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Monde

Procès du Président

Le Dialogue

Le 25 janvier 2023 s’est ouvert le procès de Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien président de la République de Mauritanie. Il a occupé ce poste pendant dix ans (de 2009 à 2019). Après avoir quitté le pouvoir, une commission d’enquête parlementaire l’a soupçonné d’être impliqué dans des activités financières illicites. En conséquence, le parquet l’a accusé en mars 2021 de corruption financière : blanchiment d’argent et enrichissement illégal. Il a été arrêté avant même le début des audiences.

Le paradoxe est que le procès du président mauritanien n’a pas eu lieu à la suite d’un coup d’État ou d’un soulèvement populaire. Tout au contraire, cela s’est fait sous la même constitution et la même loi qui existaient pendant son mandat. Le président actuel, l’un de ses amis, a aussi servi dans son gouvernement d’abord en tant que chef d’état-major de l’armée, puis en tant que ministre de la Défense.

Le plus étrange encore est que le procès se déroule conformément à la loi anti-corruption, approuvé par le Parlement sur la proposition de Ould Abdel Aziz. Cette loi a été adoptée en 2016. La grande majorité des juges qui ont examiné le dossier étaient nommés par lui lorsqu’il présidait le Conseil Judiciaire Suprême.

Quelle que soit l’issue de ce procès, et que les accusations soient réelles ou qu’il s’agisse d’un règlement de compte politique, ce qui se passe en Mauritanie est tout à fait rare dans la vie politique arabe.

Cette situation est différente de ce qu’il s’est passé en Égypte, en Tunisie après 2011, et au Soudan après 2019, lorsque les présidents de ces pays ont été jugés après des soulèvements populaires aboutissant aux changements de régimes. Il diffère également des cas de présidents jugés soit après des coups d’État soit à la suite des soulèvements, tels que Chun Doo-hwan en Corée en 1979, le président indonésien en 2000, le président philippin Joseph Strada en 2001 et le président péruvien Alberto Fujimori, qui a été jugé et condamné quatre fois : la première  en 2007 pour abus de pouvoir ; la deuxième et la troisième en 2009, pour violence excessive contre les manifestants, détournement de fonds et corruption.

Il y a tant de procès de chefs d’État en Afrique. Leurs procès ont à chaque fois eu lieu après avoir quitté le pouvoir lorsque des poursuites ont été lancées contre eux. Les accusations étaient fondées sur l’abus de pouvoir, la corruption financière, le recours à la violence, les crimes contre l’humanité et le génocide. Plus particulièrement, Jean Bokassa a dirigé la République centrafricaine toute une décennie, de 1966 à 1976, jusqu’à ce qu’il soit renversé par un coup d’État militaire, après quoi il a quitté le pays pendant sept ans, y revenant en 1986. Il a été condamné à mort. La peine de mort a ensuite été commuée en dix ans de prison. En fin de compte, le président condamné a bénéficié de la grâce présidentielle en 1993. Il en va de même pour le procès du président malien Moussa Traoré, qui a été condamné à mort deux fois : une fois en 1993 et une fois en 1999, mais les peines n’ont pas été exécutées en raison de grâces présidentielles. Il s’agissait également du procès par contumace du président éthiopien Mengistu Haile Miriam en 2007 pour génocide, qui a conduit à une condamnation à perpétuité et à la peine de mort en 2008.  C’était aussi le cas de Marc Ravalomanana, président de la République de Madagascar, qui a également été jugé par contumace et condamné aux travaux forcés à perpétuité en 2014.

Des présidents ont été jugés par des tribunaux spéciaux mis en place par l’Union Africaine, comme Charles Taylor, Président du Libéria, qui a comparu devant le Tribunal pénal spécial en Sierra Leone en 2003 et a été condamné à 50 ans de prison. Hussain Habré a représenté le président du Tchad, jugé par la Cour spéciale africaine au Sénégal en 2016 et reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

La Cour Pénale Internationale (CPI) a entendu des accusations contre des chefs d’État, échouant dans certains cas et obtenant gain de cause dans d’autres. Un exemple d’échec est celui du président soudanais Omar el-Béchir, qui a été inculpé par la Cour en 2009 pour crimes contre l’humanité au Darfour et a émis un mandat d’arrêt contre lui, mais il n’a pas été exécuté en raison d’un manque de coopération de la Ligue Arabe et de l’Union Africaine.

Parmi les exemples de succès, on peut citer les cas du Président Slobodan Milosevic de la République de Yougoslavie et de Laurent Gbagbo de la République de Côte d’Ivoire, qui ont été accusés de génocide, arrêtés et jugés à La Haye, siège du Tribunal, mais ayant connu des destins différents. Le premier est décédé en 2006 avant que le verdict ne soit rendu, et le second a été acquitté par le tribunal pour manque de preuves en 2019.

Un cas rare, sinon le seul, dans les affaires de la CPI (dans lequel un président toujours en exercice a comparu devant la Cour) est celui du président du Kenya, Uhuru Kenyatta, qui a répondu à la convocation de la Cour pour enquêter sur les allégations de crimes contre l’humanité commis lors des violences de 2008 dans son pays. Mais après l’enquête, le tribunal a abandonné les allégations portées contre lui en raison du manque d’informations corroborantes et l’a déclaré innocent en 2014.

Le procès le plus étrange d’un président à l’étranger a été celui de Manuel Noriega, le président du Panama, qui a été arrêté par les forces américaines après leur invasion de son pays en 1989. Il a été arrêté et condamné par un tribunal américain à Miami, en Floride, pour trafic de drogue, extorsion et blanchiment d’argent.

Le procès d’Ould Abdel Aziz en Mauritanie est peut-être rare dans le lexique de la politique arabe. Mais il est courant dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Son importance est due au fait qu’il affirme le sens d’un État soumis à la loi, et qu’aucune fonction de haut rang dans un gouvernement n’est au-dessus de la loi.