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Soudan

Le havre de paix L’Egypte face aux réfugiés soudanais : entre « devoir fraternel » et « responsabilité internationale »

Le Dialogue

Lorsque les territoires de ses pays voisins  sont  en danger, que leurs citoyens passent par  de  lourdes épreuves ou  souffrent des horreurs de la guerre,  l’Egypte ne reconnaît  pas de frontières  et s’empresse  de leur offrir le  havre  de paix  qu’elle a toujours été  de longue  date.  Son pays fut l’hôte des Syriens, des Irakiens , des Khaleejis,  des Yéménites, des Soudanais  et des dizaines de milliers d’Africains. C’est  dans ce sillon  que l’Egypte a  ouvert des points  de passage aux Soudanais, comme signe de solidarité  avec ce peuple qui  endure des conditions catastrophiques du  fait du  combat  qui fait  rage  entre l’armée et les Forces de Soutien  Rapide (FSR)  et conçu par l’Egypte comme  une affaire interne  où elle ne doit pas intervenir pour prendre parti  d’aucun des deux belligérants.  Toutefois, elle essaye de rapprocher entre les deux adversaires dans l’intérêt  du peuple soudanais  et de la stabilité  de  la région toute entière. Il  va sans dire que le gouvernement égyptien s’est proposé –depuis le  premier éclatement  de cette guerre-  d’assumer la responsabilité première de  faire rentrer chez eux -  sains et saufs-   les Egyptiens expatriés  et la brigade  militaire égyptienne qui  était-  avant la déclaration  des hostilités  et en vertu  d’un protocole de coopération  militaire- en mission commune de  formation  avec l’armée soudanaise. Il a réussi   jusqu’au 27  avril  dernier à évacuer 5327  membres de la communauté égyptienne au  Soudan  sans compter environ 16  milles autres ressortissants d’autres nationalités. En fait, la communauté  égyptienne au Soudan  compte près de dix milles personnes,  Le  nombre des réfugiés et des demandeurs d’asile soudanais en  Egypte- jusqu’à  fin  avril dernier- compte 111  milles personnes selon le Haut-Commissariat  des Réfugiés.  De sa part,  l’Organisation  Internationale pour les Migrations  évalue  à près de 4 millions le nombre des Soudanais détenant le statut de résidents  permanents en Egypte  soit 10%  environ de la population globale du Soudan  et qui  jouissent du droit de propriété,  du  transport, du travail  et de l’exercice d’une activité  économique privée. Le nombre  de demandeurs d’asile monte de quelques centaines toutes les heures. 

Cette vague  déferlante de Soudanais fuyant  l’enfer  de la guerre  et qui n’a cessé de s’enfler dans ce court lap de temps depuis la mi-avril n’a fait  que semer -  indubitablement- la confusion dans  les points de passage  terrestres  au sujet  du  recensement du  nombre des réfugiés et des informations les concernant;  surtout qu’existe un manque  des équipements  d’hébergement et de séjour  du côté soudanais des frontières communes. Il  est donc impératif qu’une coopération s’impose entre les organismes du secteur  bénévole  et les organisations de secours humanitaire et sanitaire  en  vue de  favoriser de  meilleurs conditions d’hébergement  du côté soudanais  dont les fournitures d’eau  potable,  de nourriture,  de  médicaments, de  tentes et  de toilettes portable afin  d’éviter les problèmes liées à l’entassement des personnes et de  limiter la propagation  des maladies entre les demandeurs d’asile. Les efforts de secours butent actuellement  contre  un certain  nombre  d’obstacles au  lendemain  de  l’évacuation de dizaines d’employés du Programme Alimentaire Mondial,  de la mission des Nations Unies et de la Croix-Rouge :  le besoin se fait  sentir de coordonner les efforts  des demandeurs d’asile alors que l’anarchie sévit  à  Khartoum après  l’évasion des détenus  des prisons soudanaises. Il  convient  donc de prendre les mesures nécessaires afin  que les criminels et les éléments terroristes ne  s’alignent pas aux demandeurs d’asile  pour constituer un  danger extrême  à la sécurité nationale égyptienne  susceptible de s’ajouter  aux autres complications de la situation  au  sud de la Libye.

Si,  mue par un sentiment  de  solidarité, l’Egypte  ouvre largement  ses portes pour  accueillir ses frères des autres pays, il incombe  qu’une telle  démarche soit  soutenue sur les deux plans régional  et  international afin  qu’elle  acquière la force  convenable  à cette époque  où l’Egypte  souffre d’une  crise économique. A ce  titre, il faut  signaler  que les habitants d’Assouan  et des villages de  la Nubie  accueillent chez eux des réfugiés  soudanais et leur offrent tout type d’assistance possible. Pourtant cette générosité égyptienne  s’avérerait difficile  au cas  où les combats intermittents se poursuivraient  au  Soudan surtout  dans l’Etat de Khartoum qui  absorbe- à lui seul- près du tiers de la population  soudanaise.  Et si  un  grand nombre de  Soudanais ont  pris le chemin  d’autres subdivisions administratives du  Soudan, il  faut reconnaître que la majorité  de ces  déplacés  souffre de  conditions de  vie effroyables  qui  n’ont de cesse  d’empirer de  jour  en jour au point que  la nécessité s’impose  de  les inscrire sur les listes de demandeurs d’asile probables  qui cherchent  à  l’avoir dans d’autres pays.  Si  les organisations  des migrations évaluent à un million  de  personnes le nombre  de réfugiés  qui ont  fui  la guerre des généraux et  des seigneurs de la guerre  en direction  des pays voisins, il  faut dire qu’ils souffrent  -  dans leur grande  majorité  et exception  faite de l’Egypte-  d’un déséquilibre  sécuritaire et  politique. Cependant  il faut  avouer  que la conjoncture économique égyptienne laisse à  désirer  de manière  à  rendre impérieux  une  complémentarité  des efforts de secours et d’hébergement  des réfugiés par tous les pays  voisins  dont l’Egypte. A  cet effet , il  importe de  signaler que les Nations Unies souffrent actuellement d’une  pénurie  de ressources de secours et des aides humanitaires  d’une valeur  de  1,5 milliards de  dollars :  c’est pourquoi  le financement  disponible de  la part  des  organisations des Nations Unies ne  couvre  -  jusqu’à nos  jours -  que 14% des besoins  urgents. 

 

L’alignement autour de l’Etat 

La fuite de la guerre  soit  par  le déplacement  vers d’autres subdivisions administratives relativement  calmes  tels l’Etat  de la Mer Rouge,  l’Etat du  nord  ou  à  travers les frontières communes du  Soudan avec les sept  pays  limitrophes : l’Egypte, le Sud-Soudan, l’Erythrée, l’Ethiopie, l’Afrique Centrale, le Tchad et la Libye  n’est  que le  début  d’un nouvel  alignement  militaire, politique  et  social du Soudan  autour  de trois  principaux axes: l’Etat, la tribu, les mouvements armés  et les  forces politiques civiles. En  ce qui concerne le premier  axe qui  dépasse en importance les trois autres,  de  gros efforts sont fournis  en  vue d’unifier la volonté de l’armée  et  des forces de sécurité  face aux Forces de Soutien  Rapide (FSR) ;  sur le terrain  les forces armées jouissent de la suprématie du  point de  vue des armes et  de la logistique ;  elles disposent de forces aériennes, de  l’armée  lourde et de la capacité à  assurer  la coordination  des opérations  entre les diverses  armées.  Cette  importance va en s’amplifiant avec le stationnement des FSR à la capitale, Khartoum,  qui  est de  nature  à les priver de  leur avantage comparatif  principal par  rapport  à l’armée au niveau de la guerre des rues  et de leur  imposer  une guerre de  défense des positions.  Par contre, cet état  des faits accorde aux  forces armées une supériorité supplémentaire  grâce  à leur pouvoir à  lancer des  raids aériens,  d’utiliser les chars et  l’armée lourde  en  vue d’isoler les positions des FSR,  de  ratisser les quartiers et les îlots urbains  en  vue d’exterminer ces forces  qui -  de  par  leur nature-  manquent  de capacité à défendre leurs positions ou à  assurer  une coordination opérationnelle entre les diverses armées  et  ne sont  entraînées qu’à la fuite,  au pillage,  au  brigandage  et  au  lancement d’attaques en  petits  groupes. Il est  certain  que des parties régionales ont  intérêt à  développer cet alignement  autour de l’Etat  comme  il y  en  a d’autres qui  nourrissent  leurs intérêts  à  renforcer  les groupes armées  non gouvernementaux  ainsi  que les tendances tribales. Et,  si jamais   la guerre au  Soudan se poursuit  jusqu’au  bout, le  Khartoum ne   deviendra qu’un  amas de  décombres  à cause des raids  aériens et  de l’usage  des chars et  des armes lourdes.

 

Du  soufisme  aux armes

Le  soudan a une structure  sociale mosaïque où sont mis en  relief des conglomérats de  tribus arabes face aux  tribus africaines,  les zones urbaines versus les villages ruraux, les localités nomades où le pâturage constitue  l’activité économique  clé  d’une part et le  désert  et  la nature  aride  d’autre part, l’Orient  contre l’Occident  et  les mouvements soufis avec leurs diverses ramifications politiques à l’opposé des groupes armés.  L’histoire  contemporaine du  Soudan   est  porteuse  d’un élément  nouveau :  les nouvelles forces politiques tribales  ont tendance  à  se former  des arrières militaires  afin  qu’ils leur servent  de  bras armé  aussi  bien en  temps de défense  ou d’attaque  militaire  alors que les mouvements soufis  constituaient l’arrière populaire des organisations politiques au  temps de  l’occupation britannique   et  au  cours de la période  post- indépendance et  jusqu’à l’accession  au  pouvoir de  Gaafar  Nemeyri. On compte aujourd’hui  au  Soudan près  de  80 mouvements politiques armés dont la plupart se trouvent  à Darfour : il  n’existe pratiquement  pas aucune  force politique à  Darfour  qui n’ait pas  son  propre arrière  militaire.  De plus,  ces mouvements armés  sont répandus  presque dans les quatre  coins du Soudan;  ils se  nourrissent des différends et des conflits d’intérêts  entre les tribus. Si  la guerre actuelle  continue de  la sorte,  le reste du  Soudan  sera candidat à  une fissure en  plusieurs petits Etats  dont le Darfour.  Les FSR étaient  nées en  2003  à Darfour  en  vertu du  décret  émis par l’ancien président Omar  El- Béchir .  Elles comptaient  davantage sur les tribus arabes vis à  vis des tribus africaines. Etant l’une des deux parties belligérantes de  la guerre contemporaine,  ces forces sont  susceptibles de ressusciter le  conflit entre les Arabes et les Africains au  Soudan  d’autant plus que l’Etat  est  faible et  ne  dispose pratiquement  pas  d’aucun pouvoir  partout  dans le Soudan  dont  à la capitale Khartoum.

Le  mouvement politique civil  qui  était à la tête  de la révolution  en 2019  est  devenu un  simple  spectateur qui  se contente  d’émettre des communiqués qui  exhortent  les forces belligérantes  à mettre un terme au  combat,  de retourner  à la table  des négociations,  de chercher à  exécuter  le cadre  politique du  processus de transition  qui vise  à  désarmer la politique  et de  remettre le pouvoir  aux civils. Le combat  déclenché  entre les militaires n’a fait que faire régresser  le Soudan de  quelques décennies ;  en outre,  il a transmuté  les forces politiques, d’artisan des événements en simples spectateurs d’aucune force ou  pouvoir. La guerre- surtout  à  Khartoum- a ruiné  la politique qui  ne fait qu’émettre des communiqués  débiles. Le  combat actuel  n’a fait  que détourner l’attention  de la communauté  internationale    de  manière  à  ce qu’elle  ne  cherche plus à  démocratiser  le pays mais à se  diriger  dans le sens d’un  arrêt du combat  et  d’une normalisation  de   la  vie   quotidienne. Actuellement, les forces civiles ne  seront  pas  en mesure  de rivaliser  avec les militaires  sur les champs  d’influence  politique à  moins que les deux volontés  régionale et  internationale agissent- à l’unisson  avec la troisième volonté locale- en  vue  d’avoir une détermination  unie  en  vue d’écarter  le  conflit militaire  du  paysage politique  et de  lier le processus de reconstruction politique et économique, qui aura lieu après la guerre, à la démocratisation sur  une  large envergure où les forces civiles joueront  un  rôle clé. 

 

La méfiance et le  conflit  zéro

Actuellement, la  gravité  de  la situation  sécuritaire  au Soudan  ne revient  pas au combat qui  se déroule entre les forces armées  et  les FSR-   qui sont des forces quasi-  régulières qui constituent  une partie  intégrante de la structure militaire  de  l’Etat aux côtés  des forces armées et  de sécurité- mais  à la méfiance  de chacune des deux parties à l’égard de  l’autre  au point  de  vouloir s’anéantir réciproquement. C’est pourquoi  les deux belligérants  manifestent  un faible engagement  vis à  vis des conventions de  trêve et tentent  d’en  abuser en  vue  de modifier les lignes de démarcation du cessez-le-feu  en  vue de  s’acquérir  davantage de force  et  d’affaiblir chacun son  adversaire.  En outre chacun  des  deux généraux El  Burhan  et Dogolo refuse  de  négocier avec  l’autre  que d’une position  de force qui permet au  plus  fort de  dicter  ses conditions au plus faible. Aux dires du Dr. Abdallah Hamdok,   le premier ministre soudanais renversé par l’arme  en octobre  2021, si  le combat persiste,  l’avenir  du Soudan  sera pire  que celui  de  la Libye, du  Yémen  ou de  la Syrie. 

 

Une double volonté sur les deux plans international et régional

Il  est à noter que les opérations d’évacuation des communautés  étrangères et le  transport des membres des  corps diplomatiques ont  révélé - ces derniers jours-  de nouveaux aspects dans la relation de  cette région  avec le monde.  Abstraction  faite de l’acharnement de tous les pays du monde à  assurer l’évacuation de leurs ressortissants du  Soudan  pour éviter en  sorte  que le situation  s’empire,  une telle détermination a démontré un  changement dans le type des relations  régionales et internationales.  C’est le rôle joué par  l’Arabie  Saoudite au sujet  de l’évacuation  des ressortissants des autres pays  et de leurs missions diplomatiques  qui  a marqué le changement  majeur : les navires saoudiens  ont  eu la part de lion- après organisation  avec les autorités  de leurs pays respectifs- dans le transport  des réfugiés qui  fuyaient les horreurs du  combat  au Soudan  via le  port de Djeddah et à  destination  de  leurs pays. Il est  à noter,  à ce  propos ,  que les ressortissants de la Chine et  de l’Iran y ont  joui  d’un très  grand  intérêt. Il s’avère  donc que l’attention  internationale accordée  au Soudan  ne découle pas de  la volonté d’épargner  les pertes causées par  le combat  mais de  celle d’ancrer  de nouvelles positions diplomatiques en Afrique  qui  constitue actuellement le  champ  d’une guerre d’influence entre les forces traditionnelles  telles les Etats Unis, le  Royaume  Uni et  la France et  des forces nouvelles comme  la Chine, la Russie  et l’Arabie  Saoudite. Et,  quoi qu’un  accord de  cessez-le-feu ait été conclu  entre les diverses parties, il  n’est pas porteur du  même sens pour  tous. La déclaration  faite par  le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov  au  sujet de la légitimité  du  recours du Soudan au groupe paramilitaire Wagner  ne  fait que révéler  l’ambiguïté  de l’appel à un  cessez-le-feu  avant que ne se  cristallise  une situation politique  claire qui adviendrait à la fin  de  ces hostilités. Les deux  volontés régionale et  internationale  ne se recoupant pas,  la situation des forces politiques civiles étant faible  et les deux généraux adoptant  chacun  une conception  d’une  équation à produit  nul  du  conflit imposant  ou sa  présence  ou celle  de  son adversaire, il  est  indubitable que le conflit sera long autant  que  d’autres conflits dans la région  qui persistent sans  laisser  entrevoir d’issue  tels les conflits en  Libye, en  Syrie et  au Yémen. Enfin, la guerre au Soudan  se  pérennisera et  ne  fera pas  l’exception  dans la région.