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Économie - Énergie

Vers une vision juridique de la transition énergétique

Le Dialogue

Des militants forment une ligne rouge géante lors d'une manifestation près de l'Arc de Triomphe sur le boulevard de l'Avenue de la Grande Armée à Paris le 12 décembre 2015, dans le cadre d'un projet d'accord de 195 nations visant à réduire les émissions de gaz piégeant la chaleur qui menacent de causer ravages sur le système climatique de la Terre sera présenté lors de la conférence des Nations unies sur le changement climatique COP21 au Bourget, en périphérie parisienne. AFP PHOTO / ALAIN JOCARD (Photo par ALAIN JOCARD / AFP)

 

Christian Huglo, co-fondateur avec Corinne Lepage du Cabinet Huglo-Lepage Avocats, est un avocat spécialisé dans les questions environnementales. Cet article est issu d’une intervention prononcée dans le cadre des universités de la Fondation E5T sur la transition énergétique

Quelle est la part du droit et de la force du droit dans ce domaine particulier qui est la transition énergétique. La difficulté soulignée qui est considérable, effectivement, c'est la faiblesse du droit international. La convention de 1992 organise des COP. Toutefois, il est prématuré d’affirmer qu'à la sortie des COP il en résulte du droit international. A titre d’exemple, on a beaucoup discuté sur les effets juridiques de l'Accord de Paris. Alors, comment il faut faire ?

Il faut choisir un modèle, en développant, par exemple, ce que fait l'Europe dans le Fit for 55 et le Green Deal[1]. Ces deux initiatives contiennent des choses très importantes à prendre, mais il faut d’abord faire deux observations préalables et fondamentales. La première est qu’à juste titre la croissance verte inspire beaucoup d'espérance. Mais il y a aussi une magnifique phrase de Vaclav Havel selon lequel l'espérance "n'est pas ce que l'on peut souhaiter de mieux pour demain, c'est tout simplement faire que ce que l'on fait a du sens." Effectivement, la croissance verte incarne cette idée-là. 

La deuxième observation concerne le droit de l'environnement. Ce droit a évolué depuis les années 1980, marquées par le droit de l'environnement, de la qualité de la vie, le droit des pollutions et le droit des protections. Un droit tout à fait nouveau a émergé. Un droit qui combine la protection du vivant, l'énergie et la santé humaine qui sont devenus les trois piliers de ce droit nouveau, que nous avons complètement ratés — il faut dire les choses telles qu'elles sont — dans la réforme de l'article 1er de la Constitution, dans lequel le texte disait : "La France garantit la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de la biodiversité." 

Garantir était quelque chose d'extrêmement important. Il s’agit d’une obligation de résultat qui pouvait être très bien comprise comme une obligation de moyens renforcés. Mais c'était effectivement quelque chose d'exemplaire qui aurait pu donner lieu à un nouveau droit, vu la faiblesse des décisions du Conseil constitutionnel dans ce domaine particulier et qui ne nous éclaire pas aussi bien que d'autres grandes juridictions. 

Ces deux observations faites sur la situation du plan européen qu'on appelle le "Green Deal", qui est quand même quelque chose de passionnant et qui est très difficile à décrypter. Deux observations très simples. Premièrement, sur le domaine et la force du Green Deal, trois observations. D'abord, c'est un plan qui est extraordinairement ambitieux. L’objectif est de réduire de 55 % les GES ! C'est quelque chose d'absolument considérable et très difficile à atteindre. Deuxième observation, c'est que ce plan a été élargi à tous les domaines[2]. Notamment, la Commission européenne s’est prononcée pour l’établissement d’une croissance durable et inclusive, développement d’une législation européenne sur le climat de nature à permettre l’objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050. Ensuite, il s’agissait de renforcer « l’objectif pour 2030 de 55 % de diminution des gaz à effet de serre par rapport à la période de 1990 » et de faire impliquer les populations de l’Europe.[3]

La troisième observation concerne le soutien du programme lui-même très ambitieux et élargi à la foresterie, l'agriculture, par un programme financier considérable qui envisage 750 milliards d'euros. Ce programme est tout à fait attrayant. Sur le contenu lui-même, trois choses à souligner rapidement. Premièrement, le règlement du 25 juin 2021, qui est un règlement, qui n'est pas encore publié au Journal officiel, établit le plan de progression vers 2030, 2040 et 2050. 

Toutefois, il faut noter que ce règlement ne prévoit pas de sanctions sur les États qui sont en retard, mais la Commission aura le droit de rendre publics les défauts des uns et des autres. C'est l'opinion publique qui corrigera. La difficulté, c'est qu'on ne sait pas très bien dans le programme européen, si c'est à prendre en considération, le fait que l'on peut compenser les États qui sont en retard. Est-ce que tout le monde doit être à niveau ? Toutefois, il existe une certaine ambiguïté sur ce programme. 

La deuxième grande mesure concerne un règlement qui est en cours d'élaboration actuellement, Zéro pollution, diminution de la pollution de l'air. Ce règlement est très précis et très concret. Il comporte huit mesures, mais c'est un document technique qui comprend toutes les directives et tous les règlements qui vont être modifiés, avec un calendrier. 

En réalité, c’est un nouveau Code de l'environnement climatique, ce qui constitue une étape importante de la mise en œuvre de la transition énergétique. Toutefois, il existe deux réserves sur le sujet. La première concerne le fait que la Commission, malheureusement, a la capacité de négocier en dehors de ces critères et notamment la convention avec le Canada. Ceci met entre parenthèses tous ces efforts. Pour améliorer l’efficacité ce règlement, il faudrait corriger cet aspect.

Deuxième observation, c'est que, jusqu'à présent, l'Union européenne et la Cour de justice de l'Union européenne ne reconnaissaient pas les recours des citoyens, déclarés irrecevables. A titre d’exemple, lorsque 45 Portugais ont fait des procès, le Tribunal de première instance les a déclarés irrecevables. La région de Bruxelles a essayé de faire un procès sur les OGM, qui a été aussi déclaré irrecevable. 

Il faut noter également que la Commission vient de pousser avec le Parlement européen la ratification complète de la Convention d'Aarhus qui oblige les États et les entités à assurer les recours individuels, ce qui constitue un fait fondamental. Pourquoi ? Parce que, cette affaire climatique est liée au contrôle des citoyens à la société civile. Et quand on regarde l'évolution de la situation, on peut avoir confiance non pas dans les parlements, mais dans les juges.  Ce recours aux juges est un élément essentiel pour la réussite de la transition. Il suffit de rappeler la décision Urgenda, lorsque, en 2019, l’État hollandais était obligé d'augmenter sa diminution des émissions des GES[4].

Deuxième grande décision est celle rendue par le Conseil d’État français dans l'affaire Grande-Synthe[5]. Le Conseil d’État français demande au gouvernement de mettre à jour son plan climatique d'ici neuf mois, à peu de chose près, mais le juge a fait son travail sur cette question, en montrant que la France était en retard de façon absolument considérable en matière de la transition énergétique. 

Enfin, la plus grande décision, la plus intéressante, concerne la décision de la Cour de Karlsruhe, qui parle des générations futures et qui dit qu'on n'a pas le droit de les sacrifier[6]

En vérité, l’affaire de croissance verte est une question de dignité humaine. Au lieu de "la croissance verte ou la mort", il vaut mieux dire que "la croissance verte ou l'indignité de notre civilisation et de notre système". Clairement, la question de la dignité humaine doit être vue comme gardien de l'avenir.

Toutefois, la décision la plus curieuse, la plus intéressante, qui intéressera ceux qui sont passionnés de la RSE, c'est la décision sur Shell, du 11 juin, par le Tribunal de première instance de La Haye[7]. Le tribunal a statué que malgré le fait d’avoir un programme de RSE, Shell avec ses multiples filiales, la question de lutte contre le réchauffement climatique n’est pas interne, mais constitue également une obligation externe. Cette décision rappelle l’affaire de l'Erika dans le cadre de laquelle Total a été condamné pour non-respect de son propre règlement. En d’autres mots, la RSE, qui peut être vu comme le droit mou, a une importance considérable. 

Pour conclure, il faut dire que la société civile peut faire confiance aux juges. Il y a trois raisons. La première, c'est que le juge est obligé de statuer lorsqu'il est saisi. Le Parlement peut créer une commission. Deuxième raison, c'est que le débat devant le juge est un débat contradictoire, un débat de nature scientifique. Le petit a la place, comme le gros. Chacun peut apporter ses preuves. Une construction se fait par dialogue intelligent. Et la troisième raison, c'est que le juge lui-même doit motiver sa décision. Et même si vous perdez votre procès, vous savez pourquoi. Et donc, il y a effectivement une conjonction d'une poussée de la société civile.

Quand j'entends "société civile", j'entends "collectivités territoriales" aussi, ce qui a changé l’état actuel des choses. Ce ne sont plus simplement les ONG qui représentent la société civile, mais une alliance extraordinaire entre les collectivités publiques et les groupes de réflexion sur le sujet. Ceci a permis d’avoir créé un étage pour pouvoir faire pression sur les organes législatifs, mais avec la crainte du juge. Or, la crainte du juge, c'est le commencement de la sagesse.

 

 

 


 


[1] Un pacte vert pour l'Europe, https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr

[2] Christian Huglo, Le green deal : un investissement durable pour notre avenir à tous, l'Observateur de Bruxelles, 2021/2, n° 124, https://www.observateurdebruxelles.eu/publications/obs_bxl_2021-fr/obs_bxl_2021_2-fr/obs_bxl2021_2p36

[3] https://dev.huglo-lepage.com/le-green-deal-un-investissement-durable-pour-notre-avenir-a-tous-par-christian-huglo-lobservatoire-de-bruxelles/a-la-une/69550/

[4] Justice climatique : la Cour suprême des Pays-Bas rend une décision historique, Actu-Environnement.com, 23.12.2019, https://www.actu-environnement.com/ae/news/climat-justice-contentieux-urgenda-pays-bas-34714.php4

[5] Affaire Grande Synthe, 01.07.2021, https://www.gouvernement.fr/communique/12352-affaire-grande-synthe

[6] David Capitant, L’arrêt de la Cour de Karlsruhe : un coup de tonnerre dans un ciel serein ?, Notes du Cerfa, n° 155, Ifri, octobre 2020, https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/notes-cerfa/larret-de-cour-de-karlsruhe-un-coup-de-tonnerre-un-ciel

[7] Justice climatique : pour la première fois, un juge ordonne à une société de réduire ses émissions, 21.05.2021, https://www.actu-environnement.com/ae/news/justice-climatique-decision-shell-tribunal-la-haye-37597.php4#:~:text=La%20justice%20climatique%20franchit%20une,de%20serre%20d'ici%202030.