Accueil recherche MENU

Editos

Le plan de la Chine pour l’Ukraine… et le monde !

Le Dialogue

Habituellement plutôt discrète – mais non moins active en coulisse – dans les crises internationales loin de sa zone d’influence, la puissance chinoise a exposé à la Russie, il y a quelques semaines, sa vision pour le « règlement politique » de la guerre en Ukraine. Est-elle la clé de la résolution du conflit et ses objectifs ne sont-ils pas plus globaux ?

 

Cela fait donc plus d’un an que la guerre fait rage en Ukraine après l’invasion russe du 24 février 2022. Depuis, ce pays est devenu la plateforme de combat de l’OTAN contre la Russie, visant à l'anéantissement de la Russie elle-même.

En effet, avec le retour aux commandes des Démocrates à Washington et la vieille stratégie antirusse « brzezińskienne » la plus virulente, les tensions diplomatiques ont donc connu un regain inquiétant entre la Russie et les États-Unis avec pour principal théâtre, l’Ukraine. Pour certains stratèges américains, la Russie de Poutine est le Croque-mitaine parfait, bien moins puissante et dangereuse que la Chine… Pour d’autres, plus influents peut-être, la Russie est le meilleur moyen de détourner justement la pression contre la Chine qui par sa finance prédatrice a déjà pris en otage la majorité des économies occidentales. Certains puissants soutiens de Biden, pour des questions de simples conflits d’intérêts personnels, ne veulent pas par ailleurs d’une poursuite de la grande guerre économique (et encore moins d’un conflit armé comme certains le croient) avec Pékin initiée par Trump…

Or, cette politique antirusse est, d’un point de vue strictement objectif, totalement absurde. Car pour les États-Unis, la seule et véritable puissance qui menace leur suprématie mondiale dans l’économie, le commerce, l’influence et le militaire, est la Chine et non la Russie. Et au contraire, une stratégie américaine censée aurait été en toute logique un partenariat voire une alliance avec Moscou contre Pékin. Trump, ses généraux et surtout son habile Secrétaire d’État, Mike Pompeo, l’avaient, eux, bien compris. C’est pourquoi ils avaient tenté, en dépit du blocage de l’État profond étasunien, une normalisation des relations avec Poutine, dans la droite ligne de l’ancienne et efficace stratégie du réaliste Kissinger, visant toujours à séparer Pékin et Moscou.

Au lieu de cela, à cause du conflit en Ukraine et les nouvelles séries de sanctions commerciales occidentales contre Moscou, l’administration Biden n’a fait que pousser toujours un peu plus la Russie dans les bras de la Chine, créant ainsi un véritable front oriental uni en Asie et à présent en Ukraine… 

 

Pékin à la rescousse de Poutine ?

Habituellement, l’Empire du milieu restait jusqu’ici plutôt distant – mais non moins actif en coulisse – des crises internationales loin de sa zone d’influence, préférant, méthodiquement et discrètement, tisser la toile de son hégémonie financière mondiale. 

En mars 2014, Pékin n’avait pas voulu reconnaître l’annexion de la Crimée. Or, à présent, elle condamne officiellement la prétention américaine à vouloir étendre l’OTAN au territoire ukrainien (subtil moyen de faire aux Occidentaux, un rappel et un parallèle subliminaux avec Taïwan) et surtout, depuis un an, la Chine a exprimé plusieurs fois son soutien, certes soigneusement dosé et prudent, à la Russie. Profitant au passage des sanctions occidentales qui ont obligé Moscou à se tourner de plus en plus vers elle (approvisionnement en hydrocarbures russes à prix cassé, explosion des échanges, reprise des entreprises occidentales abandonnées par les Européens et les Américains…), la Chine serait même, selon certains, en train de « vassaliser » la Russie…

En attendant, les Russes – faisant encore et toujours face à la résistance ukrainienne et son époustouflant et efficace soutien otanien (près de 100 milliards de dollars d’aides militaires et autres, supervision des opérations, équipements et armes ultramodernes, renseignements et nombreux « mercenaires »/« conseillers » occidentaux) – occupent toujours plus de 20% du territoire ukrainien et sont même en train de grignoter patiemment les défenses ukrainiennes notamment autour de Bakhmout. Et la situation ne faiblit pas en intensité.

C’est dans ce contexte, et alors que les Américains ont depuis longtemps exclu, voire saboter, toute solution diplomatique dans la guerre en Ukraine, que les Chinois pointent de plus en plus le bout de leur nez dans le conflit…

Fin février, c’était un plan de « paix » dévoilé par Pékin. Celui-ci représente sa première intervention marquante dans les affaires européennes. Plutôt favorable pour les Russes, il prévoit la fin des hostilités (soit l’arrêt des combats sur les lignes actuelles et donc le maintien des Russes sur le territoire ukrainien déjà et toujours conquis, avant d’engager les pourparlers) ainsi que la levée des sanctions contre Moscou. De même, il comporte des considérations humanitaires (échanges de prisonniers et protection des civils), et aussi une clause du respect de la souveraineté des États et de leur intégrité territoriale, la libre exportation des céréales, la reconstruction du pays et l’abandon de toute menace nucléaire, points les plus favorables à l’Ukraine. Kiev, sans opposer un refus catégorique, a manifesté sa satisfaction de voir les Chinois tenter de jouer les médiateurs et prendre un peu de distance par rapport aux positions russes. Sans être la clé de la solution, l’Empire du milieu en sera un des garants, du fait notamment de son rôle au Conseil de sécurité. D’autant plus, que les Chinois disposent de moyens d’influence, sinon de pression, sur les Russes. De fait, la Chine endosse ainsi un nouveau rôle mondial toujours plus prégnant (on l’a vu également dernièrement avec la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie saoudite sous l’égide de Pékin !).

La dernière visite d’État de Xi Jinping au chef du Kremlin, il y a quelques jours, fut hautement symbolique mais pas que. Elle a d’abord consacré le renforcement des liens entre les deux dirigeants. Certes la Chine ne livrera pas massivement – et surtout officiellement – des systèmes d’armes importants à la Russie, mais Poutine s’est déclaré très attentif à la proposition chinoise de médiation et de paix…

Alors pourquoi cette initiative chinoise ? Tout d’abord soyons clair : les Chinois se contrefichent de l’avenir de l’Ukraine ! Ce qui les importe par-dessus tout, c’est d’abord leur rivalité contre les Américains pour la future domination mondiale !

 

Les plans de la future puissance hégémonique chinoise

Il faut d’abord comprendre que même dans les États les plus autoritaires et centralisés, il y a aussi et toujours des divergences de stratégies à adopter à l’extérieur. Pour la Chine en l’occurrence, il y a deux visions pour « la conquête du monde » qui s’opposent. La première, minoritaire dans l’establishment chinois, est celle de laisser les puissances rivales occidentales, à savoir les États-Unis, l’Europe mais également la Russie, s’écharper quitte à les laisser s’autodétruire dans un conflit armé. Trop hasardeux et dangereux pour la tendance majoritaire au pouvoir à Pékin, plus prudente, pour qui les États-Unis et l’Occident en général, sont déjà sur le déclin. Pour ces stratèges chinois, la puissance américaine et l’Union européenne, confrontés à des crises économiques mais également culturelles (wokisme), identitaires, existentielles, civilisationnelles majeures et n’ayant pas le courage ni la volonté d’endiguer les crises migratoires, sont en train de « pourrir de l’intérieur » et vont s’écrouler sur elles-mêmes à cause de leurs élites faibles et corrompus. Ce n’est juste qu’une question de temps. Or, en attendant, il faut privilégier le business tout en continuant à mettre sous leur influence les économies occidentales voire mondiales. Et pour cela, les guerres ne sont pas les bienvenues. Ses échanges avec les États-Unis restent 4 fois plus importants (800 milliards de dollars) et 3 fois plus importants avec l’Europe (600 milliards de dollars) qu’avec la Russie (200 milliards de dollars), et elle craint de nouvelles sanctions. Pékin s’inquiète donc d’une grave dégradation (nucléaire ?) préjudiciable à son hégémonie mondiale toujours croissante et a fortiori inéluctable. Au passage, toujours sans tirer un seul coup de feu ! Car comme l’écrivait Sun Tzu : « Le meilleur savoir-faire n’est pas de gagner cent victoires dans cent batailles, mais plutôt de vaincre l’ennemi sans combattre » !

 

Pour l’heure, dans ce nouveau monde multipolaire, la Chine est en train, patiemment mais sûrement, de prendre le leadership chez les puissances émergentes et ce fameux « Sud global » où le dénominateur commun est une hostilité irréversible à cet « Occident décadent ».

 

Pékin est par ailleurs consciente qu’elle peut s’appuyer sur son extraordinaire puissance financière, ses lobbies, son influence et surtout sa présence de plus en plus flagrante dans les économies américaine et occidentales, pour calmer toutes les velléités de ses adversaires à la fois contre elle-même mais aussi à l’encontre de ses alliés, comme ici avec la Russie dans l’affaire ukrainienne.

Certains experts rappellent qu’avec le niveau de puissance qu’elle a atteint, la Chine peut déjà influencer la politique de plus de quatre-vingts pays sur la planète ! Ainsi, notamment avec ses investissements massifs et ses rachats de dettes d’État, Pékin peut s’acheter n’importe quel vassal ou débiteur politique dans le monde mais également en Europe. 

Il ne serait alors pas étonnant de voir un changement de discours de la part de certains gouvernements européens pourtant des plus atlantistes mais déjà fortement dépendants de la Chine. Peut-être même du côté de Washington… Signe des temps, le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, a d’ailleurs commencé à déclarer qu’il était favorable à toute initiative diplomatique en vue d'« une paix juste et durable » tout en mettant en priorité la préservation de « la souveraineté et l'intégrité territoriale » de l'Ukraine. Pour l’instant…

Toutes les guerres prennent fin un jour. Lorsque les Américains le décideront, forts de leurs succès à court terme (mise sous tutelle définitive d’une Europe « coupée » durablement de la Russie, vente de leurs armes et de leur gaz au prix fort sur le Vieux continent…) mais réalisant, pour le long terme, le désastre de leur stratégie globale face à la Chine, ils autoriseront enfin Zelensky à négocier. Poutine et les Russes n’auront alors atteint que 70% de leurs objectifs initiaux, mais en occupant toujours un cinquième du territoire ukrainien. Certes, la Russie sortira assurément affaiblie. Or, grâce à ses extraordinaires ressources naturelles et comme elle l’a maintes fois prouvé à travers l’histoire, elle s’en remettra. La Chine sera de toute évidence la grande gagnante, plaçant inexorablement ses pièces pour le futur Siècle chinois. Les Européens, eux, seront encore les éternels dindons de la farce. Quant au peuple ukrainien, malheureusement il n’aura été au final que le grand sacrifié de ce nouveau Grand Jeu planétaire…