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Monde

Comment la Russie a changé le Moyen-Orient

Le Dialogue

 

 

La leçon, en politique, n’est pas de créer une crise, mais d’être capable de la résoudre. Au cours des dix dernières années, la diplomatie russe au Moyen-Orient, a pu y changer la carte des équilibres régionaux et contribuer à clarifier un nouveau caractère des relations entre cette région avec le reste du monde. L’intervention militaire de la Russie en Syrie, de l’automne 2015 jusqu’à nos jours, a effectivement changé la donne.  L’on peut dire sans exagération  que la diplomatie russe au Moyen-Orient était le principal facteur externe façonnant le développement des événements sur la scène internationale. Cette politique a même transformé le rôle des États-Unis en une ombre qui s’estompe sur la scène régionale.

Nonobstant, cela ne veut pas dire que la région était dépourvue des facteurs du pouvoir, qui ont changé le paysage. Cela ne signifie pas non plus que les États-Unis et leurs alliés (ou leurs concurrents) sont également dépourvus des facteurs qui les ont façonnés, ni que l’ensemble de la scène a atteint un équilibre durable à moyen terme. 

Dans ce contexte, il convient de noter que la nouvelle diplomatie russe dans la région représente une des réactions de la Russie vis-à-vis des sanctions américaines et européennes après la guerre de la Russie en Crimée (stratégiquement située entre la Russie et le monde), et son annexion en 2014. En d’autres termes, nous dirons que la diplomatie russe au Moyen-Orient est étroitement liée à la guerre en cours en Ukraine. Étant donné que le cours ainsi que la destinée de cette guerre a et aura des répercussions politiques, économiques et militaires au Moyen-Orient. L’intervention militaire russe en Syrie a eu lieu une année après la guerre de Crimée. La Russie annexant la Crimée, voulait exprimer aussi  son mécontentement que son  refus de la politique occidentale essayant toujours de l’isoler. Elle s’est donc résolue à utiliser son hyperpuissance militaire que les Occidentaux sous-estime, pour faire fonctionner de nouveaux moteurs de sa diplomatie dans ses zones d’embrouillement géostratégique du Moyen-Orient, de l’Extrême-Orient et de l’Asie centrale. La Russie est bel et bien une réalité géostratégique solidement enracinée au cœur du monde. Et ce serait une grave erreur de nier son existence ou de tenter de l’isoler. Bien sûre, je parle de la Russie, pas de Vladimir Poutine, et je dis que la guerre actuelle en Ukraine est une guerre contre la Russie, pas du tout une guerre contre Poutine. 

 

Les nouveaux rouages de puissance

La diplomatie russe dispose de nombreux outils qu’elle peut utiliser pour atteindre ses objectifs qu’exige sa sécurité nationale. La guerre a mobilisé le dynamisme de ces outils, les transformant en facteurs propulsif, réouvrant des voies barrées à la diplomatie. Et ce pour remodeler le paysage au Moyen-Orient. Depuis la fin de la guerre de Crimée, quatre facteurs russes ont joué, et continuent de jouer, un rôle clé qui n’a pas remodelé seulement le paysage régional au Moyen-Orient mais aussi celui des relations entre cette région et le reste du monde. Les quatre facueurs mobilisés sont les armes, l’huile, le blé puis le rouble qui a finalement rejoint les trois premiers. Grâce au pétrole, la diplomatie russe a su trouver une nouvelle formule aussi simple qu’ingénieuse pour remodeler ses relations avec l’Arabie saoudite et les États du Golfe, exportateurs de pétrole.  La nouvelle formule a été rapidement réalisée après la fin de la guerre de Crimée. Elle s’est incarnée dans la formule institutionnelle de la formation du groupe « OPEP+ » en 2016, dont la Russie dirige une aile, à savoir les exportateurs de pétrole non-membres de l’OPEP, tandis que l’Arabie saoudite dirige l’autre aile, qui comprend les pays exportateurs de l’OPEP.

Il est nécessaire d’attirer l’attention sur le fait que l’OPEP+ est une « alliance d’égaux », non basée sur la domination de l’un des membres sur les autres.  Une alliance basée sur l’équation de coopération (gagnant-gagnant), non sur une équation de conflit à « somme nulle » qui donne  au gagnant le plein droit de récolter tous les bénéfices. C’est pourquoi la formule « OPEP+ » est née forte et a survécu jusqu’à présent malgré les pressions intenses des États-Unis. Le plus important encore est que cette formule est devenue un nouveau point d’entrée pour le développement des relations russes avec l’Arabie saoudite et les États du Golfe. 

Avec la mobilisation du facteur pétrolier pour faire avancer la diplomatie russe au Moyen-Orient, d’autres facteurs ont été plus ou moins mobilisés ; la diplomatie du blé et des produits alimentaires tels que les huiles comestibles a effectivement joué un rôle important dans le développement des relations avec l’Égypte, l’Algérie et les États du Golfe. Ainsi la diplomatie des armes a-elle joué un rôle central dans le développement des relations avec la Syrie, l’Iran et l’Algérie. Enfin, la diplomatie russe a commencé à déclencher un nouveau facteur pour pousser ses relations avec la région vers un horizon complètement nouveau, visant à établir un nouveau système monétaire (bâtie sur une base solide d’or et de ressources naturelles) et établir un réseau de relations économiques entre les pays qui partagent les intérêts durables avec la Russie. Plutôt que le rouble  soit le symbole d’une Russie vaincue, le paradoxe dont nous nous rendons compte actuellement est que le rouble est devenu un support de la diplomatie russe dans quatre domaines: 

  1. – L’Union économique eurasienne qui comprend actuellement le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Arménie et la Biélorussie avec la Russie, et à laquelle l’Iran sera bientôt lié.
  2. - La Chine, la plus grande puissance industrielle et commerciale du monde.
  3. - Le groupe BRICS, qui comprend le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud ainsi que la Chine et la Russie.
  4. - Le Moyen-Orient, surtout après l’annonce du 17 janvier de la Banque centrale russe relative à la mise en place d’un mécanisme de conversion directe entre le rouble russe et trois monnaies des pays de la région: le dirham des Émirats arabes unis, le riyal qatari et la livre égyptienne.

Si la Russie parvient à jeter les bases d’un système monétaire mondial, parallèle au système monétaire actuel dominé par le dollar et les États-Unis, nous pourrions voir pour la première fois dans l’histoire du monde une structure monétaire multilatérale basée sur la diversification des zones monétaires (Le dollar, l’euro, le yuan, le rouble).


Les caractéristiques de la scène politique internationale actuelle

Afin de résumer la scène à la lumière des résultats du travail des nouveaux facteurs de la diplomatie russe et d’autres facteurs au Moyen-Orient, nous observons les caractéristiques fondamentales suivantes :

Premièrement, la Russie est intervenue en Syrie alors que le régime du président syrien Bachar el-Assad s’approchait à grands pas de la chute,  la guerre civile syrienne étant à son apogée. La situation semble maintenant tout à fait opposée, car le régime du président syrien - depuis 2011 - n’a jamais été plus fort qu’aujourd’hui ; la guerre civile a presque cessé. Les résultats de la diplomatie russe ne se sont pas arrêtés là. Elle s’applique actuellement à établir des relations stables au sein du triangle Turquie-Syrie-Iran, ce qui contribuera à créer une paix durable dans cette région.

Deuxièmement : L’émergence d’une alliance politico-économique et militaire entre la Russie et l’Iran, encore en cours de formation et de croissance. Une telle alliance confirme l’unité des intérêts géostratégiques des deux pays et répond au besoin de la Russie d’accéder en toute sécurité aux eaux chaudes de l’océan Indien à travers l’Iran. De plus , tout cela se fait actuellement en développant « l’axe Nord-Sud » et en promouvant un accès sûr aux eaux chaudes de la Méditerranée via la mer Noire et la Syrie.  L’importance des armes dans l’alliance russo-iranienne est centrale. 

Troisièmement : La nouvelle diplomatie russe au Moyen-Orient a pu fournir un espace vital (politique et moral) censé aider l’Arabie Saoudite et les États du Golfe à redessiner leurs relations avec le monde à partir du principe de « l’indépendance de la politique étrangère ».  Et ce après de longues décennies de « Diktats américains » au moyen desquels Washington a exercé un rôle dominant sur les intérêts des États arabes du Golfe dans le domaine pétrolier et dans celui des armes. Le sommet Riyad-États-Unis de juillet dernier a prouvé l’échec américain au Moyen-Orient. Puisque l’Arabie saoudite, « actuellement l’État arabe pivot », a refusé la politique pétrolière que Washington voulait imposer. Quant aux États arabes dans leur ensemble, ils ont rejeté l’idée d’une alliance militaire régionale à laquelle ils participeraient.

En fin de compte, nous pouvons conclure que la nouvelle diplomatie de la Russie au Moyen-Orient, avec ses quatre facteurs combinés, reflète une maturité de ses capacités et une transition de la dépendance à l’égard d’un facteur idéologique de politique étrangère à des facteurs pragmatiques de nature entrelacée. Grâce à de tels facteurs, la Russie évite de tomber dans le piège de la polarisation politique ou de prendre des positions tendues pour des raisons contingentes, ce qui se révèle dans les relations russes avec des pays tels que l’Égypte, l’Arabie saoudite, l’Iran, la Turquie et Israël.