Accueil recherche MENU

Ukraine/Russie

Pierre Berthelot : « La guerre en Ukraine est la chronique d’une défaite annoncée pour Kiev et l’Occident »

Le Dialogue

Pierre Berthelot est géopolitologue, chercheur associé à l’IPSE et directeur de la revue Orients Stratégiques, publiée aux éditions L’Harmattan. Dans un entretien  vidéo exclusif  pour la chaîne YouTube du Dialogue, l’expert en relations internationales analyse la situation actuelle de la guerre en Ukraine et ses conséquences pour l’Europe et le monde.

 

Par Angélique Bouchard

 

Beaucoup d’experts occidentaux, y compris anglo-saxons ont douté du succès de la contre- offensive ukrainienne à partir du moment où elle n’était pas soutenue par une aviation ou une artillerie puissante. Outre leur ligne de défense, la piètre qualité de leurs équipements n’était pas suffisante pour espérer reprendre les territoires conquis par les russes et réaliser cette fameuse percée qui aurait dû les amener jusqu’à la mer d’Azov. « Sur les pertes, il est toujours difficile d’avoir des chiffres car l’armée ukrainienne ne communique pas sur ses pertes. Il y’a un effet sur le moral considérable et lorsqu’on a des sources par recoupements, on peut savoir que les pertes étaient très élevées. Si vous n’avez pas de couverture aérienne, c’est compliqué », rappelle Pierre Berthelot.

 

L’adhésion de l’Ukraine à l’UE : « Tout dépend dans quelle dimension temporelle on se projette »

Si l’on se place sur le long-terme, ce projet d’adhésion n’est pas totalement « farfelu ». Dans 10 à 20 ans, les relations entre la Russie et l’Ukraine peuvent évoluer vers la réconciliation. Si l’on se projette à court ou moyen terme, cela est très problématique. Pour le géopolitologue, « il n’y’a pas seulement la question économique, il y’a aussi l’examen des conditions politiques : Quid de la liberté d’expression en Ukraine même ? Dans le territoire contrôlé par le gouvernement de Kiev vis-à-vis de ceux qui pensent qu’il faut garder de bonnes relations avec la Russie ; On ne peut pas abolir totalement la culture russe dans ces territoires ».

Il ajoute : « On peut aussi s’interroger sur l’indulgence de Kiev vis-à-vis de figures controversées de l’Histoire contemporaine, comme certaines figures nationalistes ultra-controversées qui ont collaboré avec l’Allemagne nazi pendant la seconde guerre mondiale comme Stephan Bandera. Cela semble aussi contradictoire avec nos valeurs européennes »

De plus, si l’Ukraine rentre dans l’Union européenne, « cela sera plus le problème des européens que celui des russes parce qu’il nous faudra supporter les difficultés économiques de l’Ukraine et l’on sait que tout ce que l’on a apporté comme aide jusque-là aux anciens pays communistes, ça sera une partie de plaisir par rapport à l’aide qu’on devra apporter à l’Ukraine, là où les difficultés sont considérables », souligne Pierre Berthelot.

 

« On confond adhésion à l’UE et future adhésion à l’OTAN »

Pour l’expert : « Le problème de l’union européenne, c’est qu’elle lie adhésion à l’UE à l’adhésion à un projet global qui est favorable aux intérêts américains. Les européens n’arrivent pas à comprendre qu’un pays puisse rejoindre l’union européenne sans rejoindre par la suite l’OTAN.  En Moldavie, une partie non négligeable de la population soutient la Russie.  Quand on voit les scores réalisés par les partis pro -russes ou euro sceptiques, ce n’est pas marginal. C’est presque la moitié et ces partis sont considérés comme affidés et affiliés à la Russie »

Tous ceux qui ont une expression différente de cette logique euro-atlantiste, sont considérés comme des ennemis de l’Etat comme en Ukraine. C’est la même logique en Moldavie. « Ces moldaves qui gardent de bonne relations avec Moscou sont plutôt dans une relation d’équilibre mais ils sont inquiets d’un rapprochement avec l’UE car c’est pour eux un rapprochement accéléré vers l’OTAN, c’est-à-dire la guerre. C’est une population inquiète »

 

La corruption et l’Ukraine : « On doit avoir une exigence de vérité » 

L’UE a dépensé plus de 80 milliards d’euros de soutien à Kiev. Ce conflit semble interminable. L’arrestation d’un Oligarque parrain de Volodymyr Zelensky, corrompu et corrupteur est un bon symbole mais inversement des dizaines de milliers de jeunes ukrainiens ont réussi à échapper au combat sur le front en échange de sommes qui ont été versées aux bureaux de recrutement.

« Tout ceci met un doute sur la capacité du gouvernement ukrainien à aller jusqu’au bout de ses intentions », souligne Pierre Berthelot.

De plus, pour évaluer le niveau de corruption en Ukraine, il faudrait des autorités indépendantes pour le faire, or, pour Berthelot, « ceux qui évaluent le degré de corruption sont plutôt bienveillants avec Kiev, notamment un certain nombre d’organisations occidentales qui minimisent le degré de corruption de l’Ukraine pour continuer à lui verser de l’argent. Il ne faut pas qu’ils perdent le soutien des opinions publiques américaine et occidentales ».

Les gouvernements occidentaux sont, dès lors, obligés de montrer qu’ils engagent une lutte active contre la corruption en Ukraine et plus, si Kiev veut rentrer dans l’UE : elle doit faire des efforts sur ce points -là. « Avant 2022, la baisse de la corruption était marginale en Ukraine. On a été très indulgent avec la corruption en Ukraine au même titre que l’on a été très indulgent avec la collusion ukrainienne avec les mouvements collaborationnistes parce qu’il faut être capable de conserver l’adhésion des populations, sans quoi l’aide économique et la livraison d’armes chutera drastiquement »…

 

« L’Europe a beaucoup d’atouts mais son handicap principal reste l’approvisionnement énergétique ». 

Elle en produit de moins en moins puisqu’elle sort du nucléaire. Les ressources disponibles diminuent. Finalement derrière les atouts que possèdent l’Europe, subsiste un handicap majeur. Jusque-là on avait trouvé un moyen de compensation le plus rationnel qui était la coopération énergétique avec la Russie. L’Allemagne se trouve en récession cette année et va réaliser les plus mauvais chiffres dans l’UE et probablement dans le G7. Le géant industriel allemand a besoin d’une énergie à bon marché. 

Pierre Berthelot note qu’« avec la dédollarisation et la crise ukrainienne, on l’a vu, si vous n’êtes plus dans les bonnes grâces de Washington, on peut confisquer vos avoirs ». Or les principaux pays qui composent les BRICS ne sont pas sur des jugements de valeurs.  « L’erreur que l’on commet en occident, est de penser que notre modèle est le meilleur et que l’on ne comprend pas pourquoi les autres pays n’adhèrent pas au modèle libéral, libertaire qui promeut le wokisme », conclut l’expert.