Accueil recherche MENU

Monde

La paix en Ukraine, réalité ou utopie?

Filippo MONTEFORTE
Filippo MONTEFORTE / AFP

La paix est-elle possible en Ukraine ? quand, comment, où ? et avec quelles modalités diplomatiques techniques ?... Pour le philosophe et spécialiste de la géopolitique russo-ukrainienne Leonardo Dini, présent sur place en Ukraine dans la région de Lviv depuis le début de la guerre, la paix qui semble pour l’heure impossible ne pourra être envisageable que si l'équilibre des pouvoirs dans l'architecture de sécurité européenne actuelle est redéfini. Emboîtant le pas aux propositions d’Emmanuel Macron exprimés début décembre et qui ont déplu aux plus zélés défenseurs  atlantistes de Kiev, cette nouvelle « architecture de sécurité européenne et eurasiatique » est à envisager dans le cadre indéniable d’un monde de plus en plus multipolaire à l’aune du rôle émergent d'une Europe plus « eurasiatique » et d’une autonomisation progressive des pays du Moyen-Orient et de l'Extrême-Orient tels que la Chine, l'Inde, l'Iran et la Turquie. , et Emirats, face à l’unilatéralisme étatsunien et à l’hégémonie occidentale.

Aucune guerre n'est infinie ou éternelle, chaque guerre se termine dans la paix. La guerre de Trente Ans (1618-1648), semblable à l'actuelle, s'est terminée dans la paix. L'espèce humaine est faite pour la paix, pas pour la guerre. La fin des guerres sur la planète marquera une étape décisive pour l'évolution de l'humanité dans le Cosmos. Les mêmes énergies qui se consacrent de manière irresponsable aux armes et aux guerres sont plus que suffisantes pour créer une époque extraordinaire de progrès scientifique et qui peuvent améliorer et étendre de manière exponentielle la qualité, la durée et le potentiel de la vie et de l'espèce humaine.

La guerre est le pire des maux possibles. Ainsi, la France, l'Espagne et l'Italie sont attachées à la paix et au soutien de l'Ukraine envahie. La Russie se consume dans une guerre fratricide entre Caïn et Abel, laquelle s'avère être - sachant culture et l'origine de ces deux peuples sont communes - une guerre civile entre Slaves, entre le peuple de Moscou et le peuple de Kiev, l'ancienne capitale républicaine de l'URSS, entre orthodoxes orientaux et occidentaux.

Dans le plan de Poutine, du patriarche Kirill et l'ex-président et premier ministre Medvedev, la "Nova Rossja", la "nouvelle Russie", est née en y appelant la "génération Z", les vingtenaires d'aujourd'hui, les "Millennials", à repeupler l'Ukraine et à la coloniser avec des croyants orthodoxes et fidèles au Kremlin, en leur offrant des logements gratuits et emplois à Marioupol comme dans toutes les régions reconquises à la cause russe. Cependant, de même que Hong Kong, même avec tous les défauts du capitalisme britannique, s'est mieux portée dans l'indépendance vis-à-vis de la Chine, de même l'Ukraine américanisée ou, si l'on préfère, européanisée est et ne sera pas, en tant que telle, une menace pour Moscou. a contrario, la démocratie est au contraire une menace en tant que contre modèle pour la Russie, une démocratie qui, pour le meilleur ou pour le pire, existe et fonctionne en Ukraine, alors que les Russes et les Biélorusses s'appuient toujours sur un père maître de type tsariste-stalinien. 

L'Ukraine est déjà l'Europe, elle est un pays pleinement européen en termes d'histoire et de culture, elle a objectivement un excellent niveau de civilisation et elle est à la frontière entre l'Europe et l'Eurasie. Par exemple, à Sambor, l'endroit où j'ai vécu pendant mes séjours en Ukraine depuis quatre ans, une moitié de la ville a été construite par des architectes autrichiens dans le style Art Nouveau au début des années 1900, la dernière de l'Empire autrichien expérimentée dans le territoires aux confins de l'Empire. En même temps, il y a aussi beaucoup de bâtiments soviétiques dans le style constructiviste communiste, qui ne peuvent pas être comparés esthétiquement aux autrichiens: ils ressemblent à des logements sociaux, mais nous parlons de l'URSS communiste fondamentaliste qui voulait rendre tout le monde identique, créant des aberrations, comme celui que je vérifie toujours ici pour lequel aussi bien le terrain que les maisons de campagne et les maisons avec jardin en banlieue sont tous les mêmes et ont tous le même périmètre... Rappelons que personne à l'époque de l'URSS ne pouvait avoir un pouce de propriété de plus que les autres. Apparemment, elles ressemblent aux maisons en série de la banlieue londonienne. En réalité elles sont l'héritage de la méthode soviétique totalitaire. En Ukraine, depuis 1991 règne une laïcité et un agnosticisme de masse qui représentent un danger pour l'Église orthodoxe, celle-là même qui pourtant vivait comme une Église du silence, au temps de l'URSS.

La Paix est toujours possible

Cela nous ramène à la question de la paix: une option et une voie de paix pourraient surgir, de manière inattendue, précisément depuis l'Église orthodoxe et dans le cadre d'un dialogue véritablement informel avec le Pontife romain, bref grâce à un accord interreligieux et un dialogue œcuménique entre le patriarche de Moscou et celui de Kiev, sans oublier l'aide de celui, grec-orthodoxe, d'Athènes, En même temps, ce chemin de paix ne peut manquer de passer par la reconnaissance mutuelle des deux États indépendants et souverains, ukrainien et russe, et des deux Églises, à nouveau sœurs solidaires et en paix. Bref, une Nouvelle Russie qui n'annule pas l'Ukraine.

De plus, le président russe, contrairement au tsar Alexandre et à Staline qui l'inspiraient, ne va jamais au front pour se battre et risquer directement sa vie, or la leçon de l'histoire de Borodino à Waterloo, du siège de Kiev à celui de Stalingrad, dans la Seconde Guerre mondiale, démontre que Poutine agit de façon fort contradictoire. Malheureusement, c'est aujourd'hui l'Église orthodoxe de Kirill qui encourage la croisade, la guerre sainte qui cette fois n'est pas tournée contre Napoléon ou Hitler et Mussolini, mais plus généralement contre l'Occident. D'ailleurs, le patriarche Kirill a été dans le passé soviétique ex-agent du Kgb, donc probablement un ex-collègue de Vladimir Poutine à l'époque de l'URSS. Toute cette croisade lancée par la Russie ravive l'obsession anti-occidentale qui unit talibans, jihadistes, extrémistes sunnites et chiites, Iraniens, Arabes et fondamentalistes des Emirats, en plus d'une partie de l'Afrique, or ce front crée un tsunami, une avalanche obscurantiste anti-occidentale qui promeut un nouveau Moyen âges. En fait, si le respect de la culture, de la religion et de l'histoire est juste et légitime, la manipulation qui exploite la tradition pour faire justifier et déchainer la violence et la guerre ne l'est pas. Ceci est également valable en Ukraine qu'au Moyen-Orient, où la paix en Palestine entre Juifs et Arabes et celle entre sunnites et chiites, et entre fondamentalistes chrétiens et fondamentalistes islamiques, mille ans après les vraies croisades, reste encore une utopie... Une deuxième voie plus réaliste vers la paix réside dans la création d'une communauté commune d'États indépendants, donc une UE plus une Union euro-asiatique, qui unirait les non-occidentaux et les Occidentaux de Pékin à Lisbonne, de Moscou à Paris, dans une alliance économique commerciale précisémment, face au projet de l'EurAsie qui se construit à tort en ce moment avec les armes. La seule alternative à ce projet de paix continentale risque d'être une invasion globale de l'Europe par la Russie de l'Europe de l'Est ou plus, territoire qui deviendrait pour longtemps une partie de l'Asie, ou alors dans un scénario moins terrible mais insatisfaisant de rupture, un nouveau rideau de fer, pire que le précédent, qui rétablirait définitivement la séparation de l'Europe continentale en deux camps irréductiblement ennemis. 

Construire la paix, en revanche, suppose plusieurs étapes : 

-Etape 1 l'adhésion effective de l'Ukraine à l'Europe, adhésion déjà maintenant acceptée par la Russie.

-Etape 2 : la création d'un marché économique et financier commun euro-asiatique, utile à tous, y compris aux oligarques russes et aux banques d'affaires de Londres, aux compagnies pétrolières américaines et aux émirs du Golfe, sans oublier les investisseurs chinois comme ceux de Wall Street . 

-Etape 3 : la reconnaissance des frontières entre la Russie et l'Ukraine: si la Donbass a été effectivement donnée par Lénine à l'Ukraine, comme la Crimée l'a été par Khrouchtchev, cela ne signifie pas que l'Ukraine n'a pas le droit d'exister ou d'inclure ces territoires en elle-même. Il convient de rappeler en passant que l’Ukraine, durant la période soviétique, donc jusqu’en 1991, avait un siège plein aux Nations unies à l’instar de la Biélorussie, elle disposait donc d’une réelle autonomie juridique officielle depuis 1945 reconnue par la Russie et l’Urss, sachant que Kiev et non Moscou était la capitale de l'Urss Républicaine.

Une autonomiae qui, dans la Fédération américaine, était  réclamée longtemps par le Texas, mais sans siège autonome à l’ONU. L’Ukraine elle, est certes un État récent qui existe depuis à peine un siècle et qui n'a été défini dans sa forme actuelle que depuis 1991, mais c'est aussi l'État avec la capitale Kiev, ville russe historique et foyer de la culture, de l'histoire et de la religion russes....

Troisième hypothèse de paix

il convient de relancer une reconstruction de l'architecture sécuritaire en Europe, à travers la mise sur pied d'un nouveau Yalta ou un Minsk 2, avec pour protagonistes, pour une fois ensemble, Biden, Zelensky, Macron, Van Del Leyden, Poutine, Xi, Loukachenko et Erdogan, tous réunis en un lieu neutre qui pourrait être la Suisse, Israël ou la Turquie. Le but serait de penser aux nouvelles frontières entre l'Est et l'Ouest, entre l'Ouest et l'Est et entre l'Europe et l'Asie.

Qu'en adviendrait-il ? Un nouvel équilibre mais tour à tour éphémère puisque tant les accords de Yalta, valables depuis moins d'un siècle, que ceux de Minsk, furent aussitôt désappliqués.

Les nouvelles frontières ne peuvent l'être que si l'on renonce à la guerre comme instrument de règlement des différends internationaux comme l'enseignent les constitutions les plus avancées, à commencer par les constitutions italienne et française.

Un chemin vers la paix existe et est possible, il appartient aux protagonistes de l'histoire de devenir protagonistes de la paix et de l'amorcer.

Russes et Ukrainiens sont appelés à redécouvrir leur fraternité originelle pour redevenir amis et non rivaux, pour redécouvrir le sens de leur origine et de leur histoire dans la paix et le respect. 

Concrètement, l'Ukraine pourrait reconnaître une partie des zones minoritaires russes historiques ou russophones pro-russes, documentées depuis 1600 comment ayant été apartenantes à la Russie, et la Crimée pourrait à la place avoir un statut de région autonome partagée entre la Russie et l'Ukraine (“co-souveraineté” comme Monaco et Andorre), puis la Russie demeurerait de facto dans le Donbass comme cela s'est produit avec l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud en Géorgie, sans reconnaissance officielle de la souveraineté russe mais avec un droit de regard russe comme Minsk le prévoyait déjà. Toutefois, il faut pour cela déjà construire, avec un Minsk 2, une gestion économique, financière et des ressources communes et partagées tant dans le Donbass qu'en Crimée. Un statut spécial bipartisan et une gestion partagée entre l'Ukraine et la Russie des territoires contestés sont indispensables et doivent être sanctionnés par un Minsk 2 ou une « paix d'Istanbul » en 2023, une paix garantie hypothétiquement par Erdogan et Israël comme États médiateurs. Avec pour conséquence supplémentaire un rapprochement entre les deux médiateurs, entre la Turquie et Israël, utile à la pacification au Proche-Orient. La Russie devrait quant à elle rendre au moins les régions de Zaphorizja et de Kherson à l'Ukraine. La Russie pourrait reconnaître l'Ukraine dans l'Union européenne et donc assouplir le veto à l'adhésion à l'OTAN, dépassant l'équivalence entre l'OTAN et le nazisme qui est objectivement une absurdité logique dans la rhétorique du Kremlin. La Suède, la Finlande, les pays baltes membres de l’ex URSS sont nés parce que l’on s’est assurés qu’ils ne pouvaient pas menacer la Russie. Mais quid de l’Ukraine? Un accord comme ceux de Salt entre Reagan et Gorbatchev suffirait à réguler la frontière entre l'Est et l'Ouest qui ne serait plus vécue comme un encerclement progressif par la Russie, mais comme un élément de défense commun, surmontant l'antagonisme entre la Russie et l'OTAN. Une Ukraine indépendante serait par contre clairement dans l'UE et l'OTAN si elle parvenait à surmonter l'attaque qu’est l'invasion russe.

Une Ukraine soumise à la Russie serait en EurAsie et dans l'Union euro-asiatique, mais elle le serait de force, contre la volonté des Ukrainiens qui se sentent pas et ne sont pas Russes mais se sentent européens-occidentaux et ont toujours été intégrés à la culture et à l'histoire européennes. Enfin, Kiev devrait être comme Jérusalem une ville partagée entre la Russie et l'Ukraine avec un statut particulier de ville indépendante, reconnaissant l'origine de la Russie et l'histoire récente de la capitale ukrainienne et, comme Jérusalem, elle serait la capitale mais aussi un lieu universel partagé entre deux civilisations, corollaire indispensable : il faudrait préalablement une réconciliation entre Ukrainiens et Russes orthodoxes qui reconnaissent Kiev comme capitale religieuse et origine commune, surmontant ainsi l'antagonisme des deux patriarcats. Il s'agit en fin de compte de décider si l'Ukraine est l'Europe ou l'Asie : en dernière analyse, il s’agit de la frontière historique entre l'Europe et l'Asie.