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Arménie / Azerbaïdjan

Arménie/Azerbaïdjan : du conflit séculaire à la paix ? PARTIE 3

Illustration Pixabay
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De la « guerre des 44 jours » aux prémices de la paix

 

Bakou développe pendant ces années son arsenal militaire grâce à ses revenus pétroliers et gaziers, en s’appuyant sur la Turquie et Israël, alors que l’Arménie a délaissé son budget de défense, trop sûre d’elle.

L’attaque est lancée par les troupes azerbaïdjanaise le 27 septembre 2020, le conflit s’arrêtant le 10 novembre au prix de 8000 soldats tués des deux côtés. Un cessez le feu sous l’égide de la Russie qui ne souhaite pas une victoire totale de l’Azerbaïdjan le 10 novembre consacre la défaite arménienne : les 7 districts occupés sont rendus à Bakou, 4 ayant été repris militairement, de même que le tiers du territoire du Haut Karabagh incluant l’emblématique ville de Choucha. L’Arménie dispose d’un corridor permettant la jonction avec la partie restée arménienne du Haut-Karabagh, le corridor de Latchine. De même l’Azerbaïdjan doit- il disposer d’un corridor traversant l’Arménie afin d’être rattaché à l’exclave du Nakhitchevan, isolée entre de l’Arménie, l’Iran et la Turquie.

Des troupes russes (des agents du FSB garde- frontières) assurent la sécurité du couloir de Latchine et du territoire restant sous contrôle des autorités séparatistes.

La Russie a ainsi réussi à maintenir sa présence dans le Caucase dont elle est le voisin du nord, évitant une trop grande influence de la Turquie dont les liens avec Bakou sont très solides.

Les territoires dits libérés dévoilent alors des réalités déplaisantes aux azerbaïdjanais.

A commencer par celle des mines qui les contaminent massivement : près de 150 000 hectares hautement pollués et 676 000 hectares moyennement ou faiblement signale le dernier rapport de l’Agence nationale des mines azerbaïdjanaise (2023), et depuis la signature de l’accord du 10 novembre 2020 l’on comptabilise 302 victimes ( sur 30 ans près de 3400).Non seulement la ligne de contact longue de 254 kms et large de 5 kms contient au moins 400 000 mines, mais des champs cultivés, des zones économiques et même des cimetières ont été indistinctement minés….Au total le nombre de mines sur l’ensemble des territoires libérés est évalué à 1,5 millions.

L’Arménie devait d’après l’accord du 10 novembre 2020 remettre à l’Azerbaïdjan les cartes du minage, mais il a fallu attendre 2022 pour ce faire, et encore leur fiabilité ne dépasse pas 25%.

Mais un autre facteur problématique a été révélé : depuis août 2022 3166 mines produites en Arménie en 2021 ont été détectées et neutralisées dans les différents territoires libérés, en violation de l’accord tripartite. Il faudra de nombreuses années pour accomplir le déminage total, bien que Bakou ait acquis un savoir- faire certain, aidé par 2500 démineurs de diverses nationalités et l’apport de 12 millions de dollars par les Nations Unies pour 2021-2024.

Ce sont des villes et villages en ruine, totalement ravagés, y compris les patrimoines archéologique et historique, que découvrent les azerbaïdjanais, à l’exemple de Fizouli ou d’Agdam appelée l’Hiroshima du Caucase, entièrement vidée de ses habitants (37 000 initialement) et systématiquement pillée pour ses matériaux de construction. A perte de vue s’offre le désolant spectacle d’un pays dévasté.

C’est pourtant le moment du « grand retour » qui concerne 1 million de déplacés, dont l’Etat s’occupe depuis 30 ans grâce à la commission des réfugiés, organisme public. Celui-ci a trouvé logement et travail, l’Etat abritant 45% de cette population et a créé 121 quartiers neufs.65% des déplacés veulent revenir chez eux. A ce jour plusieurs centaines de famille ont réintégré leur résidence, sachant que souvent tout est à reconstruire… Depuis le début du programme de retour plus de 7 milliards d’euros ont été dépensés.

En mai 2023 le premier ministre Pachinian annonce reconnaitre la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Karabagh. A priori la situation devait s’éclaircir, et la portion restée hors contrôle de Bakou lui revenir. IL n’en est rien malgré les négociations. Un facteur vient compliquer les relations entre les deux Etats : le couloir de Latchine. Les autorités azerbaïdjanaises instaurent des points de contrôle à la fin de l’année 2022, sur la route reliant l’Arménie au Karabagh, route sous contrôle des troupes russes du FSB. Il est alors reproché à Bakou de procéder à une ébauche de génocide, car les transports humanitaires, alimentaires et sanitaires seraient empêchés de circuler, plongeant dans la détresse les 120 000 habitants de l’enclave. Il est répondu par Bakou que les contrôles ont été établis car des matériels militaires et des troupes étaient acheminés sous couverture à destination des autorités séparatistes. En outre d’autres routes sont possibles telle celle d’Agdam, mais les gouvernants de Stepanakert refusent cette option, considérant qu’ils seraient trop dépendants de l’Azerbaïdjan…Il n’y a donc pas de blocage inexorable, d’autant plus que l’été 2023 des camions russes humanitaires empruntent cette route d’Agdam sans problème.

Les évènements se précipitent à la fin de l’été. Suite à un incident meurtrier causé par une mine posée récemment à Fizuli, l’armée azerbaïdjanaise lance une « opération antiterroriste » le 19 septembre sur le Karabagh. En 24 heures l’offensive foudroyante (800 morts dont 400 militaires sont à déplorer) débouche sur la reddition des séparatistes, qui annoncent la dissolution de l’Artsakh au 1° janvier 2024, leurs troupes remettant leurs armes aux azerbaïdjanais. Cette opération suscite certes la condamnation du parlement européen qui dénonce le 5 octobre une « épuration ethnique » et d’Etats occidentaux, mais a bénéficié de la neutralité russe, qui a laissé faire sans réaction aucune.

En effet en quelques jours à peine la quasi-totalité de la population arménienne (il reste sur place au plus 20 000 personnes) fuit le Karabagh par la route de Latchine pour rejoindre l’Arménie, alors même que Bakou affirme haut et fort qu’elle peut rester sans danger, les dirigeants séparatistes l’incitant à l’inverse à fuir. La Cour internationale de justice le 17 novembre ordonne à l’Azerbaïdjan de permettre le retour en toute sécurité de toute personne ayant quitté le Haut Karabagh et qui souhaiterait y retourner et que toute personne qui serait restée sur place après le 19 septembre et qui souhaiterait en partir le fasse en toute sécurité, librement et rapidement. C’est là précisément ce que Bakou déclare officiellement haut et fort.

L’Azerbaïdjan est soutenu par la Turquie, bénéficie de la bienveillance russe et de l’aide militaire israélienne. D’aucuns affirment que les ressources fossiles du pays ne sont pas pour rien dans l’attitude quasi indifférente des Etats occidentaux et de l’Union européenne. L’Arménie déçue par Moscou se tourne néanmoins vers l’Europe et les Etats unis, pointant ce qu’elle définit comme une nouvelle menace : la perte de la région de Syunik.

Bakou veut relier son territoire à celui du Nakhitchevan, une exclave de 5500 km2 située au-delà de l’Arménie, par une voie de communication terrestre, dont le principe avait été acté par l’accord du 10 novembre 2020. Erevan promettait la sécurité des transports sous contrôle des autorités russes. Mais il est prétendu que le Président Aliev souhaite un statut d’extraterritorialité, et que ce corridor de Zanguezour serait le motif de la conquête territoriale de la région arménienne de Syunik qu’il traverse.

Il n’en est rien, d’autant plus que l’Azerbaïdjan dispose d’un « plan B » : celui d’une route passant par le territoire iranien, plus coûteuse mais plus intéressante pour Bakou, plan qui bénéficie de l’aval de Téhéran. L’Arménie y perdrait largement sur le plan économique en restant dans une impasse.

Mais la situation évolue très vite et favorablement.

Le 26 octobre, donc dans le sillage de la reconquête du Karabagh par l’Azerbaïdjan, Lors d’un forum international à Tbilissi(Géorgie), Le Premier ministre Nikol Pachinian a dit espérer la signature dans les prochains mois d’un accord de paix avec l’Azerbaïdjan. Ce sont là des propos raisonnables et prometteurs qui trouvent un écho favorable au bord de la Caspienne, où il est souhaité un traité de paix pour enfin établir des relations pacifiques et de coopération entre les nations du Caucase du sud. Cela vient de se concrétiser tout récemment. Le 7 décembre les deux protagonistes ont fait une déclaration commune (Administration présidentielle de la République d’Azerbaïdjan et Bureau du Premier ministre de la République d’Arménie) annonçant des « mesures concrètes visant à renforcer la confiance » pour apaiser leurs relations. Ils proclament qu’il y a une chance historique d’établir la paix sur la base du respect des principes de souveraineté et d’intégrité territoriale, et 32 militaires arméniens sont relâchés ainsi que deux militaires azerbaïdjanais à titre de geste de bonne volonté. De même l’Arménie appuie-t-elle la candidature de Bakou pour recevoir la 29° session de la COP 29 sur le changement climatique alors que l’Azerbaïdjan appuie la candidature arménienne au Bureau est européen de la COP. Enfin les deux Etats continueront leurs discussions sur l’établissement de mesures de confiance et appellent la communauté internationale à les aider dans leurs efforts pour bâtir une collaboration mutuelle et qui auront un impact positif sur toute la région du Caucase du sud. Acceptons-en l’augure.