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Monde

Baisse de la production de pétrole ou le symbole d’un Occident qui n’a plus le dernier mot

Le Dialogue

Le ministre saoudien de l'Énergie Abdulaziz bin Salman prend la parole lors d'une conférence de presse après le 45e Comité ministériel conjoint de suivi et la 33e réunion ministérielle OPEP et non-OPEP à Vienne, Autriche, le 5 octobre 2022. Photo : VLADIMIR SIMICEK / AFP.

Après la baisse drastique du mois d’octobre, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole a une nouvelle fois décidé de réduire sa production d’or noir. Cette décision menée par l’Arabie saoudite est le symbole d’une nouvelle époque. Elle va à l’encontre des intérêts occidentaux et profite à l’effort de guerre de Moscou. 

 

L’annonce surprise du 2 avril dernier des membres de l’Opep de réduire leur production n’est-elle pas la confirmation de l’allégorie de « The West vs the Rest » ? En effet, dès le lendemain les prix à la pompe ont bondi. Le prix du baril de WTI (West Texas Intermediate) américain grimpait de 5,74% à 80,01 dollars, et celui du baril de brent de la mer du Nord de 5,67 % à 84,42 dollars. Cette coupe d’environ un million de barils par jour (bpj) débutera en mai, et perdurera jusqu’à la fin de l’année 2023. Elle se présente ainsi : Arabie saoudite : 500 000 bpj en moins; Irak: 211 000 bpj en moins; Émirats arabes unis: 144 000 bpj en moins; Koweït: 128 000 bpj en moins; Algérie: 48 000 bpj en moins; Oman: 40 000 bpj en moins;

Ces baisses ont lieu « en coordination avec certains pays membres de l’OPEP et non membres de l’OPEP », selon le ministère algérien de l’énergie. 

 

Une aubaine pour Moscou

Moscou, membre de l’OPEP+, a également annoncé par l’intermédiaire de son vice-premier ministre chargé de l’énergie, Alexandre Novak, la réduction de sa production de pétrole brut de 500 000 bpj et ce, jusqu’à la fin de l’année. Pour justifier une telle baisse, il a évoqué une période d’« incertitude » sur le marché de l’or noir, qualifiant l’actuelle coupe d’« action responsable et préventive ». Il s’agit d’une « mesure de précaution visant à soutenir la stabilité du marché pétrolier », a quant à lui déclaré un haut responsable du ministère de l’énergie saoudien 

Cette décision en partie prise par Riyad s’ajoute à la baisse du mois d’octobre dernier. Les membres de l'Opep et leurs partenaires emmenés par la Russie avaient réduit leur offre de 2 millions de barils par jour, soit quelque 4%, pour enrayer la chute des prix du baril. En dépit des pressions et des demandes de la Maison Blanche de ne pas réduire la production de pétrole, le royaume saoudien a une nouvelle fois mis en porte à faux Washington. Surtout, qu’indépendamment de la hausse des prix sur les marchés, cette baisse est synonyme d’excédent financier pour la Russie de Vladimir Poutine. 

Alors que les prix avaient atteint leur plus bas niveau depuis deux ans avec un baril de Brent à moins de 80 dollars, cette annonce du 2 avril permet à Moscou de renflouer les caisses et par extension de financer son effort de guerre en Ukraine. Cette décision est en quelque sorte un camouflet aux sanctions occidentales qui s’évertuent depuis février 2022 à isoler financièrement et commercialement l’économie russe. En outre, cela confirme davantage le rôle intégrant et important de la Russie dans les décisions prises par l’Organisation. Et enfin, malgré les turbulences à l’international et les demandes incessantes américaines, cette baisse de la production confirme la solidité du couple russo-saoudien dans le domaine énergétique.

Depuis maintenant près de sept ans, les relations bilatérales n’ont eu de cesse de se réchauffer entre Riyad et Moscou. Au commencement, il y a eu l’accord historique de réduction de la production en 2016 visant à augmenter les prix, passant de 30 dollars le baril à 55 dollars et à inclure deux nouveaux alliés au sein de l’Opep + avec l’arrivée de Mascate et de Moscou. Mais, il y a surtout eu la visite historique du roi du roi saoudien Salman bin Abdulaziz Al Saud à Moscou en octobre 2017 qui mettait fin à une brouille diplomatique sur le dossier syrien. Le royaume wahhabite avait initialement fait le pari d’un changement de régime en Syrie alors que la Russie soutenait militairement Bachar el-Assad. Ce revirement coïncide avec la reprise d’Alep en décembre 2016 et le repli de l’opposition djihadiste sur Idlib. 

Autre signe de bonne entente, le premier accostage le 6 avril d’une frégate russe, l'Amiral Gorshkov,dans le port islamique de Djeddah pour « deux jours de repos et de ravitaillement de l'équipage ». 

 

L’autonomie de Riyad

Mais cette entente entre les deux pays producteurs de pétrole se fait au détriment de la volonté américaine. Les autorités américaines ont réagi aux coupes surprises de production en les jugeant « pas opportunes », compte tenu de la hausse des taux d’intérêt et de l’inflation galopante chez les pays consommateurs. Le lead saoudien de baisser la production est à juste titre perçu comme la fin d’une ère, celle jadis d’un alignement inconditionnel sur l’agenda de la Maison Blanche. D’ailleurs, un article du Wall Street Journal paru le 3 avril dernier a révélé que le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed Ben Salmane a récemment déclaré à ses associés qu’il n’était « plus intéressé à plaire aux États-Unis ». Une posture qui s’inscrit également dans un changement géopolitique. Plus libre et plus indépendant, la monarchie saoudienne n’hésite plus à se rapprocher de la Chine. 

Le conflit en Ukraine a été le révélateur de cette brouille saudo-américaine. A plusieurs reprises, Washington s’attendait à un suivisme de Riyad sur l’imposition de sanctions à l’égard de la Russie. Il n’en a rien été, la monarchie s’est cantonnée à un rôle de médiateur pour la libération des prisonniers de guerre. La fin de la marginalisation de MBS suite à l’affaire de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi et les flatteries occidentales avec les nombreux déplacements dans le royaume n’ont rien changé. L’homme fort de l’Arabie saoudite adopte une sorte de realpolitik qui répond aux intérêts économiques et sécuritaires de son pays.

Face à l’indépendance politique saoudienne, le directeur de la CIA Williams Burns s’est rendu en catimini à Riyad pour s’entretenir avec MBS. Il lui aurait fait part de sa « frustration » concernant le récent réchauffement des relations avec Damas et Téhéran et de l’entente avec la Chine et la Russie. 

Au regard de la baisse de production de pétrole, de sa neutralité à l’égard du conflit en Ukraine du rabibochage avec d’anciens ennemis, l’Arabie saoudite embrasse une politique pragmatique au gré de la conjoncture, contrairement aux États-Unis qui eux restent bloqués à une époque où l’Occident régissait le monde.