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Ukraine/Russie

Russie : Quid des suites du « putsch » avorté du groupe de Prigojine

Le Dialogue

Le président russe Vladimir Poutine tient une minute de silence pour les pilotes tués dans des affrontements avec les mutins lors d'une révolte de mercenaires wagnériens alors qu'il s'adresse aux troupes du ministère de la défense, de la garde nationale, du service de sécurité du FSB et du ministère de l'intérieur réunis sur la place Sobornaya (cathédrale) à partir de le porche du Palais des Facettes sur le terrain du Kremlin dans le centre de Moscou le 27 juin 2023. Photo : Sergei GUNEYEV / SPUTNIK / AFP.

 

Dans un entretien accordé au W.P par le président Zelenski, ce dernier avait exprimé sa colère suite aux informations publiées précédemment sans que leur véracité ait été vérifiée. Il pensait surtout que l’article avait prévenu Moscou de l'imminence de la rébellion du Groupe Wagner permettant à Poutine de prendre les dispositions pour qu’elle ne s’étende pas à l'ensemble de l'appareil sécuritaire russe. Pour mémoire, le président Joe Biden avait déclaré en mars 2022 : « Pour l'amour de Dieu, cet homme (Poutine) ne doit plus rester au pouvoir ». 

 

La suite

La suite est impossible à prévoir tant les responsables russes ne réagissent pas de manière cartésienne (avec une certaine logique scientifique). Tout peut arriver. La parole de Prigojine n’engage que lui. Idem pour celle de Poutine surtout que son ancien « maître d’hôtel » est devenu très gênant. En effet, il connaît un tas de choses que les Occidentaux seraient ravis d’entendre. Une exfiltration par les services anglo-saxons est toujours dans le domaine du possible. Dans ce domaine, ils sont excellents et surtout, ils ont les moyens financiers nécessaires pour mettre au vert les défecteurs.

Plus globalement, il semble que Prigojine ne va pas rester très longtemps en Biélorussie. 

Le lobby militaro-industriel russe qui soutient (encore) Sergueï Choïgou a sans doute aussi son mot à dire.

Quant au sort de Viktor Bout, le célèbre trafiquant d’armes que Prigojine avait officiellement rencontré le 13 juin après l’avoir peut-être placé à la tête du « siège » de Wagner à St-Petersburg (qui a été perquisitionné le 25 juin), il est pour l’instant absent. Le bâtiment semble continuer à fonctionner pour l’instant. 

 Quant à leur sort personnel, ni Prigojine ni Poutine ne peuvent dormir tranquille : un garde du corps, cela se retourne…

 

À l’international

 Le leader émirien Mohamed Ben Zayyed, l'émir du Qatar Cheikh Tamim et le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman (MBS) ont appelé au téléphone Vladimir Poutine après la tentative de putsch de la fin juin. MBS s'est « félicité de la désescalade » entre Poutine et Evgueni Prigojine.

L'Arabie, comme le Qatar et les Émirats souhaitent rester neutres dans le conflit qui oppose Moscou à Kiev tout en espérant jouer un rôle de médiateur.

La Chine minimise cet épisode soulignant que c’est une affaire interne à la Russie et que le pouvoir n’a pas été aucunement déstabilisé. Personne n’en parle, mais l’Iran doit rejoindre l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) le 4 juillet. L’OCS a été mise sur pieds en 2001 par la Russie et la Chine et regroupe déjà le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, l’Inde et le Pakistan (et bien sûr la Chine et la Russie) soit plus de 42% de la population mondiale.

 

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Le Wall Street Journal américain a rapporté le 28 juin que « le vice-ministre russe des Affaires étrangères s'est rendu à Damas pour livrer personnellement un message au président syrien Bachar el-Assad : les forces du groupe Wagner n'y opèreront plus de manière indépendante ». 

Par ailleurs, « des hauts responsables du ministère russe des Affaires étrangères ont téléphoné au président de la République centrafricaine, dont les gardes du corps personnels comprennent des mercenaires Wagner, offrant des assurances que la crise passée ne ferait pas dérailler l'expansion de la Russie en Afrique ». 

Enfin : « des avions gouvernementaux du ministère russe des situations d'urgence ont fait la navette de la Syrie au Mali, un autre des principaux avant-postes étrangers de Wagner ». 

A n’en pas douter, tous ces mouvements montrent une réorganisation de la société militaire privée (SMP) Wagner.

 

Nettoyage en interne ?

Selon des sources citées par le journal Moscow Times et un militaire russe blogueur, les autorités russes auraient « arrêté le général Sergei Surovikin, commandant adjoint des opérations militaires russes en Ukraine dans le cadre d'une purge de responsables militaires à la suite de la rébellion de courte durée des forces mercenaires de Wagner ». 

 

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La chaîne Telegram Romanov-92 a déclaré que Surovikin se trouvait au centre de détention provisoire de Lefortovo. 

 L'Institut pour l'étude de la guerre (ISW), un important think tank basé à Washington a rapporté qu'une autre source russe affirmait que des « affiliés » militaires de Surovikin avait été « accusé de complicité dans la rébellion ». Ces informations sont à considérer avec prudence car l’ISW est réputé pour servir de relai à la politique d’influence américaine. 

 Des documents obtenus par CNN (qui ne peut pas être classée comme une chaîne de télévision parfaitement objective) suggèrent que le général Surovikin faisait partie depuis 2018 avec une trentaine de hauts gradés russes de la « liste VIP » du Groupe Wagner. CNN reconnaît toutefois qu’il n'y a aucune preuve que Surovikin était rémunéré par Wagner mais son appartenance à la « liste VIP » impliquerait une relation trop étroite entre l'armée russe et le groupe de mercenaires. 

 Surovikine surnommé le « Général Armageddon » en raison de sa réputation de férocité est un vétéran des guerres russes en Tchétchénie et en Syrie.

Alors qu’il était commandant en chef du corps expéditionnaire russe en Ukraine, il a été critiqué comme le responsable de la retraite de la Russie à l'automne dernier lors de l’offensive ukrainienne sur Kherson.

Il est toutefois reconnu qu’il a grandement contribué à renforcer les défenses russes qui semblent si difficiles à franchir pour la contre-offensive ukrainienne lancée début juin.

Il a à son actif la mise en œuvre des frappes de drones fournis par l'Iran et pour avoir créé le soi-disant « hachoir à viande Bakhmout » qui aurait « fixé » les forces ukrainiennes avec comme acteur principal le Groupe Wagner (d’où ses « bonnes relations » supposées avec Prigojine). 

 Selon le site non officiel Rybar présenté comme « pro-Kremlin » mais en réalité ayant des liaisons troubles avec le Groupe Wagner : « la direction effective du déroulement de l'opération militaire spéciale est assurée [désormais] par le commandant des Forces aéroportées, le colonel-général Mikhail Teplinskiy ». Ce dernier est populaire au sein des troupes russes.

« Valery Gerasimov conserve officiellement le poste de chef d'état-major général, mais n'a plus rien à voir avec la résolution des problèmes » de l'invasion russe en cours.

Gerasimov avait pris le commandement direct de l’« opération spéciale » en janvier 2023 (tout en restant CEMG) reléguant Surovikin à une place d’« adjoint », un vrai coup dur pour ce « héro » de la Fédération de Russie décoré de cette haute distinction par le président Poutine en 2017.

Surovikin avait été désigné à la tête de l’« opération spéciale » en octobre 2022 mais avait la responsabilité du front sud depuis son début. 

 

Toujours selon le site Rybar, la révolte de Prigojine constitue un « crash test » destiné à éprouver la loyauté des grands serviteurs de l’État russe au milieu d'une « indécision » apparente de certains membres du commandement militaire lorsqu'il s'agissait d'écraser la mutinerie de Wagner et leur « soutien » éventuel à la force mercenaire privée. Le soulèvement de Wagner est « devenu un prétexte pour une purge massive dans les rangs des forces armées russes  […] Si les autorités russes ont arrêté Surovikin, le Kremlin l’utilisera lui et ses affiliés comme boucs émissaires pour expliquer publiquement pourquoi l'armée russe et les appareils de sécurité intérieure russes ont mal réagi à la rébellion et pour justifier une refonte potentielle de la direction militaire russe ». 

Toutefois, l’ISW (Institute Studies of Wars) pour une fois réaliste dit qu’il « ne peut confirmer aucune de ces spéculations sur les changements de commandement pour le moment, mais il est évident que la rébellion armée continue d'avoir des ramifications substantielles dans l'espace d'information ».

 

Manipulations américaines ?

 Comme cela a été vu précédemment, les services américains via des fuites distillées dans la presse font le forcing pour ajouter à la confusion en Russie - ce qui est de « bonne guerre » -.

 Ainsi, trois responsables américains prétendent que Surovikin était connu pour être favorable à la rébellion de Wagner (la mystérieuse « liste VIP » évoquée précédemment ?), mais prudents, ils disent qu’il n'était pas sûr qu’'il la soutenait activement… 

Alors que le soulèvement avait lieu, ce général avait publiquement exhorté le 24 juin les combattants de Wagner à retourner dans leurs bases. Mais « un ancien responsable américain (non identifié) » a qualifié ce message de « vidéo d'otage ». Lors de sa déclaration, « le langage corporel du général Surovikin suggérait qu'il était mal à l'aise de dénoncer un ancien allié, qui partageait son point de vue sur les dirigeants militaires russes ».

 

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Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov a déclaré le 28 juin : « il y a maintenant beaucoup de spéculations et de commérages différents autour de ces évènements […] je pense que c'est un exemple de cela […] L'armée russe et le peuple ont tous soutenu le président (Vladimir Poutine) pendant le soulèvement ». 

 

Au-delà de Surovikin, le New York Times a rapporté que des responsables américains ont déclaré qu'il y avait des signes « que d'autres généraux russes pourraient également avoir soutenu la tentative de Prigojin de changer par la force la direction du ministère de la Défense ». 

Ils auraient déclaré que Prigojin n'aurait pas lancé son soulèvement s'il n'avait pas cru que d'autres personnes en position de pouvoir viendraient à son aide. 

Washington doit avoir en mémoire le procès du maréchal Toukhatchevski pour « complot » qui avait décapité le haut état-major soviétique en 1937.

 

Enfin, il semble que la SMP Groupe Wagner passe sous le contrôle total des autorités militaires russes. Les publicités vantant un engagement dans la SMP dans le métro de Moscou ont été remplacées par une réclame pour l’armée. Mais chose étrange, il reste encore de nombreux points de recrutement de Wagner en Russie…

 

Les suites pourraient bien nous surprendre.