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Monde

La menace nucléaire au Moyen-Orient

Le Dialogue

D’un  coup,  l’accord nucléaire iranien  revient à la une   après  une hibernation saccadée et intermittente  depuis septembre  dernier. L’accord  signé par l’Iran  et les grandes puissances mondiales,  au  terme des négociations ardues  de 2015 n’a tenu  que trois ans jusqu’à l’annonce,  en  2018, par le président américain Donald Trump du  désengagement unilatéral de son pays de l’accord nucléaire avec l’Iran.  Au  cours de cette période, l’Iran  a accompli tous les devoirs qui  lui incombaient en  vue de  la levée des sanctions internationales qui  lui étaient imposées,  du  dégel de ses avoirs par les Etats Unis et la normalisation  de ses relations financières,  économiques et  technologiques avec le reste  du monde. Pourtant,  le retrait des Etats Unis, l’échec des Etats européens à  compenser  l’Iran des pertes  subies à  cause des sanctions des Etats Unis  qui en avaient-  de plus-  annoncé  d’autres secondaires contre les Etats  qui n’observeraient pas ces sanctions ont condamné l’Iran  à poursuivre son programme nucléaire  et  à intensifier  son  programme militaire en  guise de préparation  à toute confrontation probable  avec les Etats Unis et  Israël. 

Tout le long   de  cette lune de miel  relativement longue entre le président américain  Donald Trump  et le premier ministre israélien  Netanyahou, les capitales des deux pays- Washington  et  Israël- faisaient résonner les tambours de la guerre  contre l’Iran. Survint  alors l’incident  qui  allait  mettre le feu à  tous les champs de pétrole et  de gaz  du Moyen-Orient pour les réduire en cendres :  un missile sol-air  iranien  a abattu, le 20  juin  2019- ce mardi,  il fera quatre ans jour  pour  jour- l’un  des quatre drones d’espionnage les plus sophistiqués de type RQ-4 Global Hawk dont disposaient les Etats Unis à l’époque. Trump  a été alors saisi  par une rage vengeresse et  a dicté ses ordres au Quartier Général de sélectionner un certain  nombre de cibles militaires stratégiques pour les pilonner dans les plus brefs délais. Néanmoins,  il  n’a pas  tardé à changer son  fusil  d’épaule avant  même que ses injonctions ne soient exécutés. Il  donna ses consignes  de revenir à la case départ. Les canons se sont tus, les moteurs d’avions ont arrêté leur vrombissement et  les missiles  sont retournés à leurs bunkers.

L’année suivante,  Trump  a perdu les élections présidentielles qui furent remportées par  Biden  qui avait  promis,  au cours de sa campagne présidentielle, de revenir à l’accord nucléaire. Le   nouveau président  n’avait qu’annoncer le retour de Washington à l’accord et  à  la table des négociations avec les autres puissances et  l’Iran  afin de remettre en marche le processus déréglé par  son prédécesseur. Mais la machine à pressions  sioniste s’est  enclenchée- en  Israël  comme à l’intérieur des  Etats Unis pour entraver -  dès la première  seconde-la voie de Biden  et de son équipe de négociateurs :  des accusations ont été  alors adressées au  négociateur clé Robert Malley  qui était  membre de l’équipe de négociations  qui  était parvenue à  l’accord de 2015 refusé par  Israël. Plutôt  que de déclarer  sa rémission du  pêché de Trump et son  retour  à l’accord, les Etats Unis  ont mis sur table  un calendrier  de  négociations indirectes   avec l’Iran afin  de poser  les conditions de leur retour, contredisant  ainsi la réalité  qu’ils avaient unilatéralement  pris la décision  de se retirer de l’accord.

 

Gel  des négociations contre un  progrès nucléaire:

Alors que  la partie américaine excellait  à poser  des conditions inadmissibles  pour son retour  à la  table des négociations, son  interlocutrice iranienne  avait derrière  elle une équipe  d’experts, d’ingénieurs et  de techniciens qui œuvraient  à développer le programme nucléaire iranien  en  bafouant toute contrainte relative à l’accord concernant le taux d’enrichissement de  l’uranium ou sa quantité : ils l’ont multiplié maintes fois par rapport  à  la quantité prévue par l’accord. De  plus, ils  ont mis au  point les centrifugeuses pour  avoir plus de puissance  et  ont également augmenté le  nombre  de lignes de production  de l’uranium enrichi pour dépasser  de loin  les limites atteints par la technologie nucléaire  iranienne en  2015. En d’autres termes,  le retrait  américain de l’accord  l’a  entravé en  quelque sorte  sans qu’il n’eût le même effet  sur  le programme nucléaire lui-même.

Après le retrait américain  de l’accord nucléaire,  l’Iran  a réussi à constituer  de  nouveaux outils de pression  lui permettant  de placer  plus haut le plafond  des négociations au  sujet de sa remise en  vigueur. Parmi  lesquels l’on pourrait  citer la hausse à  60% du taux d’enrichissement  de  l’uranium et  même peut-être à  83%,c’est à  dire  à près de 15 fois le  niveau  prévu initialement ainsi  que  multiplier plusieurs fois la puissance  des centrifugeuses  et l’ajout  de  nouvelles lignes de production  dans les installations actuelles ainsi  que leur mise à jour  et l’augmentation  de leur niveau  de sûreté. Selon  le dernier rapport  de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) publié à la fin  du mois dernier, la quantité  d’uranium iranien enrichi  jusqu’à  60 %  a atteint 114,1  kilogrammes  soit plus de 23  fois  la quantité convenue en  2015 : enrichi  jusqu’à  90%, cette quantité  suffira- selon  l’évaluation  d’experts internationaux- à  fabriquer  au moins   une seule arme  ou - de l’avis  d’experts   israéliens- trois ogives. En  outre,  l’Iran a   réussi  largement  à intégrer  la technologie nucléaire dans divers secteurs économiques dont l’agriculture, la santé  et l’énergie. Il  a  investi  également  au  cours de ces derniers  cinq ans  afin  de réaliser  des mutations  spécifiques dans le programme de défense antimissile,  la production de pièces militaires autoguidées  dans les forces aériennes et maritimes de l’Océan indien, du  Golfe  et  de la Mer  rouge jusqu’à l’Océan  atlantique. 

Des contacts visant  la reprise des négociations  

Dans   son  rapport publié  le  3 avril  dernier, le site web d'information américain Axios  précise, par son  correspondant  à Tel-Aviv,  que les Etats Unis  ont  discuté  avec leurs partenaires européens une  proposition portant  sur  du renouveau  dans le traitement  d’Iran selon le principe de « gel contre gel »  ce qui  veut dire  maintenir intouchable le  statu quo  contre la levée  de quelques sanctions afin  de stimuler  l’Iran à  geler une partie de son  programme nucléaire. Cette démarche dévoile  l’inquiétude de l’administration  américaine  vis à vis de la persistance du  gel des négociations nucléaires alors qu’Iran développe-  sans cesse-  son programme nucléaire.  C’est  ainsi que le  diplomatie  américaine a poursuivi  son  action au  cours des premiers mois de cette  année malgré  la campagne israélienne  de pression exercée  systématiquement  contre elle en  vue de proclamer une position claire qui  implique «  une menace militaire  crédible »  telle revendiquée  par Netanyahou  ainsi   qu’une coordination  étroite avec Tel-Aviv  au sujet  d’opérations militaires probables  qui  auront pour cible les installations nucléaires iraniennes. 

Biden  a réagi  à cette campagne en  réaffirmant que son traitement de la question nucléaire iranienne doit être  basé  sur quatre principes : premièrement, opter  pour la diplomatie et  non  la guerre  tout en  n’excluant pas cette dernière  comme une ultime option ; deuxièmement,  l’engagement  des Etats-Unis à  ne pas permettre à l’Iran  de posséder - en  tout état  de  cause- l’arme nucléaire ; troisièmement,  leur assurance à  garantir la suprématie militaire qualitative  d’Israël  face à ses voisins,  quatrièmement  et dernièrement,  confirmer le droit  d’Israël de se défendre et  de mener - le cas échéant- une action militaire isolée  contre l’Iran sans que les Etats Unis  s’y opposent.

Selon des sources diplomatiques, les Etats Unis et les pays européens membres de l’accord nucléaire E3 ( Le  Royaume Uni, la France  et l’Allemagne)  ont entamé,  février  dernier, leurs entretiens au  sujet  de  ce nouveau  plan  de traitement  de l’Iran « Gel  contre gel ». Des rapports  publiés  dans le quotidien britannique « The  Financial Times »  dans son  numéro du  2 juin courant, sur le site web, Axios,  en  avril et juin 2023  et des entrevues qui ont eu  lieu  entre l’envoyé  spécial en  Iran Robert  Malley  et le représentant  iranien  près des Nations Unies,  l’ambassadeur Amir Saad  Erwany, nous pouvons  déduire  que l’Iran  était  déjà au  courant  de la nouvelle  méthode que les Etats Unis envisageaient  d’adopter en vue   de ressusciter l’accord  nucléaire. 

Il  est probable que le  canal diplomatique de  consultations indirectes entre les deux parties est resté ouvert  sans aucune solution de continuité  dans la capitale omanaise  Mascate  jusqu’à aboutir à un point crucial qui en  réclamait  davantage. C’est peut-être l’un des derniers dossiers traités  au cours de la dernière visite effectuée par le sultan  d’Oman  Haïtham ben  Tariq  dans la capitale iranienne Tehran du  28 au  29  mai dernier  à l’issue  de sa visite au  Caire. Comme, il est  vraisemblable que les petits détails  concernant l’accord américain iranien  d’échange de prisonniers  ou  le dégel de certains avoirs iraniens à l’étranger ont également mûri  à travers la voie  diplomatique à  Mascate.   En effet la mise en  exécution  de l’accord concernant les avoirs à l’étranger  a eu  lieu après avoir  averti  l’Irak de l’approbation  américaine de virer le montant de 2,7  milliards  de dollars vers la Banque  centrale  iranienne. Du  reste, il  serait plausible de penser  que  la transaction  concernant l’échange des prisonniers  aurait lieu  prochainement à  la capitale Mascate.

Les messages de Ali Khamenei  à l’intérieur et  à l’extérieur

La semaine dernière, le  guide  suprême de la Révolution islamique l’ayatollah Ali Khamenei   a prononcé une  allocution  devant un parterre  de directeurs,  d’experts, d’ingénieurs et de techniciens  travaillant  dans le programme nucléaire  iranien où  il a expliqué sa  vision  concernant la reprise   des négociations  avec les puissances internationales clés à propos de l’avenir du  programme nucléaire. Cette allocution  a comporté  des messages clairs aux deux niveaux intérieur et  extérieur.

  • Premièrement : L’Iran  est ouvert à l’idée  de conclure des accords  avec des forces occidentales  au sujet du  programme nucléaire et  n’y trouve pas de  mal ;
  • Deuxièmement :  la sauvegarde  de l’infrastructure  de l’industrie  nucléaire de l’Iran qui  a déployé de  gros efforts en  vue de son installation  par des experts, des directeurs et  des hauts responsables ;
  • Troisièmement :  le développement  de l’industrie  nucléaire est  « la clé  de notre progrès  scientifique ».  Et Khamenei  a précisé  que l’industrie nucléaire  est un  élément indispensable  à la force  de l’Etat   et à  sa crédibilité  comme elle exerce  un  rôle crucial dans la réalisation  du  progrès dans divers domaines.  Il  a  mis en évidence l’influence positive qu’exerce  l’industrie  nucléaire  sur les secteurs technologiques , économique et  sanitaire  ainsi que sa contribution  à assurer un  niveau  de vie  meilleur à l’individu. De plus, le guide  suprême   de la Révolution  iranienne a mis  l’accent  sur  l’importance  de l’industrie nucléaire  dans le renforcement  du prestige de l’Iran  et  de sa position  politique au niveau  mondial ; 
  • Quatrièmement : L’Iran  ne  cherche pas à posséder l’arme  nucléaire pour  ne pas contrarier  les principes de  l’Islam qui  glorifie  la  vie  et prône sa protection. Khamenei  avait  promulgué une  fatwa à  ce sujet en 2003. Il  a   expliqué que les ennemis  occidentaux de son  pays prétendent  qu’il cherche  à disposer  des armes nucléaires. Ils sont pleinement conscients que c’est  une allégation  fallacieuse ; Mais il  a précisé  que si jamais  l’Iran changeait  d’avis, les forces occidentales  ne pourraient pas l’en  empêcher.
  • Cinquièmement :Il  manifeste sa méfiance vis à  vis des forces et des  institutions occidentales qui,  d’après lui,  brisent  leurs promesses et n’honorent  pas leurs engagements ;  il cite, entre autres,  l’Agence Internationale  de l’Energie  Atomique. Cet  avertissement implique la nécessité que tout accord conclu  entre les deux parties  stipule ses garanties  solides. 

 

Les perspectives des prochaines négociations

La confirmation iranienne de ne pas chercher à détenir une arme nucléaire  interfère  à mi-chemin avec la déclaration  des Etats Unis de ne pas autoriser une telle possession. D’un  point de vue stratégique,  la voie  serait frayée - plus que  jamais- pour parvenir  à un  accord nucléaire à long  terme avec l’Iran  si jamais la partie  américaine  aux négociations  renonçait à l’idée de conclure  un accord partiel  et intérimaire qui ferait  revenir les négociations à la case  départ où  elles s’étaient  bloquées , à Vienne, l’année  dernière. Et,  l’Iran  ne semble pas se replier sur sa position  antérieure adoptée à  Vienne qui  refuse tout  accord partiel  ou intérimaire. Et,  si  Khamenei a posé  des conditions et des critères  pour tout  accord réussi, les Etats Unis doivent être pleinement  conscients que l’Iran  ne reviendra jamais sur  ses pas à leur  sujet tant qu’il  ne perdra rien  en  cas de refus  comme  il  ne gagnera rien  en  cas d’acceptation.  Néanmoins,  ce qui  fait  la différence c’est  que dans la première  alternative,  l’Iran pourrait poursuivre  à  sa guise  son  programme nucléaire.   

 

A  vrai dire, la possession  par l’Iran  de la technologie et des ressources financières  de production  de  l’arme nucléaire   est mille fois plus importante   que celle de cette arme  en soi :  en  fait, la détention  des armes nucléaires  n’équivaut nullement au  libre pouvoir de l’utiliser.  La simple  possession de la capacité  de la produire constitue, à  elle seule, un  élément de dissuasion.  Mais la production effective  devient,  le cas échéant,  un simple choix  politique  tant que la capacité  technologique existe.  Dans ce contexte,   il  faut dire  que lorsqu’elle  insiste sur  des idées du  type « gel  contre gel »  ou « peu  contre peu », Washington  ne fait  que perdre du  temps  car l’Iran n’acceptera jamais de saboter,  de  ses propres mains,  ses installations nucléaires  ni non  plus d’abdiquer  ses centrifugeuses développées localement;  pourtant  il peut accepter  de stopper  son enrichissement  de l’uranium à  60% ou  même moins à  20% selon  la loi  promulguée au  parlement et de réduire  son stock  d’uranium enrichi.  En tout  état  de cause, le  monde entier doit  traiter l’Iran  en   tant qu’ « Etat nucléaire »   qui-  en vertu  d’un  accord garanti-  ne représenterait pas de danger  à ses voisins dans la région. 

Il paraît,  de nos jours, que les Etats Unis  sont  devenus plus réceptifs de la baisse de leur  plafond de revendications  adressées à l’Iran  à un  niveau jamais  connu  auparavant. Le site web Axios  a révélé, le  9  juin courant que les Etats Unis  ont  adressé un  message ferme à l’Iran  par  sa  voie de  communication  à Mascate où ils ont précisé  qu’ils réserveraient une riposte  féroce à Téhéran au  cas  où elle  enrichira l’uranium  à 90%, ce  taux suffisant  à  la production  d’une arme  nucléaire. Un  avertissement  qui signifie-  d’un point  de  vue pratique  et  implicite -  que  tout ce qui  est moindre  est négociable.

 

Pour  ce qui est  d’Israël,  de grands différends  existent toujours au  sujet  de la frappe militaire  préventive anticipée à  adresser  à l’Iran. Cette pomme de discorde  porte sur  deux volets :  le premier purement militaire concerne à  quel  degré Israël est-il  prêt  à accomplir,  seul- et  sans aucune assistance  de la part  des Etats Unis-  une opération militaire  contre l’Iran ;  le second est  militaire et  porte  sur  la volonté  de Tel-Aviv  de ne pas faire sauter ses ponts  bâtis avec Washington  alors que des contacts sont en  cours  pour tenter  de ressusciter l’accord nucléaire. Certains des services de la sécurité nationale et  des protagonistes de la politique étrangère israélienne cherchent à saboter  les négociations  afin qu’il  ne reste  que la solution  militaire sur  la table des négociations.  Alors qu’Israël  nous a rabattu  les oreilles par le leitmotiv  de la frappe  militaire préventive contre le programme nucléaire iranien,  il  ne l’a pas adressée   et  peut-être ne l’adresserait-t-il  jamais.