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Editos

Crise au Niger : le nouveau revers pour Emmanuel Macron et le jeu dangereux de l’administration Biden [ 2 - 2 ]

Le Dialogue

Après avoir évoqué les responsabilités françaises dans la crise actuelle au Niger la semaine dernière, le rédacteur en chef du Dialogue élargit le focus géopolitique et analyse le rôle des Américains dans cette affaire…

Washington et Paris ont, sous couvert de la CEDEAO, poussé pour que les sanctions les plus dures jamais mises en place depuis celles de 2010 en Côte d’Ivoire soient imposées au Niger mais à l’heure où sont écrite ses lignes,  l’ultimatum menaçant ce dernier d’une intervention armée a été de fait prolongé.

La CEDEAO avait donné une semaine aux putschistes pour rétablir le « Président démocratiquement élu » Mohamed Bazoum dans ses fonctions et avait annoncé une intervention si cette demande n’aboutissait pas. 

Or, on sent très bien que les pays africains membre de la CEDEAO sont divisés, tergiversent et essaient prudemment (et fort heureusement !) de prolonger les négociations et donc l’ultimatum initialement prévu pour une semaine. 

Et en effet, comme le rappelle Leslie Varenne, une nouvelle guerre en Afrique est la dernière chose dont aurait besoin le continent. La directrice d’IVERIS précise dans son analyse que « la CEDEAO et ses alliés vont ouvrir le feu sur un pays déjà en guerre sur deux fronts, Boko Haram au sud-est et l’État Islamique dans les Trois frontières. Ils vont donc faire la guerre à leurs frères d’armes qu’ils soutiennent dans la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, Nigériens et Nigérians luttent ensemble contre Boko Haram ». Elle ajoute : « le conflit s’internationalisera. L’Algérie et la Russie sont sur les mêmes positions, les deux États ont dénoncé le coup d’État mais sont viscéralement opposés à une intervention militaire. Preuve que l’affaire est prise au sérieux, le 2 août le chef d’État-major algérien, Saïd Chanegrina s’est rendu en Russie et Moscou a souligné le rôle d’Alger dans la sécurité régionale. Si l’intervention militaire voyait véritablement le jour - le pire n’est jamais certain - la déflagration serait majeure. Les opinions publiques africaines n’accepteront pas une nouvelle guerre menée par les Occidentaux, fût-ce derrière le paravent de la CEDEAO. Pour rappel, celles de 2011 en Côte d’Ivoire et en Libye, ont marqué le début du rejet massif de la politique française. Une nouvelle éjecterait Paris du Continent pour des décennies. En outre, dans le contexte actuel de l’Afrique de l’Ouest ce serait un séisme, un embrasement de toute la sous-région avec des conséquences terribles pour les civils. Sans compter le risque que cette déstabilisation ne profite aux djihadistes ou encore… que la Russie soit appelée en renfort ! La boucle serait alors bouclée... »

En attendant, Washington, qui compte près de 1000 soldats dans le pays, avec des drones et une base secrète de la CIA déclare à raison que le Niger constitue sa tête de pont dans la lutte antiterroriste. Mais le pays est aussi une place maîtresse en Afrique de l'Ouest face à Pékin et surtout Moscou. Cette présence américaine, comme le dit l'historien et consultant militaire Laurent Touchard, facilite aussi la crispation discrète des relations entre Niamey et Paris : dossier Areva, souvenir mécontent de l'intervention française en Libye… « De fait, la France cristallise un certain mécontentement qu'augmente sa présence militaire non négligeable, "détournant" ainsi l'attention des Américains ».

Pour l’instant, les États-Unis semblent privilégier la voie diplomatique… tout en confirmant et réitérant les menaces guerrières par le biais des déclarations de son Secrétaire d’État, Antony Blinken. Double-jeu ? Peut-être. La récente visite au Niger de la sous-secrétaire d'État Victoria Nuland peut nous laisser quelques doutes quant aux objectifs réels de cette mission… 

Assurément, Nuland a essayé surtout et d’abord, par la diplomatie, d’avoir des garanties auprès de la junte quant au maintien du partenariat stratégique avec Washington (contre le terrorisme), le non rapprochement, comme l’ont fait tous ses voisins, avec la Russie et surtout des promesses, nous allons le voir, sur le plan énergétique et les intérêts américains…

La nomination du général Moussa Salaou Barmou comme chef d’état-major par le nouveau pouvoir est peut-être un geste de ce dernier envers les Etats-Unis.

Et effectivement, ce général nigérien, patron des forces spéciales, est à présent le canal diplomatique privilégié des américains, puisqu’il a fait, notons-le, ses études dans la prestigieuse Université Nationale de la Défense… à Washington !

Un allié précieux donc pour les Américains dans la lutte contre le terrorisme et qui fut d’ailleurs ces derniers jours, le principal interlocuteur de la numéro 3 de la diplomatie américaine…

 

Une alternative guerrière de l’administration Biden ?

Pour autant, la propension de l’administration démocrate actuelle à choisir le court-termisme dans sa politique étrangère, la guerre avec le sang des autres et la stratégie du chaos au profit de ses seuls intérêts (comme en Ukraine et même au Soudan dont je reste persuadé de l’implication américaine dans le chaos actuel)  ne peut qu’inquiéter. 

A force de se focaliser sur l'influence russe en Afrique, on risque de passer à côté d'autres réalités tout aussi néfastes pour les intérêts français et européens.

Car un nouveau conflit majeur et fratricide dans cette zone serait, on l’a dit, cataclysmique, pour l’Afrique et l’Europe, avec une nouvelle crise migratoire de grande ampleur et incontrôlable.

Or si Barmou et les autres généraux au pouvoir à Niamey ne répondent pas favorablement aux exigences américaines citées précédemment, un conflit serait ainsi un cynique moyen pour l’administration Biden (comme au Soudan !) de contrecarrer l’influence russe en Afrique et la relative, mais réelle, stabilité engendrée par la nouvelle « amicale des dictateurs africains pro-russes ».

Aussi, comme le souligne encore Leslie Varenne, « un autre élément crucial n’est jamais évoqué : le pétrole nigérien. L’oléoduc entre le Niger et le Bénin qui devrait être opérationnel dans les semaines à venir est un tournant majeur pour l’économie du pays. Niamey s’apprête à devenir un exportateur d’or noir plus important que Malabo. (…) C’est un enjeu de taille autrement plus important que l’uranium qui fait couler tant d’encre et qui n’est stratégique ni pour la France, ni pour l’Union européenne. Le Niger est le cinquième fournisseur, loin derrière le Kazakhstan et le Canada ». Mais ce point a de quoi susciter tout de même quelques convoitises… notamment celles de Washington qui n’est jamais très loin lorsqu’il est question de pétrole…

Et surtout, on en parle peu, l’embrasement de la région remettrait en cause le projet de gazoduc Nigeria-Algérie (via le Niger) qui devait ravitailler l'Europe et donc concurrencer le GNL américain…

Que fera alors la France ? D’ores et déjà, la mise sur la touche dans son ancien pré-carré de la France est consternante mais les forces françaises ont été mise en alerte en Côte d’Ivoire, au Tchad et à Djibouti. Et la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, avait déjà fait valoir « son unité de vues avec Antony Blinken »…

Ce nouveau suivisme américain béat risque fort de nous coûter très cher… comme à tous les Africains !

Pour paraphraser Pierre Yves Rougeyron, en Afrique comme ailleurs, le Diable peut très bien s’habiller en sarafan russe ou en chapka mais il peut aussi se coiffer d’un stetson !