avait fait grossièrement en 2019 - permettant d’incarner l’antithèse, pour ne pas dire l’antéchrist. Sur les sujets sociétaux, on a donc vu fleurir les anathèmes sur Viktor Orban, président de la Hongrie, lors du premier meeting de Renaissance, que la tête de liste Renaissance (le parti présidentiel) n’a pas hésité à faire voisiner dans son argumentaire avec les spectres d’Hitler et de Mussolini. Sur les sujets géopolitiques, Macron a qualifié de lâche les dirigeants européens hostiles à ses solutions, ce qui n’a pas manqué de réagir sur Olaf Scholtz, hostile à toute intervention au sol. 

 

Construire l’Europe en injuriant ses voisins, voilà qui augure mal de l’avenir. Cependant, au-delà des mots, l’instrumentalisation machiavélique des prérogatives que la Constitution concède au Président pour booster le score de Renaissance aux européennes est médiocre. Elle prêterait à sourire si elle ne dessinait pas un tableau effrayant. 

 

En tant qu’européen, je suis en effet pris de vertige. 

 

Sur les deux sujets intimes que sont l’euthanasie et l’IVG, j’ai une position de fond assez modérée : je considère qu’il s’agit d’actes sérieux et graves, mais je peux comprendre que certains y aient recours, dans la mesure où l’on ne va pas vers une banalisation. Reste que je ne veux absolument pas basculer dans une société où l’IVG et l’euthanasie répondraient non pas à un besoin individuel mais à une demande sociale. Je crois en la vie, et pas en la culture de mort. La société qu’Emmanuel Macron dessine est effrayante. L’Occident aurait il comme seul horizon de débattre de la fin ou de l’interruption de vie ? Faut-il se réjouir de n’avoir d’autres horizons qu’apaiser la souffrance ? Laisser passer les textes proposés par le gouvernement sur ces sujets n’est-ce pas entériner la lente glissade vers le meilleur des mondes d’Aldous Huxley ? 

 

Je suis frappé de voir comment les vivants - en tous les cas, ceux qui survivent et ne veulent pas mourir - n’intéressent pas Macron. Leur pouvoir d’achat en berne, leur difficulté de logement, leur sécurité compromise par les narco-trafics, leur avenir hypothéqué par la dette abyssale du pays… tout ceci ne mériterait-il pas un peu de temps parlementaire ? 

 

Sur le sujet géopolitique, là encore, l’horizon que dessine Macron, celui d’une Europe entrainée dans une guerre contre la Russie, est tout sauf rassurant. Je ne me résous pas à aller en sifflotant vers la troisième guerre mondiale. Bien entendu que la Droite ne veut pas abandonner l’Ukraine, mais il y a une différence entre secourir depuis un bateau un homme à la mer menacé par un squale et plonger dans l’eau pour affronter la bête à mains nues. N’est-ce pas folie que de laisser le président imagine une seule minute que les vies de nos soldats puissent être mises en danger pour une guerre qui n’est pas la nôtre ? 

 

En cherchant éternellement à cliver, Macron va faire disparaître toute nuance, subtilité ou modération dans les positions que l’on peut prendre sur un sujet compliqué. Voilà pourquoi puisque nous sommes sommés de choisir, je me serais opposé, si j’avais été parlementaire, aux deux pièges, sociétal et géopolitique, posés par Macron, parce que je trouve qu’ils nous poussent vers un abime civilisationnel. Ces entre-deux ne sont pas satisfaisants. 

 

Nous mettrons une génération ou deux à nous remettre du passage de ce président catastrophique. Que restera-t-il de la France en 2027 ?