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Économie - Énergie

« La guerre des ressources spatiales, entre droit international figé et lois nationales motrices »

Le Dialogue

Les membres de l'équipe Desert Research and Technology Studies (Desert RATS) de la NASA s'entraînent avec un prototype de rover lunaire pour les futures missions Artemis au Black Point Lava Flow près de Flagstaff, Arizona, le 24 octobre 2022. (Photo par Olivier Touron / AFP)

Nous avons la technologie pour retourner sur la Lune et renouveler le leadership américain dans l’exploration spatiale humaine”. Ces mots, prononcés par l’ancien vice-président américain Mike Pence lors de la 5e réunion du National Space Council, le 26 mars 2019, rappellent que l’espace est au cœur d’am­bitions et de rivalités croissantes. Toute mission habitée vers un corps céleste représente un symbole de puissance. Dans ce contexte, l’exploitation des ressources spatiales constitue l’un des enjeux stratégiques majeurs des temps à venir. Depuis ses débuts en effet, l’aventure spatiale a montré que des ressources extra-atmosphériques existent, bien que le Traité sur l’espace n’en donne aucune définition, à la fois dans l’espace intersidéral mais aussi sur les corps célestes, sans connaître encore ces ressources de façon exhaustive, mais dont certaines semblent présentes en grande quantité, suscitant intérêt stratégique et appât du gain.

Ces fortes potentialités stratégiques et de profit soulèvent dès lors une multitude de questions dont celle de la « colonisation humaine » progressive de notre environnement lointain et l’accès aux ressources de ce milieu. Au-delà, c’est la perspective d’étendre un modèle politique, économique, commerciale, sociétale terrestre à l’espace extra-atmosphérique. La technologie n’est pas l’obstacle principal. L’aventure spatiale a montré les prouesses technologiques dont est capable l’humanité, comme le premier homme sur la Lune le 21 juillet 1969. En 2014, après un voyage de six milliards et demi de kilomètres parcourus en dix ans, la sonde spatiale européenne Rosetta se mettait en orbite autour de la comète Tchouri. Quelques semaines plus tard, elle libérait Philae, un petit atterrisseur qui allait se poser sur cet astre.  Plus récemment fin 2022, mentionnons encore le succès de la mission Artémis 1 de retour sur la lune.

Ainsi, de quelles ressources parle-t-on ? A quelles fins ? Leur exploitation est-elle rentable ? va-t-elle impacter notre environnement et générer de nouvelles pollutions ? Quels sont les enjeux géopolitiques et économiques ? vont-ils générer de nouvelles tensions et conflits ? Le cadre juridique existant suffit-il à permettre l’exploitation des ressources ou doit-il être modifié de façon substantielle et contraignante ? l’homme, soit comme représentant d’un Etat ou comme acteur privé, a-t-il le droit d’exploiter les ressources naturelles qui existent dans l’espace ? 

Ce corpus d’interrogations trouve des réponses dans l’existence reconnue de ressources spatiales en grande quantité, ou rares pour certaines, possédant un potentiel d’exploitation in situ probable. L’accès à ces ressources pourrait pallier certaines pénuries terrestres naissantes, tout en favorisant l’exploration de l’espace lointain par l’établissement de bases permanentes sur certains corps célestes, tant on éprouve de plus en plus clairement la fragilité de notre planète, mais aussi aiguiser les appétits commerciaux.  L’évolution en cours conduit à la prise en compte des pollutions qui pourraient résulter d’une exploitation active de ces ressources. Dans ce contexte essentiellement évolutif, les acteurs privés, soutenus par des lois nationales à la fois modernistes et contestées, viennent bouleverser un ordre juridique spatial international figé depuis trop longtemps. A ce titre, l’exemplarité des accords Artémis ouvrent la voie à un débat juridique majeur, mais essentiel pour clarifier les conditions d’accès aux ressources spatiales par des acteurs de plus en plus nombreux et variés. 

Il convient dès lors d’examiner la question des ressources spatiales quant à leur nature d’abord, puis à l’intérêt et aux conditions de leur exploitation, tout en prenant en compte le contexte des enjeux politiques et stratégiques qui sous-tendent les activités envisagées. En outre, le cadre juridique international actuel dans lequel l’utilisation de ces ressources s’inscrit, apparaît comme une dimension majeure qui conduit à l’indispensable besoin de faire évoluer ce cadre sous la pression des lois nationales et l’implication croissante des acteurs privés.

 

Nature des ressources spatiales et leur intérêt politique, stratégique et commercial

Les ressources immatérielles de l’espace intersidéral se déclinent d’abord en orbites et en fréquences disponibles dont l’attribution se fait sous l’égide de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT). 

La question des orbites soulève à elle seule des problématiques juridiques fortes car n’étant pas susceptibles d’appropriation, l’envoi de satellites sur celles-ci est réglementé pour un usage sous conditions. En effet, par principe, chaque lancement de satellite nécessite une autorisation préalable de l’UIT d’utilisation de l’orbite visée. La gestion de ces deux ressources immatérielles génère d’ores et déjà des tensions et préparent de possibles conflits, car souvent la nation la plus avancée économiquement et technologiquement se voit attribuer ces ressources en priorité au détriment des nations en devenir spatial. Au nombre des ressources immatérielles, on peut ajouter la potentielle collecte en énergie solaire dont l’étude Solaris initiée par l’Agence Spatiale Européenne (ASE) vise à en estimer la faisabilité technique et la rentabilité économique pour contribuer à résoudre les crises énergétiques terrestres. D’autres activités de nature commerciale ont d’ores et déjà débuté, dans l’espace circumterrestre plus précisément et assimilable à une ressource, comme le tourisme spatial.

Sur les corps célestes, et d’abord sur l’astre le plus proche de la terre, la question de l’utilisation de zones géographiques, voire leur attribution, pour l’exploitation des ressources sous la surface notamment, suscite un vif débat juridique. Certains auteurs de doctrine font une différence entre un corps céleste meuble que représenterait les astéroïdes de petite taille et qui peuvent être déplacés par remorquage alors qu’un corps céleste immeuble, beaucoup plus massif, serait planétaire. C’est une distinction intéressante qui aurait permis d’apporter davantage de sécurité juridique au niveau du principe de non-appropriation, les petits corps, meubles, étant appropriables et assimilables à des ressources à la différence des seconds. Certains auteurs font cependant la différence entre ressources épuisables et ressources non-épuisables, les premières étant non-appropriables à la différence des secondes. Néanmoins, la plus large majorité de la doctrine considère toutes ressources comme étant appropriables.

En outre, les découvertes des dernières années ont indiqué d'importants dépôts d'eau à l'état solide dans les grands cratères situés de manière permanente aux pôles de la Lune, à l'ombre du Soleil. D'autre part, le sol sélène recèlerait de l’oxygène mais surtout d'importantes réserves d'hélium-3 (3He). Cet isotope non radioactif, rare sur Terre, pourrait potentiellement servir de combustible pour de futurs réacteurs à fusion nucléaire. Toutefois, l'utilisation de l'hélium-3 à très long terme nécessiterait de concevoir un mode d'extraction rentable avec une infrastructure adéquate, et de pouvoir effectuer le transport vers la Terre. De plus, les minerais sur les corps célestes (e.g. Fer, Platinium, Nickel) laissent entrevoir des perspectives prometteuses dont l’extraction méritent encore des études approfondies. L’eau et la glace sont également présentes sur Mars. 

Ces ressources ont d’abord le premier intérêt de préparer par étape l’exploration lointaine de l’univers et d’assurer une présence durable sur la Lune ou plus largement dans l’espace. En ce sens, l’eau représente un enjeu significatif pour la construction d’une base lunaire et l'alimenter avec les glaces disponibles dans les cratères polaires. De même, l’utilisation du régolithe lunaire permettrait de construire des habitats et des structures utiles aux astronautes. De façon générale, le recours aux ressources in situ, limiterait le coût très élevé de l’envoi de matériel et d’énergie vers les bases spatiales pour les missions d’exploration. Il s’agira encore de rapporter des ressources pour un usage sur Terre sous conditions de besoins avérés et de rentabilité. Ces perspectives suscitent de nombreuses questions éthiques et juridiques. Citons par exemple, « qu’en vertu de l’article 2 du traité de 1967 qui interdit toute appropriation de l’espace extra-atmosphérique, vous n’avez selon les interprétations du traité pas le droit de faire fondre de la glace d’eau, car cela pourrait être considéré comme une appropriation », souligne le juriste Alexandre Chazelle (CNES/IDETCOM/SIRIUS)De surcroît, la présence de ressources sur la Lune justifierait l'établissement durable d'une présence humaine. Bien que personne ne connaisse réellement la possibilité et la rentabilité d'hypothétiques activités minières sur le sol lunaire, certains groupes d'intérêt comme Planetary Society avancent la présence significative de ressources qui justifient une telle entreprise. C’est pourquoi la NASA a choisi d'installer une base lunaire car elle considère l'extraction de cette ressource essentielle pour pérenniser une présence humaine.

 

Transposition des enjeux géopolitiques terrestres vers l’espace extra-atmosphérique

Les relations entre espace et géopolitique illustrent un double mouvement d’affirmation de puissance – symbolique et réelle – et de contribution au prestige national et international. Les débuts de la conquête de l’espace montrent l’aboutissement de plusieurs logiques dont l’empreinte marque encore les approches des nouvelles et futures puissances spatiales, comme le souligne Isabelle Sourbès-Verger (voir son article  Espace et géopolitique, paru Dans L'Information géographique 2010/2). Le prestige recherché s’accompagne également d’une forte médiatisation des succès réalisés. Les développements technologiques de ces dernières années ont rendu l’espace plus accessible pour de plus en plus d’Etats et d’acteurs privés. On évoque une « démocratisation » de l’espace. Plus de 70 États disposent désormais de leurs propres satellites en orbite. Qui plus est, la création de nouveaux programmes spatiaux à destination de la Lune et de Mars révèle que l’espace lointain apparaît désormais comme une nouvelle priorité straté­gique pour les puissances spatiales. En prenant l’exemple des projets à destina­tion de la Lune, il convient de s’interroger sur les enjeux géopolitiques liés à l’exploitation des corps célestes et au retour des missions habitées dans l’espace lointain. Les revendications territoriales et des ressources stratégiques et économiques connues sur Terre se retrouvent sous une forme très similaire dans l’espace extra-atmosphérique. Le 6 avril 2020, le président Donald Trump a publié un Executive Order dans lequel les États-Unis ne considèrent pas l'espace extra-atmosphérique comme un « bien commun mondial », déclaration qui préfigure la contestation latente qui se joue au-delà de l’atmosphère terrestre.

 

Un processus inévitable d’exploitation des ressources spatiales sous la pression des acteurs privés

Alors que le spatial était le domaine réservé des États, la présence depuis quelques années d’entrepreneurs y investissant à des fins commerciales pourrait changer progressivement la donne. Tous ces éléments contribuent à rendre pertinente la problématique juridique sur les ressources naturelles. Une importante étape dans l’exploitation des ressources in situ a été franchi avec la signature le 25 novembre 2015 par le président Obama du US Commercial Space Launch Competitiveness Act, stipulant qu’un citoyen américain engagé dans la récupération commerciale d’une ressource d’astéroïde ou spatiale aura droit à posséder, transporter, utiliser et vendre la ressource d’astéroïde ou la ressource spatiale obtenue conformément à la loi applicable et dans le respect des obligations internationales des États-Unis. L’État américain peut donc autoriser un citoyen à commercialiser les ressources qu’il a acquises, sans pour autant lui octroyer un droit de propriété sur le terrain contenant la ressource, dès lors qu’il s’agirait non plus d’exploitation mais bien d’appropriation. Cette dimension politique est explicite avec la publication par le président Trump, le 6 avril 2020, de l’executive order encourageant « le soutien international à la récupération et à l’utilisation des ressources spatiales ». Par ailleurs, dès le début des années 2010, une bulle spéculative s'est formée concernant l'exploitation minière sur les astéroïdes. A ce titre, en 2016, la société luxembourgeoise Planetary Resources obtient une promesse de 50 millions de dollars auprès d'investisseurs privés. Au final, l'argent de cette collecte de fonds n'est jamais arrivé, et cette start-up n'a pu émerger. En 2018, ConsenSys, entreprise spécialisée dans la blockchain, rachète cette société et réduit l’ambition des projets initiaux. Pour la Lune, citons encore la société américaine Moon Express qui a levé 65,5 millions de dollars pour mener des vols commerciaux. La société japonaise Ispace a elle collecté 122,2 millions de dollars pour y exploiter des ressources. Cette émulation des investisseurs privés pose la question de la création d’une bulle spéculative uniquement, ou si elle s’inscrit dans une stratégie de très long terme dont les contributions deviendraient indispensables pour les agences spatiales. Dans le domaine minier, il s’agit de garantir des droits sûrs et stables tout au long du cycle d’exploitation. La législation adoptée par le Luxembourg et les États-Unis permet de revendiquer des ressources extraites, apportant ainsi la sécurité d’occupation aux sociétés minières spatiales basées dans ces juridictions. Se pose ensuite la question du paiement de taxes, de redevances ou autres. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) pourrait alors servir de modèle à l’espace extra-atmosphérique. UNCLOS a en effet créé un organisme international de réglementation, l’Autorité internationale des fonds marins, chargée d’accorder des licences d’exploitation minière en eaux profondes sur la base du paiement de redevances. Ces redevances doivent ensuite être réparties équitablement entre toutes les nations de la planète. Un cadre clair sur ces deux points relatifs à la sécurité d’occupation et au régime fiscal devrait alors attirer du financement pour les projets proposés. Ces projets doivent encore être crédibles et réalisables. La faisabilité technique repose sur de nombreux travaux de recherche et développement, notamment consacrés à la robotique avancée et aux systèmes automatisés nécessaires aux opérations d’exploitation minière dans l’espace. En découle la question naturelle de rentabilité. La pénurie prévisible de ressources naturelles non renouvelables sur Terre, associée aux progrès technologiques et à la richesse minérale que recèle un seul astéroïde garde tout l’intérêt de l’exploitation des ressources spatiales. Il s’ajoute encore des questions éthiques telles que celle de savoir si la Lune peut être considérée comme une personne morale, si cette activité va entraîner une nouvelle forme de colonisation et comment elle pourrait mieux servir le bien commun de l’humanité.