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Monde

La Finlande et la Suède dans l'OTAN : quelles seront les conséquences

Le Dialogue

Le ministre finlandais des Affaires étrangères Pekka Haavisto (Centre) réagit lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du Conseil de l'Atlantique Nord (CAN) au siège de l'OTAN à Bruxelles le 4 avril 2023. Photo : Kenzo TRIBOUILLARD / AFP.

 

Un virage stratégique a été pris ces derniers jours lorsque les réticences de la Turquie d'Erdogan et l'incertitude de la Hongrie d'Orban ont été levées quant à l’entrée dans l’OTAN de la Finlande. Après la Finlande, c’est la Suède qui va encore devoir surmonter les derniers obstacles.

Toutefois, le vrai problème, ce sont les conséquences directes et indirectes de cette entrée au niveau international et dans la soi-disant « architecture de sécurité européenne » en gestation. En 1900, le traité de Tartu[1] et le pacte de non-agression mutuelle entre l'URSS et la Finlande aboutirent au mini conflit local de 1939. A cette époque, Staline disait littéralement : "Vous ne pouvez pas changer la géographie, nous ne pouvons pas non plus la changer, car Leningrad ne peut pas être transportée ailleurs, la frontière doit être déplacée plus loin", une phrase qui convient parfaitement à Poutine aujourd'hui... Comme on le sait, historiquement, la Finlande a su, au siècle dernier - cas unique parmi les pays scandinaves - très bien se défendre, même face à l'attaque de l’Armée rouge de Staline en 1939 1940, repoussant ainsi l’agression même si elle sera ensuite forcée par les traités de Moscou de céder la Carélie et d'autres territoires. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd'hui, à une époque d'armements à très haute résolution technologique qui garantissent la sécurité, même avec le parapluie protecteur de l'OTAN, cette défense de la Finlande seule face à la Russie devient beaucoup plus compliquée et difficile. Non seulement parce que, exactement comme l'Ukraine mais du côté nord, la Finlande borde directement la Russie, mais aussi parce que, comme cela s'est produit en Ukraine, les nouvelles mesures militaires techniques de la Russie préparées en réponse à l'adhésion à l'OTAN, peuvent s'avérer extrêmement périlleuses pour la Finlande.

De plus, la mer Baltique et la mer du Nord, toute proche, se transforment depuis des années en une mer peuplée de sous-marins russes qui possèdent également les redoutables missiles atomiques Poséidon, capables entre autres de provoquer un tsunami radioactif... En outre, une domination de la flotte russe s'est établie dans la mer Baltique et la mer Noire puis autour de la Finlande et de la Suède.

Rappelons que la Finlande appartenait pendant plus d'un siècle à la Russie des tsars Romanov, de 1809 à 1917, et qu’elle était un Grand-Duché héritier du trône de Russie, un peu comme la Principauté des Asturies en Espagne ou celle du Pays de Galles en Angleterre. La frontière entre la Russie et la Finlande est depuis longtemps devenue problématique et pour cela fermée à l'immigration russe, y compris d’une partie de ceux qui voulaient éviter de participer à la guerre. Le gouvernement finlandais sortant, dirigé avec efficacité et sagesse par la jeune et valide Premier ministre Sanna Marin, un gouvernement progressiste, a été récemment remplacé après les élections perdues de justesse, par une majorité de droite dirigée par Petteri Orpo et Riika Purra. L'Establishment issue de l'aile gauche est quant à elle fort favorable à l'adhésion à l'OTAN et a remporté les élections en jouant également sur d'autres enjeux, notamment ceux de l'économie et de l'immigration.

 

Le cas spécifique de la Suède et du Danemark voisins

A côté de la Finlande, la Suède apparaît plus uni politiquement sur la question de l'OTAN et pourtant la Suède plaide pour un rôle d’autonomie sur la défense quoi que en synergie avec la Finlande. Une synergie inévitablement étendue au Danemark, partenaire très actif de l'Ukraine dans l'aide militaire : on peut donner notamment l’exemple des systèmes défensifs actuels les plus efficaces à Odessa. Le Danemark a quant à lui toujours eu une bonne armée, tandis que la Finlande et la Suède ont toujours misé avec ténacité sur la neutralité et le pacifisme. 

 

Retour sur la Finlande en voie de « déneutralisation …»

La Finlande a d’ailleurs toujours été, géopolitiquement parlant, synonyme de pays neutre, par définition, à tel point qu'avant la guerre en Ukraine, beaucoup ont spéculé sur une solution diplomatique pour l’Ukraine sur le modèle de la Finlande, bref une « finlandisation » du territoire ukrainien, de ce fait transformé en un lieu neutre à l'extérieur et vers l'Europe. Aujourd'hui, cette hypothèse s'étant estompée, on assiste au phénomène inverse : une « déneutralisation » de la Finlande. Dans cet échiquier géopolitique complexe, le rôle des pays baltes anciennement soviétiques, apparaît central (en plus de l'enclave russe de Kaliningrad), car ils sont objectivement exposés aux visées expansionnistes russes, au point de constituer quasiment une alternative à l'expansion sur l'ensemble de l'Ukraine et jusqu'en Pologne dans le cadre d’une offensive russe. Bien qu'il s'agisse d'une hypothèse d'école, donc purement théorique, la Finlande pourrait un jour faire l'objet de revendications de la part des Russes, tant pour la sécurité militaire de la Russie que pour sa proximité avec Saint-Pétersbourg et pour son ancienne appartenance à la Russie dans le passé.

 

La menace de Poutine de prendre des « mesures militaires techniques contre la Finlande néo-atlantiste..

Lorsque la Russie parle de « mesures militaires techniques » à prendre contre la Finlande et la Suède, il est clair que le vocabulaire est très proche de celui utilisé peu avant l'invasion de l'Ukraine... En fait, la Russie a déjà pris des mesures pour renforcer ses défenses et sa force militaire dans la partie nord du pays, à la frontière avec la Finlande, notamment en augmentant ses forces aériennes et de missiles. Objectivement, cependant, la situation est désormais devenue paradoxale, la Russie devant colmater les fuites de son système de sécurité de toutes parts et se retrouvant - bien plus qu'avant l'invasion de l'Ukraine - entourée et encerclée par les pays de l'OTAN et par les frontières avec l'OTAN. Tout cela augmente également les risques d'accidents militaires aléatoires capables d'entraîner des conséquences incontrôlables tant pour l'OTAN que pour les Russes.

 

La guerre reste le moyen le plus primitif et le plus mauvais de résoudre les différends internationaux.

En voulant rejoindre l'OTAN, la Finlande et la Suède ont renoncé à leur rôle historique de maintien de la paix et de pays neutres voulant se tenir loin des guerres. Ainsi, les conséquences de l'élargissement de l'OTAN créent des problèmes sécuritaires supplémentaires et imprévus jadis pour la Russie. Les équilibres ont de ce fait radicalement changé, même dans les mers, car au sud, la flotte russe a désormais une présence vaste et quotidienne en Méditerranée, ce qui a changé tous les équilibres stratégiques, d’autant que l’armée russe a « acquis » la mer d'Azov et la quasi-totalité du contrôle de la Noire, à l'exception de la zone d'Odessa et de la zone turque, de sorte que la mer du Nord et la mer Baltique voient désormais une présence russe étendue mise en balance par rapport à l'extension de l'OTAN. Cette partie d'échecs peut avoir des issues très dangereuses et souligne en tout cas une fois de plus l'absurdité de l'opposition militaire croissante entre l'Est et l'Ouest et donc entre l'Amérique, l'Europe et la Russie et ses alliés. 

 

Les Vrais enjeux de cette troisième guerre mondiale en cours

En réalité, la société civile finlandaise et suédoise n'a pas changé et elle reste fondamentalement pacifique et pacifiste, mais les scénarios internationaux ont quant à eux bien changé… Ainsi, avec d’un côté une OTAN qui repose essentiellement sur la puissance militaire américaine puis britannique et française côte à côte, et, de l’autre, une Russie qui peut encore compter sur une aide militaire très fluctuante de ses alliés, c'est-à-dire souple et non explicite, même si l’on met de côté  la simultanéité scénarios de crise en Ukraine et en mer de Chine, une situation est en train d’émerger qui place la Finlande et la Suède, avec les pays baltes et l'Ukraine, sur la ligne de partage est-ouest, bref non pas comme un nouveau rideau de fer, mais plutôt dans une configuration de guerre qui s’installe dans la perspective stratégique de décider du nouvel équilibre mondial entre l'Amérique et la Chine, véritables concurrents en coulisses, bien au-delà de la volonté quasi marginale de l'Europe et de la Russie….

 


 


[1]Les traités de Tartu ou traités de paix entre la Russie soviétique (RSFSR) et l'Estonie puis la Finlande nouvellement indépendante, furent signés à Tartu, en Estonie, en 1920 après la guerre civile finlandaise, et après la guerre et une trêve le 1er janvier 1920 entre la Russie bolchevique et l'Estonie. Ces traités dits de Tartu reconnaissaient l'indépendance de l'Estonie et résolvaient les délimitations des frontières et transferts de souveraineté.