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Monde

Le Caucase du Sud à l’heure de tous les dangers… et des tractations !

Le Dialogue

Alors que l’Ukraine concentre l’immense majorité des projecteurs de l’actualité de profonds bouleversements sont en cours dans le Caucase, isthme géostratégique qui connaît un regain d’importance à la faveur de la récente guerre dans le Haut-Karabagh. Le Caucase est à nouveau redevenu un lieu où plusieurs plaques tectoniques entrent en collision, à savoir la plaque russe, la plaque turcique et la plaque iranienne, tandis que l’Arménie est plus vulnérable que jamais. 

 

Un rapport de force bouleversé 

Ce conflit déclenché par l’Azerbaïdjan et la Turquie s’était soldé par une cuisante défaite de la partie arménienne, provoquant un nouveau rapport de force clairement favorable à l’axe panturquiste Bakou – Ankara au détriment de l’Arménie qui perd tout levier sur la république autoproclamée de l’Artsakh (ex Haut-Karabagh). Autre grand perdant de cette guerre, la république islamique d’Iran qui se retrouve dans une situation périlleuse car l’Azerbaïdjan s’est considérablement rapproché d’Israël qui lui fournit des drones et bombes à sous-munition et a accru sa présence sur son flanc nord ; sans oublier le recours à des mercenaires islamistes syriens qui étaient engagés en première ligne dans les combats et dont certains sont demeurés dans la zone limitrophe de l’Iran.

De son côté la Russie a gagné une manche en imposant le déploiement de ses troupes mais s’est vue contrainte de composer avec la Turquie qui tente de répliquer dans le Caucase du Sud le format d’Astana, c’est-à-dire un condominium russo-turc qui a fait ses preuves en Syrie. 

Ce tableau serait incomplet si on tient compte que les autres grands perdants de cette nouvelle donne régionale sont les deux autres co-présidents du Groupe de Minsk de l’OSCE,[1] qui n’existe plus que sur le papier. De fait, les Américains comme les Français ne s’estiment pas satisfaits d’avoir été écartés par le tandem russo-turc et face au déséquilibre du rapport de force entre Arméniens et Azéris, ils se sont engagés

La grande nouveauté de cette seconde guerre du Karabagh est qu’elle voit s’opérer un changement d’échelle. Exit, l’échelle locale et la grille de lecture d’un conflit inter ethnique arméno-azerbaidjanais. Car le petit Karabagh s’est vu rattrapé par la mondialisation, dans la mesure où plusieurs conflictualités se superposent :

  • Une conflictualité arméno – panturquiste (l’axe turco – azéri n’ayant jamais été aussi affermi)
  • Une conflictualité russo-occidentale
  • Une conflictualité irano-israélienne

Depuis novembre 2020 l’Arménie a perdu tout contrôle sur le Haut Karabagh dont un quart seulement reste arménien de fait protectorat russe, du moins tant que les forces russes de maintien de la paix effectueront leur mandat de 5 ans, renouvelable selon le bon vouloir du régime des Aliyev qui entend donner une traduction politique à sa victoire militaire de l’automne 2020. Ce qui explique leur politique de harcèlement et de grignotage du Haut-Karabagh arménien depuis le cessez-le-feu et surtout la dernière offensive de grande ampleur déclenchée contre le territoire souverain de la République d’Arménie le 13 septembre dernier.   

Car Bakou espère par la force consolider son avantage et atteindre ses trois objectifs :

  • Abandon de tout droit de regard de l’Arménie sur le sort des Arméniens du Haut-Karabagh menacés de nettoyage ethniques dans la perspective d’un non renouvellement du mandat de la force russe d’interposition ;
  • Obtenir un corridor extraterritorial « panturquiste » dans la province ultra stratégique du Siunik/ Zanguézour pour être relié à l’exclave azerbaidjanaise du Nakhitchevan et par ricochet à la Turquie ;
  • Conclusion d’un accord de paix avec l’Arménie sur la base des accords d’Alma Ata de 1991 mais au prix de concessions léonines pour Erevan. 

 

Trois formats trois différentes vues des négociations, mais est-ce trois solutions ?

Le groupe de Minsk étant moribond, le sort du Haut-Karabagh voit intervenir trois plateformes diplomatiques différentes, mais les solutions ne semblent pas aisées.

Il y a tout d’abord la Russie, principal arbitre mais plus le seul, l’Union Européenne qui s’invite à la partie qui a organisé le premier sommet entre les dirigeants arménien et azerbaidjanais en décembre 2021 et enfin les Etats-Unis qui après la défaite du camp républicain entend affaiblir l’influence russe dans son pré-carré caucasien. 

L’approche européenne reposait au départ sur une volonté de concilier deux points irréconciliables (intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan et autodétermination du peuple de l’Artsakh). Face à cette impossibilité résultant de la position maximaliste de Bakou, l’UE s’est contentée d’envoyer une mission d’observation à la frontière côté arménien, tout en appelant ces derniers à « baisser la barre de leurs revendications ». Sans toutefois accorder des garanties de sécurité pour les populations concernées. Or, l’annulation des pourparlers de paix prévus à Bruxelles le 7 décembre et le rejet, par Ilham Aliyev, de toute participation de la France à leur processus remettent Moscou au cœur des débats. Le fait est que l’appel à sanctionner la politique agressive de l’Azerbaïdjan par le Parlement français en novembre a sapé les efforts diplomatiques du président Macron qui s’était rapproché de son homologue arménien Nikol Pachinian ; ce dernier percevant la France comme un point d’appui. 

Les Américains quant à eux se sont lancées dans le processus de négociations dans la foulée de l’attaque azerbaïdjanaise de septembre 2022. Plusieurs rencontres entre les ministres des Affaires étrangères arméniens et azéris se sont déroulés sous les auspices de Washington. Et le déplacement historique de Nancy Pelosi à Erevan a soulevé d’immenses espoirs en Arménie, rapidement déçus par l’absence de proposition concrète concernant la défense de ce pays considéré comme une incongruité par l’axe panturquiste. 

De son côté la Russie, affaiblie par la prolongation du conflit ukrainien, ne propose aucun règlement si ce n’est la prolongation du statu-quo, un moindre mal pour les Arméniens du Haut-Karabagh qui ont confié leur destin à celui du grand – frère russe. En septembre 2022 la Russie a proposé un plan de paix à Erevan et à Bakou dont un des points évoque l’engagement des parties à repousser la question du statut du Haut Karabagh -Artsakh à un avenir indéterminé. L’Arménie a accepté ces propositions, sans surprise elles ont été rejetées par l’Azerbaïdjan.  Aliyev considère la question réglée depuis la guerre des 44 jours il n’y aura pas de statut pour le Haut-Karabagh, sous entendant un nettoyage ethnique pour les Arméniens autochtones. Car rien ne dit que la prolongation du mandat des forces russes d’interposition qui s’achève en 2025 se fera de manière automatique puisque cette présence militaire est considérée par les Azerbaidjanais dans leur grande majorité comme une force d’occupation. 

Si Stepanakert (capitale de l’Artsakh) retient son souffle, vu d’Erevan on grince des dents. L’Arménie a très mal vécu l’absence de solidarité concrète de la part de la Russie et de ses partenaires de l’OTSC lors de la récente agression militaire azerbaidjanaise sur son territoire internationalement reconnu. D’où le refus du Premier ministre Nikol Pachinian de signer la déclaration commune du sommet d’Erevan de l’OTSC, ayant entraîné le report des décisions de soutien à l’Arménie. La présidence tournante de l’OTSC étant transférée à la Biélorusse, grande amie de la dictature azerbaïdjanaise, tout porte à croire que l’Arménie ne sera pas soutenue par ses partenaires eurasiatiques.

Pour Moscou la mise en suspens de la question du statut permet de créer le prétexte pour garder ses troupes en Artsakh et de disposer d’un levier de pression sur Bakou. Moscou veut un accord de paix entre ses deux anciennes républiques, elle cherche à faciliter l’ouverture des voies de communication dans tous les sens mais à condition qu’elles demeurent sous son contrôle. 

Moscou compte aussi regagner les faveurs de l’opinion arménienne. Mais la perte de confiance entre alliés suite à la passivité des Russes durant la guerre des 44 jours et leur silence sur les multiples opérations azerbaïdjanaises contre l’Arménie a atteint un niveau tel, que ce genre de démarches parviendrait difficilement à redorer le blason de la Russie. La proposition de Moscou manque surtout de solidité. Moscou n’est pas en mesure de protéger les Arméniens de l’Artsakh à 100%, assurer la stabilité régionale et empêcher les assauts azéris contre l’Arménie. Et cela dans un contexte de sanctions occidentales où la Russie a plus que jamais besoin de la Turquie et de l’Azerbaïdjan pour faire tourner son économie de guerre. Bakou et Ankara en sont parfaitement conscients et détectent des opportunités majeures d’arrangement avec Moscou.  L’Arménie quant à elle est victime de la géopolitique des empires. Elle n'est perçue que comme une variable d’ajustement, au pire une monnaie d’échange entre le tsar Poutine et le sultan Erdogan. 

Afin de neutraliser qui en découlent, l’Arm s’investit activement dans les initiatives impulsées par les Occidentaux au risque d’en payer le prix… Car peut-elle « vendre » aux Américains, seule puissance à même de peser dans les nouveaux équilibres régionaux, si ce n’est un balcon sur l’Iran ? On en revient à ce lourd dilemme « sécurité vs. Souveraineté » qui continue de peser sur les dirigeants arméniens dont l’incompétence crasse s’est avérée funeste pour leur peuple en général et leur jeunesse en particulier.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_de_Minsk