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Editos

Les métamorphoses d’Adonis

Le Dialogue

Je ne l’avais jamais rencontré jusqu’à  ce jour  où  je l’ai  invité à mon  bureau à Paris à  une petite réception  en son  honneur pour faire sa connaissance. C’était il y a six  mois  ou presque. Y  étaient  nombre de ses anciens amis et étudiants dont Ali  Naguib et Ossama Khalil. Nous nous sommes réunis autour  de quelques spécialités  égyptiennes avec en arrière-plan  le retentissement  de  la voix de Om Kalsoum  qui  chantait une de ses meilleures chansons dont la composition musicale est de Baligh  Hamdi et les paroles de Abdel Wahab Mohamed. Adonis chantonnait et murmurait  avec nous : « Nous deux nous avons injustement  blessé  l’amour de nos propres mains  et il a fondu autour de nous »   Quelques jours plus tard,  on se  baladait au  bord de la Seine  lorsqu’il m’a surpris par sa question : « Pouvons-nous présenter  un  projet sérieux à la nation en  ce timing ? » 

Adonis ne m’a pas  donné le temps de lui  répondre ;  il a  poursuivi : « c’est  un projet  qui s’élancera loin des rives du discours actuel. Il  ne rimera  ni  ne coïncidera avec lui et  conduira loin l’embarcation de la langue, l’expression, la poésie et la littérature  vers l’horizon  de  nos rêves. Je lui  ai  dit que  je suis l’esclave  d’une telle rêverie depuis l’âge de vingt  ans,  Elle me pourchasse à  un point  tel  que je suis prêt  à la soutenir de toutes mes forces afin qu’elle soit exaucée. Il  m’a interrompu en  disant : « tu ne réfléchis pas pour un instant ? » Et moi  de rétorquer :  « Je suis pressé… commençons de suite ». « Mais prenez  votre temps pour réfléchir..  ce n’est pas une compétition  pour les poètes  en  herbe qui  ont choisi  l’innovation et la créativité.  C’est un projet de  modifications profondes et de longue haleine qui  pourrait te renverser  du haut de ton  cheval !! » et  moi  de répondre : » Moi, j’adore le défi. ». Nous nous sommes promis de poursuivre notre conversation.

J’ai  passé une nuit blanche.  Ce projet je le voyais dans la nuit  sombre  telle une  météore ou une étoile  filante qui  à peine éclaire-t-elle son  entourage qu’elle part se cacher derrière les minbars de l’ancienne Andalousie et les palais des princes des diverses factions. Une langue qui débarque sans prévenir  au  port de la parole. 

Le surnom  d’Adonis est cette lumière argentée  de la lune  et cette baume qui l’envahit à son  silence et à  sa méditation ;  il est le hennissement  du cheval  qui  crache le feu de l’ambition  et  avale l’espace.  C’est ce   oiseau  en déplacement  perpétuel  qui souffre,  résiste  et combat  l’univers sans jamais voler  vers le  vide. C’est lui l’emblème de la passion  qui habite les cœurs.  Il est  comparable  à  ces oiseaux qui  gazouillent pour  étreindre entre leurs côtes  un cœur saignant de douleur. Ce dromadaire atteint de cécité  dans ces déserts lointains. Il  est ces contes relatés par les couples amoureux déambulant,  agenouillés ou  prosternés; il  est cette boule de feu  qui traverse l’horizon  pour se cacher  dans les balbutiements de la nuit  et laisser  une empreinte magique 

A vous lire je ressens comme si  j’étais un  cheval éperonné  pour partir  d’un continent  à un  autre comme si j’étais un oiseau qui  sursaute  entre les arbres.  Il  se mit à  rire et m’a invité  à partager avec lui  son  café et me dit : « Poursuivons notre conversation qu’on  avait commencé l’autre jour  au bord de la Seine. »

Nous avons discuté du projet des poèmes et de la magazine « Métamorphoses » et le cours du  dialogue nous an  amené à  discuter du  projet le plus important : jeter  de  nouvelles bases à la pensée arabe  et de la retirer  de l’abîme où elle s’est  enlisée  par préméditation.

Adonis était dans un état  euphorique alors qu’il mettait le doigt sur l’abcès  et criait : « Telle est  la problématique ». Depuis longtemps les Arabes sont assujettis entre l’enclume et le marteau,  l’enclume de la reprise et le marteau de l’emprunt. Ils sont les esclaves de la reprise du  passé et de leur dette vis à  vis de la civilisation  de  l’Occident. Nous  ne produisons plus de civilisation,  de littérature  ou  de poésie, alors que nous en  consommons ce  qui  a abouti à battre comme plâtre  nos esprits avant  nos corps entre les deux parties de cet instrument. 

Adonis m’a adressé alors cette question : « Pensez-vous que nous pouvons- nous tirer de ce   malicieux cyclone? » Je lui  ai répondu: «  Sans nul  doute  à condition  que nous soyons armés par la bonne volonté  et la patience  et  que nous travaillons pour la pérennité. Il nous suffira l’honneur de l’expérience. » Et  nous nous en sommes mis d’accord. 

Trois conférences proposées :

Nous avons convenu de la tenue de trois conférences à cet  effet :

  • La première [au  Caire]  portant sur la culture arabe entre reprise et  emprunt. Il nous est  impossible de prendre de l’élan  à l’époque actuelle sans  nous connaître et définir notre propre  culture. Cette conscience  exige la nécessité  de  nous tirer de ces deux abîmes:  celui  de la reprise de la pensée de nos ancêtres et de leur culture  et  celui d’emprunter la culture et l’aspect  civilisé  de l’Occident.

 

  • La deuxième [à Paris] autour de la poésie moderne contemporaine  entre reprise et emprunt  et y seront  invités les poètes dont les poèmes ont  été publiés dans les différents exemplaires de  la magazine « Métamorphoses »  ainsi que nombre  de leurs paires  et  une élite des critiques modernes pour discuter des contextes  culturel,  intellectuel ou  innovateur  dans lesquels se sont  versés leurs nouvelles créations poétiques qui dépassaient  simultanément et la reprise et  l’emprunt.

 

  • La troisième conférence [Adonis propose de la tenir en  Andalousie  qui est porteuse d’une connotation qui  reflète notre pensée  aussi bien  que l’objectif de nos efforts. Elle portera  aussi  bien sur la culture  arabe qu’européenne. Y  seront  invités des chercheurs arabes  et  français pour débattre  de  la modernité entre reprise et  emprunt. Les conclusions des trois conférences  seront publiées  dans « Métamorphoses »  ainsi qu’elles feront l’objet d’une polémique entre les parties intéressées arabes et occidentaux.

Peut-être trouverions nous la réponse à cette question problématisée : pourquoi  tournons-nous   en rond sans cesse sous le joug de la reprise et de l’emprunt  et comment  pouvons- nous nous en  débarrasser ? 

Un  grand projet réunit les visées d’Adonis à mes propres espérances.  Il  est le fruit de longues entrevues tenues à Paris au cours de ces derniers mois. Je souhaite que ce projet  voie bientôt le  jour ; J’invoque le  bon  Dieu  à accorder la  longévité  au grand intellectuel Adonis et à moi-même la force pour que nous puissions ensemble réaliser  ce qui  servira de première pierre sur laquelle bâtiront les générations   futures.