Accueil recherche MENU

Monde

Israël - Iran : la guerre froide est-elle prête à se réchauffer ?

Le Dialogue

Des Iraniens tiennent des portraits du chef suprême de la République islamique, l'ayatollah Ali Khamenei, et des pancartes anti-israéliennes lors d'une manifestation de solidarité avec les Palestiniens de Gaza à Téhéran - 16 NOVEMBRE 2012 -Tehran, IRAN STR / AFP

 

Entre l’Iran et Israël une guerre plus ou moins secrète fait rage. Cette guerre, menée à coup d’opérations spéciales, espionnage, assassinats ciblés, cyber et diplomatie dure déjà depuis presque un quart de siècle. Au cœur de cette lutte qui a redessiné la géopolitique de la région se trouve la stratégie de puissance iranienne et ces deux piliers : un projet visant à doter la République islamique d’une capacité nucléaire militaire et une politique régionale agressive d’intervention et de prise de contrôle des pays voisins (Iraq, Syrie, Yémen, Liban).  Entre les deux pays rappelons qu’il n’existe aucun contentieux. Avant l’arrivée des Mollahs au pouvoir et même après Israël qui ne partage pas de frontière avec Iran n’a jamais eu de conflit territorial avec lui. Certes, Israël comme les Etats-Unis était un allié proche de l’Iran avant la chute du Shah et une certaine froideur de la part des vainqueurs vers les amis du vaincu aurait pu être compréhensible (c’est d’ailleurs le cas pour les relations toujours compliquées entre Israël et l’Afrique du Sud postapartheid). Le régime iranien a opté pour un rejet total d’Israël érigé en mal absolu et dépasse la dimension purement politique voire géopolitique de la problématique. La diabolisation d’Israël est plutôt un principe d’ordre idéologique et théologique et sert de ciment et déterminateur commun pour les soutiens du régime. Sur la scène internationale ce mythe est très utile auprès de ceux qui se voient comme les éternels opprimés de la terre et voient en Israël l’incarnation d’un Occident maléfique. Ce point, la racine quasi théologique du conflit, n’est pas sans conséquences pour l’analyse du problème nucléaire car il rend hasardeux l’établissement d’un équilibre de dissuasion. Ainsi, les rêves nucléaires du Shah d’Iran n’ont été ipso facto les cauchemars d’Israël tandis que ceux des Mollahs sont considérés comme une menace existentielle.      

Sans s’attarder sur la longue histoire de ce conflit, il suffit d’avoir pour point de départ quelques faits. Tout d’abord, il ne fait aucun doute que le projet iranien vise une capacité militaire. Aucun autre objectif peut en expliquer l’ensemble d’efforts consentis, décisions prises et actions lancées par les Iraniens dans ce domaine. Plusieurs preuves matérielles soutiennent également ce constat. Quant à la question de la définition exacte de cette capacité, la réponse est moins tranchée :  se doter de l’arme et des moyens de lancement ? maîtriser parfaitement tous les aspects (arme, vecteurs) sans « passer à l’acte » et donc rester au seuil du pouvoir nucléaire ? faire exploser un engin dans le désert ? 

Pour Israël la ligne rouge (le moment où il faudrait décider de lancer une opération militaire d’enverguer ou pas) est le statut de « puissance de seuil ». Dans les mots du général Tamir Heyman, ancien chef de renseignements militaires israéleins AMAN, le « seuil » est atteint quand on enrichi à 90% une quantité d’uranium suffisante pour la fabrication d’une seule bombe. En Israël on croit que le projet iranien n’a pas encore atteint ce point. Mais pour certains il y a une autre ligne rouge : maîtriser la technologie permettant la fabrication d’une tête nucléaire qu’on peut installer sur un lanceur longue portée. On peut donc disposer d’un prototype et le faire exploser sans pour autant avoir la capacité de l’utiliser comme arme. 

Ensuite, il y a la détermination israélienne de recourir à la force à grande échelle pour empêcher l’Iran de franchir telle ou telle ligne rouge. C’est un fait qu’Israël travaille depuis plus de vingt ans pour construire une option militaire vue par les Iraniens (et le reste du monde) comme crédible. Les différentes armes ont été dotées des systèmes, moyens humains et doctrines. La panification – un travail perpétuel car il faut mettre à jour les plans très souvent – et l’entraînement – un effort lui aussi perpétuel – en vue d’une opération d’envergure continuent. Les décideurs font des simulations. Il est donc probable que les Iraniens croient que Israël a la volonté et la capacité de frapper fort au moment jugé nécessaire et opportun. Plus largement, cette menace israélienne crédible est le revolver que tout ceux qui négocient avec l’Iran pose métaphoriquement sur la table. Le fait que les Iraniens ont consenti en 2015 à signer un accord est donc à attribuer aussi à cette menace. 

Quant aux Etats-Unis, leur position est plus ambiguë malgré des formules fortes. Pas sûr non plus que leur définition de ligne rouge corresponde à celle d’Israël ou que leurs services soient d’accord avec leurs homologues israéliens sur l’état réel du projet iranien. Le renseignement est un mélange d’art, de science… et de politique. 

Enfin, que peut faire Israël seul ? Difficile à donner une réponse à cette question sans connaître ni le projet iranien et ses points faibles ni les rouages d’un Etat et d’un régime dont les points névralgiques figureraient probablement sur la liste de cibles à frapper. Donc ce qu’on peut dégager du débat autour de la question en Israël est : si le régime ne s’écroule pas, une opération réussie pourraient faire gagner quelques années, le temps nécessaire aux Iraniens pour reconstruire et reprendre le projet au point où il a été interrompu. En revanche, si les Etats-Unis s’en mêlent et l’opération spéciale devient guerre c’est une autre histoire et l’Iran va perdre l’intégralité de son infrastructure, ses moyens militaires, ses communications, ses centres de décision ainsi que les biens privés et intérêts économique de sa nomenclature. Ainsi la véritable menace est la suivante : une opération israélienne entrainant l’intervention américaine (soutenue par l’Arabie saoudite et les Emirats) avec comme conséquences immédiates la paralysie de l’Etat, de l’Armée et des Gardiens de la révolution et ensuite la chute du régime incapable de se défendre. 

Aujourd’hui cette menace est encore plus crédible. Tout d’abord, après six mois de protestation le peuple iranien semble plus prêt que jamais à se débarrasser de ce régime qui l’étouffe et on peut imaginer que nombreux seraient ceux qui profiteraient de la destruction des casernes, commissariats, routes, ponts et dépôt de carburants pour prendre le contrôle des villes et villages isolés par la destruction et l’incapacité du gouvernement central, attaqué sans cesse par les Américains et leurs alliés, d’intervenir. Mais ce n’est pas tout. 

La répression féroce de la protestation et les exécutions capitales qui s’enchainent rendent le régime de Mollahs odieux auprès des opinions publiques mondiales. Et l’alliance entre l’Iran et la Russie et le soutien de Téhéran à l’armée russe en Ukraine ne font que renforcer la dégradation de l’image du régime iranien. Aujourd’hui, une opération israélienne pourrait être vue comme une délivrance pour les Iraniens opprimés et une aide à l’Ukraine et donc à l’OTAN et un moyen d’affaiblir la Russie d’abord et la Chine ensuite. 

Enfin, l’échec des négociations entre l’Iran est les Etats-Unis pour conclure un nouvel accord à la place de celui déchiré par Trump semble aujourd’hui être quasi unanimement imputé à Téhéran, sa mauvaise volonté et ses mauvaises intentions. Cette attitude iranienne a largement effacé le crédit dont Téhéran jouissait en tant que victime de la politique brutale et unilatérale de Trump. 

Si on rajoute la chute du prix de ses exportations (la Russie lui fait concurrence dans le marché noir auprès des acheteurs en Inde, Chine et ailleurs), la conclusion est que l’Iran est aujourd’hui dans une situation de très grande fragilité aggravée par la radicalisation de l’élite dirigeante. Cette situation incite plutôt à attendre une révolution venue de l’intérieur mais dans le cas où l’Iran pousse le bouchon trop loin, elle assure un contexte pas trop mal pour une intervention extérieure musclée.