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Ukraine/Russie

Ces ONG américaines qui ont préparé l’Ukraine à la guerre depuis les années 1990 [ 1 - 2 ]

Le Dialogue

Un corbeau vole le 21 janvier 2005 devant les colonnes du Conservatoire de la place de l'Indépendance à Kiev décorées d'orange, symbolisant la "révolution orange", avant la cérémonie d'investiture du 23 janvier 2005 du président élu ukrainien Viktor Iouchtchenko. Une foule de présidents et de chefs de gouvernement assisteront à l'inauguration, dont le secrétaire d'État américain sortant Colin Powell et le secrétaire général de l'OTAN Jaap de Hoop Scheffer. Photo : SERGEI SUPINSKY / AFP.

 

La place des ONG américaines dans le coup d’Etat de Kiev de 2014

L’Ukraine est un pont naturel entre la Russie et l’Union européenne. Elle était donc une région stratégique à protéger par l’ensemble des Européens pour garantir la stabilité, la prospérité et la sécurité de notre continent. Conscients de cela les USA, qui ne veulent pas d’une Europe puissance et encore moins d’une Russie forte, ont focalisé leurs efforts depuis des décennies pour empêcher l’Ukraine d’être cette passerelle naturelle. Pour les néoconservateurs américains il faut, au contraire, la séparer du monde russe et l’arrimer au monde atlantiste de gré ou de force. Dans Le Grand échiquier, Zbigniew Brzezinski avait identifié d’ailleurs que « Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. » Afin de promouvoir une nouvelle élite ukrainienne pro-US et pro-UE, Washington a déployé, avant même la chute de l’URSS, son soft power à travers ses ONG atlantistes et progressistes dépêchées à Kiev. Dans ce premier article nous allons voir comment les US se servent de nombreuses organisations subventionnées pour influencer, financer et s’ingérer dans la politique souveraine de l’Ukraine. Nous verrons dans un second article comment Washington s’est également appuyé sur des associations amies comme l’ONG Open Society de George Soros pour transformer la société ukrainienne de l’intérieur avant et après le coup d’État pro-atlantiste à Kiev en 2014.

Lors d’une audition devant la sous-commission Europe de la commission des relations internationales de la Chambre des représentants des USA de 2004, on apprend que l’ONG états-unienne National Endowment for Democracy (NED) est présente en Ukraine depuis 1988, c’est-à-dire avant même la chute de l’URSS. La NED a été fondée en 1983, d’après son site Internet, sur « l’idée que l’aide américaine à l’étranger au nom de la démocratie serait bonne à la fois pour les États-Unis et pour ceux qui luttent à travers le monde pour la liberté et l’autonomie gouvernementale ». Son site précise aussi que la NED « est restée à la pointe des luttes démocratiques partout dans le monde, tout en évoluant vers une institution aux multiples facettes qui est un centre d’activités, de ressources et d’échanges intellectuels pour activistes, praticiens et chercheurs spécialisés en démocratie du monde entier ».

Malgré une apparence altruiste, il s’agit en réalité d’une courroie de transmission pour soutenir les projets d’influence et d’ingérence américaines à l’étranger. La NED est financée par le Congrès étatsunien qui soutient ainsi ceux que l’Amérique veut voir au pouvoir à

l’étranger. Pour l’historien américain William Blum, la NED est « un chef-d’oeuvre de politique, de relations publiques et de cynisme ». Il estime que la NED a manipulé les élections au Nicaragua en 1990 et en Mongolie en 1996, contribué à renverser les gouvernements

élus démocratiquement en Bulgarie en 1990 et en Albanie en 1991 et 1992. C’est encore la NED qui fit battre le candidat slovaque au titre de Premier ministre en disgrâce avec Washington et qui a largement financé l’opposition à Hugo Chavez au Venezuela de 1999

à 2004. La NED tente de se faire passer pour une organisation neutre mue par la défense de la démocratie. Ses administrateurs ne peuvent avoir de poste au gouvernement américain en même temps mais il est un fait que de nombreux administrateurs de la NED ont été des conseillers ou membres très influents du gouvernement américain, comme Elliot Abrams, Henry Kissinger, Franck Carlucci, Zbigniew Brzezinski, Paul Wolfowitz, Wesley Clark ou Madeleine Albright.

Toujours selon William Blum, la NED ou des organisations amies comme l’Agency for International Development (AID) disposent « d’autant de ressources financières que nécessaire et beaucoup de carottes et de bâtons à agiter ». Il poursuit : « Ils organisent des conférences et des séminaires, distribuent des tonnes de matériel et fondent de nouvelles ONG, de nouveaux journaux et d’autres médias. Tout cela est fait pour enseigner, aux employés du gouvernement et d’autres secteurs choisis de la population, les avantages et les joies de privatiser et de déréguler l’économie, en leur apprenant comment organiser une société capitaliste, comment reconstruire le pays pour le rendre séduisant pour des investisseurs étrangers, comment glisser avec bonheur dans l’étreinte de la Banque Mondiale et du FMI. » Ces organisations se donnent des apparences de neutralité et de générosité mais leur but est de porter à la tête du pouvoir de pays étrangers des hommes formatés à la doxa états-unienne. Allen Weinstein, historien américain, haut fonctionnaire et fondateur de la NED, dit sans vergogne : « Beaucoup de choses que nous faisons aujourd’hui étaient faites clandestinement par la CIA il y a 25 ans. » Quand les USA n’obtiennent pas ce qu’ils veulent par leurs hommes liges, par des intrigues ou des infiltrés dans les pays étrangers, ils n’hésitent pas à fomenter des révolutions de couleur et à appeler au renversement de gouvernements en place même s’ils sont élus démocratiquement. Les USA refusent de reconnaître leur responsabilité dans ces événements qui sont censés être spontanés, nationaux et populaires mais la réalité est qu’ils agissent en sous-main, acheminent des fonds et sont omniprésents pour coordonner les révoltes. Les marionnettistes américains ont ainsi été très actifs en Yougoslavie (Otpor, 2000), Géorgie (Révolutions des roses, 2003), Kirghizistan (Révolution des tulipes, 2005), Biélorussie (Révolution en jean, 2005, puis de nouveau en 2020), Liban (Révolution du cèdre, 2005) et en Arménie (Révolution de velours, 2018). Ils le sont également ailleurs dans le monde en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, en Somalie… Parlant des révolutions de couleur, le journaliste français Alain Guillemoles, qui tente de minimiser le pouvoir de l’ingérence atlantiste, avoue : « De fait, à Belgrade et à Tbilissi comme à Kiev, il s’est trouvé un mouvement de jeunesse très organisé, ayant à chaque fois le même savoir-faire, et qui a servi d’avant-garde de la révolution. (…) Il s’est trouvé aussi, à chaque fois, un soutien financier venu de l’Occident, dont une partie donnée par les fondations Soros mais aussi par Freedom House, une fondation dirigée par l’ancien patron de la CIA, James Woolsey, Eurasia, Carnegie, ou bien par le National Republican Institute, affilié au Parti républicain et dont le président est John MacCain, poids lourd du parti, ou par son homologue démocrate le National Democratic Institute, dirigé par Madeleine Albright, ex-secrétaire d’État de l’administration Clinton. Il s’est trouvé encore quelques ONG américaines comme Internews et Irex Pro Media qui ont formé des journalistes selon le standard occidental. » Entre 2014 et février 2022, la NED a financé à hauteur de 22 millions de dollars plus de 300 projets en Ukraine dont le but était de la retourner contre son frère russe et de l’annexer au camp atlantiste. L’ancien dissident soviétique Alexandre Soljenitsyne avait compris la stratégie atlantiste des révolutions de couleur. Dans une interview il déclare : « Il y a peu de différence entre les actions de l’OTAN et les actions individuelles des États-Unis. Voyant clairement que la Russie d’aujourd’hui ne représente aucune menace pour eux, l’OTAN développe méthodiquement et avec persistance son appareil militaire – à l’est de l’Europe et dans la partie continentale de la Russie depuis le sud. Cela comprend un soutien matériel et idéologique ouvert aux révolutions de “couleur” et l’introduction paradoxale des intérêts nord-atlantiques en Asie centrale. Tout cela ne laisse aucun doute sur le fait que l’on se prépare à un encerclement complet de la Russie et que la perte de sa souveraineté se prépare. Non, l’adhésion de la Russie à une telle alliance euro-atlantique, qui mène une propagande et l’introduction violente dans diverses parties de la planète de l’idéologie et des formes de la

démocratie occidentale actuelle – ne conduirait pas à l’expansion, mais au déclin de la civilisation chrétienne. » Par le prisme de ce regard, on comprend que la NED et les ONG états-uniennes fonctionnent comme la caution morale d’un impérialisme qui sait se faire discret. Apportant la démocratie à des États qui en semblent dépourvus, elles servent en réalité de relais à l’hégémonie américaine dont elles étendent la puissance. Promettant l’urne, elles

imposent la sujétion. Se cachant derrière le suffrage, elles dissimulent la réalité d’un nouveau servage.