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Monde

La longue guerre d’Ukraine et les mutations internationales

Le Dialogue

Le 24 février 2023,  la guerre d’Ukraine a célébré  son premier  anniversaire alors qu’elle donne l’impression  de trainer en longueur. Elle n’annonce  aucune fin  prévisible  qu’elle pourrait être inscrite dans le  cadre des « guerres longues » qui  durent pour des mois et des années. Son bilan économique et humain  est très lourd,  elle impacte gravement les parties belligérantes et l’équilibre des forces dans le monde. Cette idée  est l’échine dorsale du rapport  publié par  la dernière  conférence de Munich  sur la sécurité  qui  a mis l’accent  sur les crises mondiales engendrées par cette guerre,  au  niveau de l’énergie, de l’alimentation sans compter l’inflation.

La guerre en  Ukraine  a dissipé les enjeux stratégiques  majeurs de la Russie  et de l’Occident; La première  ne réalisera pas son  objectif de remporter une victoire  décisive et rapide ou que le monde occidental ne soutienne pas l’Ukraine pour longtemps  ni  ne lui livre ses armes spécifiques les plus sophistiqués; et le second  ne gagnera pas son  pari que la Russie n’adresse aucune riposte militaire à l’extension  de l’OTAN vers l’est ou qu’elle fléchisse sous le coup du  plus grand fardeau de sanctions économiques occidentales. C’est ainsi que cette guerre est devenue une guerre d’usure réciproque.

.En  fait,  du point de vue  géopolitique la guerre d’Ukraine semble être une guerre régionale restreinte;  néanmoins elle est mondiale par le nombre des Etats qui  y  prennent part, leur fourniture d’armes, de formation et d’informations  propres aux services de renseignements  ainsi que par son  large éventail  d’impacts  sur les différents pays du  monde.

Cette guerre a provoqué des mutations profondes dans les idées et les politiques qui auront des effets à long terme dans l’appréhension des relations internationales. On  en cite à  titre d’exemple : l’approfondissement du rapprochement russo-chinois,  la confirmation  de l’extension  de l’emprise américaine sur l’OTAN et les questions de la sécurité  européenne, l’abandon de la politique de la neutralité par la Suède et la Finlande  et l’approbation donnée par l’OTAN pour qu’elles y adhérent, l’afflux de l’armement vers l’Ukraine  et l’aggravation  du risque de naissance d’un  marché noir de trafic d’armes en  Europe ainsi que la prolifération  des organisations terroristes qui  trouveront  dans la scène ukrainienne le terreau fertile pour l’entraînement et l’achat  d’armes,  de plus de l’importance grandissante du  vote des Etats du sud à l’ Assemblée  générale des Nations Unis.  Je me propose,  dans cet article,  de  jeter la lumière sur trois évolutions importantes.

Primo  la croissance des dépenses militaires dans les pays occidentaux qui a mené  à  une militarisation  du monde. Selon la dernière version du  rapport annuel intitulé « l’équilibre stratégique » publié par l’institut international  des études stratégiques à  Londres, la fréquence  de la dépense militaire  a augmenté  en  2022 : viennent en  tête de liste les Etats Unis ( 38% du  total des dépenses), suivis par la Chine (15,6%)  et la Russie (13,3%).

Le Royaume Uni,  la France et l’Allemagne figurent sur la liste des dix Etats  ayant effectué les dépenses les plus colossales à ce propos. En  outre, l’Allemagne et le Japon  ont déclaré  entreprendre des plans ambitieux  visant la croissance de leurs dépenses militaires et la modernisation  de leur armement. Toutes ces tendances sont allées de pair avec la militarisation  du pôle nord.

Secundo, la remise en  cause de ce credo  qui s’est propagé  au lendemain de la guerre froide selon  lequel  le monde est passé  du stade de la « géopolitique » à la « géo-économie » ainsi que l’intensification de la dépendance économique  mutuelle entre les pays  et l’existence  d’intérêts communs entre eux  ont mené, par conséquence, à un  bannissement des conflits et des guerres, En  fait, les Etats   de l’Union européenne  dépendent davantage des sources d’énergie  russes  et réciproquement la Russie  repose davantage sur l’Occident en  tant que source de la technologie  avancée et du financement. Nonobstant, cette interdépendance n’a pas généré de compréhension américaine et européenne des appréhensions sécuritaires de Moscou. En  contrepartie, Cette situation n’a pas retenu Moscou  de déclencher la guerre contre l’Ukraine.  

Le chaînon  manquant ici est de devoir nous rendre compte que l’augmentation des intérêts économiques communs  n’annihile aucunement les vestiges de l’histoire, du nationalisme, de la culture et de l’idéologie  ni n’estompe  les différences entre les divers régimes et leurs orientations politiques. Peut-être plusieurs analystes occidentaux  ont –ils passé  sous silence  le sentiment profond qu’éprouve l’élite russe au  pouvoir que son pays d’aujourd’hui  n’est que la prolongation de la Russie historique et du  patrimoine de l’empire russe du  dix-huitième et dix-neuvième siècles et que le président Poutine et ses compagnons conçoivent  la « Russie historique » en  tant qu’entité  culturelle et existentielle durable malgré  le changement des dénominations et des situations légales et politiques ;  comme ils ne se montrent  pas compatissant pour comprendre le sentiment d’humiliation qu’ils éprouvent  en  raison de l’émiettement de l’Union Soviétique.

Tertio la régression graduelle de l’utilisation  du dollar  américain  qui est le principe de toutes les transactions commerciales mondiales. Les retombées de la guerre ont illustré l’utilisation  commerciale du  dollar par Washington  et l’Occident  en  tant qu’outil politique ;  il  s’ensuivit l’exclusion de la Russie du système Swift,  créé en  1973, et qui consiste en  la norme de fixation  du  prix de change du  dollar dans les transactions commerciales entre les Etats.

 Cet  état des lieux a  stimulé un  certain nombre  de pays à   utiliser les devises nationales comme base de toutes les transactions commerciales sans avoir besoin  d’utiliser le dollar.  Maintes fois, cette idée  a  été proposée,  en  vain, aux Etats du sud  par la Russie et Pékin  . Maintenant, plusieurs pays ont accepté l’idée dont l’organisation de coopération de Shanghai  qui regroupe la Chine,  la Russie, Kazakhstan, Kirghizstan, Tākestān et Ouzbékistan  qui, en septembre  2022, a approuvé l’utilisation de leurs monnaies nationales dans leurs transactions réciproques. D’autres pays comme le Brésil ,  l’Afrique du Sud,  l’Inde,  et l’Iran ont appliqué  ce principe avec Moscou et Pékin ;  alors que l’Arabie Saoudite  s’est contenté d’entretenir  de telles transactions avec la Chine, Le bruit  court que des entretiens auront lieu  entre l’Egypte et la Russie  à ce même sujet.

En  somme, plus la guerre durera en Ukraine, plus ses répercussions  s’étendront et s’ancreront davantage dans le temps et l’espace.