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Invités d’honneur

Le grand entretien du Dialogue avec Razika Adnani

Le Dialogue

Elle est membre du Conseil d’Orientation de la Fondation de l’Islam de France, membre du conseil scientifique du Centre Civique d’Étude du Fait Religieux (CCEFR), membre du groupe d’analyse de JFC Conseil, membre d’honneur de l’association Euromed IHEDN et Présidente Fondatrice des Journées Internationales de Philosophie d’Alger.

Elle est professeur de philosophie jusqu’en 2005 date à laquelle elle quitte l’enseignement pour se consacrer à la recherche et à l’écriture. À partir de 2016, elle collabore avec le Ministère de la Justice (France), direction de la Protection judiciaire de la Jeunesse (DPJJ), puis avec le Ministère de l’Intérieur, dans le cadre de la formation des professionnels qui s’occupent des jeunes radicalisés.

De 2014 à 2016, elle donne des conférences à l’Université Populaire de Caen de Michel Onfray sur le thème : Penser l’islam. De 2015 à 2017, elle contribue aux travaux du séminaire Laïcité et fondamentalismes organisé par le Collège des Bernardins. En 2017, elle rejoint l’Université Permanente de Nantes pour donner des conférences sur la pensée musulmane.

En 2020, elle rejoint le Centre civique d’étude du fait religieux (CCEFR) où elle donne un ensemble de conférences sur le thème : La réforme de l’islam du 19e siècle à nos jours. En 2021-2022, elle donne, au Centre civique d’étude du fait religieux (CCEFR) un cycle de conférences sur le thème : La philosophie en terre d’islam. En 2023, elle donne deux conférences : Islam et laïcité, la responsabilité des intellectuels musulmans et l’islam entre spiritualité et organisation sociale et politique.

Razika Adnani a également participé à nombreux colloques et rencontres nationaux et internationaux. Razika Adnani a forgé plusieurs concepts dont la moralisation de la violence dans La nécessaire réconciliation et la réforme tournée vers l’avenir ainsi que l‘islam révélé et l’islam construit dans son ouvrage Islam : Quel problème ? Les défis de la réforme aux éditions UPblisher, 2017 et éditions Afrique Orient, Maroc 2018.

https://www.razika-adnani.com/ 

 

Propos recueillis par Angélique Bouchard

 

Le Dialogue : Razika Adnani, vous étudiez depuis de nombreuses années la relation que les populations maghrébines entretiennent avec leur histoire et leurs origines. Dans votre dernière étude publiée par Fondapol en décembre 2022, « Maghreb : l’impact de l’islam sur l’évolution sociale et politique. Maroc, Algérie, Tunisie », vous décrivez le mouvement de modernisation, la Nahda, qui a touché les pays arabes et le Maghreb. Quel était ce mouvement et quelles ont été les transformations sociétales induites ?

Razika Adnani :  Nahda est un terme arabe qui vient du verbe nahada qui signifie se lever ou se réveiller. Il est souvent traduit par « renaissance » ou « réveil ». Il désigne un mouvement de modernisation extraordinaire que les pays arabes et ceux du Maghreb ont connu entre le début du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, mais qui a touché en réalité une grande partie des pays musulmans.

Il était porté par des intellectuels et des politiques qui avaient tous comme objectif de sortir leur pays du sous-développement et de leur permettre d’entrer dans l’ère de la modernité. Pour la majorité des historiens, le point de départ de la Nahda dans le monde musulman est la Turquie. Cependant, dans le monde arabophone, c’est en Égypte que le point de départ de ce mouvement a eu lieu. Selon eux, il a été suscité par l’expédition de Napoléon Bonaparte dans ce pays en 1798 et qui est parti avec une armée, mais aussi avec une équipe scientifique dans différentes disciplines et un matériel très sophistiqué. Bonaparte a donc permis aux Égyptiens de prendre conscience de leur retard devant un Occident très avancé. Une prise de conscience qui s’est propagée dans toute la rive sud du bassin méditerranéen. L’influence de la Révolution française sur les sociétés musulmanes a été profond. Pour Bernard Lewis « La Révolution française a été le premier grand mouvement d’idées de la chrétienté occidentale à s’être imposé à l’islam ».[1]

La Nahda a concerné tous les domaines : la littérature, la politique, la société, la religion et l’humain, et ces réalisations ont changé le visage des sociétés musulmanes en quelques années leur permettant de s’émanciper des traditions et des contraintes de la charia. Les plus importantes réalisations dans le domaine social et politique étaient l’adoption du système constitutionnel et l’émancipation des femmes. Celles-ci ont obtenu des droits dont elles n’avaient jamais rêvé auparavant : sortir de la maison sans être accompagnée, ne pas porter le voile, s’instruire et travailler. C’est également à cette époque, encouragée, par les antiesclavagistes européens, que l’abolition de l’esclavage a eu lieu ainsi que celle du système de la dhimmitude. La Nahda est la seconde période dans l’histoire des musulmans qui leur a permis de faire un bond culturel et civilisationnel. La première est celle qui a produit la civilisation musulmane et qu’on situe entre le VIIIe siècle et le XIIIe siècle. Les deux périodes ont connu une riposte de la part des conservateurs pour qui tout éloignement du mode de vie et de l’organisation sociale des anciens est une sortie de l’islam, ce qui a provoqué le déclin de la première et l’échec de la seconde.

 

Vous situez l’interruption dans ce processus de modernisation de l’Islam à partir des années 1970. Pourquoi la Nadha a échoué à réformer l’Islam ? Quelle a été la responsabilité des « modernistes » dans ce renoncement ?

Il y avait la riposte des conservateurs, mais me concernant, je considère que la responsabilité des modernistes, qui avait le pouvoir dans leurs mains, était plus grande étant donné qu’ils n’avaient pas été au bout de leur projet de modernisation. Ils avaient accepté le principe de l’égalité étant donné qu’ils avaient aboli l’esclavage et la dhimmitude, mais l’ont refusé lorsqu’il s’agissait des femmes. N’étant pas prêts à accepter que les femmes aient les mêmes droits qu’eux, ils ont décidé de maintenir la charia notamment et explicitement dans le domaine de la famille. Empêcher les femmes d’accéder au même statut social et politique que les hommes était le point commun qu’ils avaient avec les islamistes et les conservateurs.

Et c’était la même chose pour le domaine de l’organisation de l’État, ils ont déclaré, hormis Atatürk, l’islam comme religion de l’État. La référence à l’islam comme religion de l’État, alors qu’il n’est pas uniquement une religion, mais également un système juridique qui remonte de surcroît aux premiers siècles de l’islam, est une concession que les démocrates et les modernistes ont fait aux islamistes qui ont su l’utiliser comme porte ouverte pour s’introduire de plus en plus dans le domaine de l’organisation de l’État et de la société. La réforme de l’islam fait également partie des projets de la Nahda qu’elle n’a pas pu concrétiser. Ceux qui voulaient réformer l’islam ont imposé des limites au travail de la pensée et ont de ce fait empêché cette réforme de se faire. Alors que pour les pays musulmans aucune réforme sociale et politique ne peut être pérenne sans une réforme de l’islam. Finalement, la Nahda qui a défendu la liberté, l’égalité et la démocratie n’a pas pu réellement les accepter notamment lorsqu’il s’agissait de la femme et de la pensée et c’est à ce niveau qu’elle a échoué. À partir des années 1970, on assiste à un retour en en arrière par rapport aux réalisations de la Nahda. Il y a donc eu non seulement une interruption du processus de modernisation, mais aussi un renoncement progressif à ses acquis. Le renoncement aux valeurs de la modernité et le phénomène du retour en arrière et au passé ne concernent pas uniquement les pays du Maghreb mais tous les pays musulmans ainsi que l’Occident où une partie importante de la population est aujourd’hui musulmane. La Nahda a commencé en Égypte et le renoncement a été lancé également en Égypte où la confrérie des Frères musulmans créée en 1928 porte une très grande responsabilité dans ce retour en arrière, au passé.

 

Un des projets de la Nahda était d’émanciper les femmes du port du voile. Quelle est votre analyse sur le retour des femmes au port du voile, en Occident notamment ? Y voyez-vous une autre preuve de ce renoncement à la modernité ?

Lorsqu’au début du XXe siècle, les Frères musulmans, qui ont créé leur confrérie en Égypte en 1928, c’est sur le terrain du voile qu’ils ont agi en premier lieu. L’importance du voile pour les islamistes réside tout d’abord dans le fait qu’une femme voilée affirme la domination masculine ainsi que sa soumission à cette domination, car depuis l’antiquité le voile a été imposé à la femme par l’homme et la religion, avec le Père de l’Église Saint Paul, en a fait le signe de la domination de l’homme sur la femme. Les islamistes sont conscients qu’une femme qui porte le voile au nom de la charia ne peut pas s’opposer aux autres lois de la charia. Ensuite, le voile est la pratique de l’islam la plus visible dans l’espace extérieur, il est pour les islamistes le marqueur de leur territoire ce qui a, pour leur cause, un effet important sur le plan psychologique mais aussi social et politique. Pour les islamistes, introduire partout des femmes portant le voile, c’est introduire partout leur empreinte, c’est marquer leur territoire et leur présence, ce qui est valable pour l’Occident. Quant à votre question, est-il une autre preuve de ce renoncement aux acquis de la modernité, cela est évident. Le voile est une pratique ancestrale. Y renoncer, c’est renoncer à ces acquis de la modernité.

 

Lors de cette même période de la Nahda, vous soulignez que le Maroc a été beaucoup plus en retard en matière de modernisation et plus conservateur que ses deux voisines, l’Algérie et la Tunisie. Le Maroc semble pourtant avoir mieux évolué après les événements qu’il a connus en 2011 dans le sillage des « printemps arabes ». Comment expliquez-vous cela ?

Dans le domaine de la modernisation, lors de la période de la Nahda, le Maroc a été beaucoup plus en retard et beaucoup plus conservateur en comparaison avec ses deux voisines : l’Algérie et la Tunisie. L’Algérie a par exemple reconnu dès son premier texte constitutionnel, en 1963, l’égalité en droit entre les hommes et les femmes et son respect des droits humains tels qu’ils sont inscrits dans la Déclaration de 1948. La Tunisie a elle aussi a reconnu la déclaration universelle des droits de l’homme dès 1959, même si l’égalité entre les femmes et les hommes n’a été explicite dans la Constitution qu’en 2014. En revanche, il faut attendre 2011 pour que le Maroc, en voulant se mettre au même niveau que ses deux voisines, reconnaisse l’égalité hommes/femmes et réaffirm sa reconnaissance des droits de l’homme évoqués dans la Constitution de 1992.

En revanche, les révoltes populaires en Algérie et en Tunisie ont débouché sur un recul quant aux droits humains. La Tunisie ne les évoque plus à partir de juillet 2022 et l’Algérie, si elle reconnaît toujours la Déclaration universelle des droits de l’homme dans son préambule, a préféré à partir de 2020, dans le chapitre droits et liberté, remplacer l’expression des droits de l’homme par l’expression « droits fondamentaux » qui est très vague et que les islamistes préfèrent à celle des droits humains et la Déclaration universelle de 1948. En 2020, l’Algérie a également renoncé à la liberté de conscience. Cependant, sur le plan du respect de ces droits humains : la liberté et l’égalité, le Maroc ne fait pas mieux que ses deux voisines. Il a tout comme l’Algérie et la Tunisie promulgué des lois qui ne sont pas en accord avec ces deux valeurs et ne respectent pas la Déclarations des droits de l’Homme en soumettant notamment les femmes aux règles discriminatoires de la charia. La Tunisie a aboli certaines règles de la charia en 1957 dont la plus coriace la polygamie.

 

Vous décrivez un sentiment d’infériorité chez les populations magrébines ; un excès de « zèle » dans le désir d’avoir des ascendances arabes, que vous présentez comme un élément explicatif du penchant de ces populations pour le fondamentalisme et une pratique rigoriste de l’islam qui persiste aujourd’hui. Comment analysez-vous ce phénomène ?

L’excès de zèle concernant la pratique de la religion et le désir d’avoir des ascendances arabes chez les populations maghrébines ont été soulevés par Ibn Khaldûn. Ces deux phénomènes que j’ai observé et analysé dans mon ouvrage La nécessaire réconciliation sont pour moi des éléments explicatifs du penchant de ces populations pour fondamentalisme, une pratique rigoriste de l’islam qui persiste aujourd’hui. L’analyse des deux doctrines islamiques, les plus répandues au Maghreb et même en Afrique à l’exception de la partie la plus à l’est : le malékisme et le soufisme, m’a permis de déduire qu’elles portent une très grande responsabilité dans la relation que les maghrébins entretiennent avec eux-mêmes et pourquoi beaucoup ont préféré s’inventer des origines arabes et sont dans une pratique rigoriste de l’islam. Le malékisme revendique une suprématie pour les arabes, ce qui a provoqua chez les musulmans non-arabes une fascination pour les arabes. Les berbères ont décidé tout simplement de nier ce qu’ils sont pour s’inventer des origines arabes. Ainsi, selon le prédicateur égyptien al-Qaradaoui, être musulman ne consiste pas uniquement à aimer Dieu mais aussi à aimer les Arabes plus que soi-même. Dans son ouvrage Pour un éveil lucide publié en 2002, page 106, il écrit à ce sujet : « L’islam impose aux musulmans non-arabes, en Asie et en Afrique l’amour des Arabes et fait de sorte qu’ils les préfèrent au détriment de leur propre être. » Il rapporte dans le même livre ( page 107) un texte d’un Nigérian musulman, dans lequel celui-ci aurait écrit : « La spécificité de l’islam réside dans le fait qu’il englobe la langue arabe et en même temps reconnaît aux Arabes une supériorité qu’aucun autre peuple ne peut leur discuter quelle que soit la force de leur croyance, de leur compréhension du Coran de leur foi dans la religion musulmane. » C’est la preuve que le phénomène existe également chez les populations musulmanes en Afrique subsaharienne » comme je l’explique dans mon ouvrage Pour ne pas céder, textes et pensées.

Cependant, d’autres éléments ne sont pas à négliger dans la compréhension de ce phénomène, telle que celui du pouvoir et de la langue. Concernant la langue, les Amazighs ont fait de leur langue une langue orale, et c’est le cas des autres langues africaines, bien avant l’arrivée de l’islam. Avec l’arabisation des villes, le berbère ou tamazight a reculé vers les zones rurales devenant la langue de la ruralité et de l’illettrisme. Et parce que les hommes et les femmes sont toujours à la recherche d’honneurs, pour les obtenir ils préfèrent adopter une langue de savoir et de pouvoir. Beaucoup de Berbères ont ressenti de la honte à parler le tamazight. Pour moi, la réconciliation des populations maghrébines avec leur histoire ancienne et leurs origines, donc avec elles-mêmes, est indispensable pour remédier à beaucoup de leurs problèmes.

 

Les questions liées à l’islam et le problème de l’islamisme interrogent tout le monde musulman, à l’instar des débats en Egypte, notamment avec l’arrivée du Général Sissi au pouvoir. Comment se positionnent les élites nord-africaines dans ce débat ? Aspirent-elles a une réelle réforme du corpus du Coran ? S’opposent-elles selon vous à l’islamisme ?

En Égypte, aujourd’hui, l’islamisme, qu’on présente comme synonyme des frères musulmans, est l’un des sujets qui suscitent le plus de débat notamment avec l’arrivée du Général Sissi au pouvoir qui a fait de leur confrérie son opposant politique. Mais les questions liées à l’islam et le problème de l’islamisme interrogent tous les musulmans et cela dans tout le monde musulman et je dirai même que ces questions sont anciennes. L’islamisme n'est pas un phénomène nouveau en islam. L’important est donc de savoir comment la question est posée. Quelle est la réponse ou les réponses qu’on y apporte ? Ces réponses sont-elles capables de résoudre les problèmes qui se posent au sein de l’islam et d’apporter des réponses fiables  ou pas ? Concernant le terme islamisme, s’il signifie l’islam politique, définition que les Occidentaux lui donnent à partir des années 1970, l’islam est un islamisme étant donné qu’il n’est pas séparé de sa dimension politique et cela depuis l’an 622. D’ailleurs, le terme islamisme est né en Occident. Il n’était pas connu dans la pensée musulmane.

Pour ma part, j’ai toujours considéré que le travail au sein de l’islam était une condition sine qua none pour toute réforme sociale et politique et surtout pour que ces réformes ne soient pas menacées par le retour en arrière qui se fait toujours par une riposte de la part des conservateurs qu’ils mènent au nom de l’islam. J’ai toujours expliqué et plus en détails dans mon ouvrage Islam : quel problème ? Les défis de la réforme que cette réforme doit être tournée vers l’avenir avec pour objectif non pas de changer la charia pour lui permettre de continuer à administrer la société, mais que les croyants puissent vivre leur religion sans se trouver en conflit avec les règles de la société qui sont issues de la raison. C’est pour cela que la réforme de l’islam doit en premier lieu faire que l’islam soit une religion et non une politique.

Quand j’ai commencé à prendre l’islam comme sujet de réflexion, la question que je me suis posée est : y a-t-il une solution pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les sociétés à majorité musulmanes et qui les empêche d’évoluer dans le domaine social, politique et humain ? Pour certains, il n’y a pas d’autres solution que la sortie de l’islam. Pour ma part, j’étais convaincue que cette solution était possible sur le plan individuel, il était impossible de l’envisager sur le plan de la communauté des musulmans et qu’il fallait que le changement se fasse au sein de l’islam.

Mon travail m’a permis de constater qu’il y a dans les Coran des versets qui ont une portée universelle et dont l’interprétation peut s’accorder parfaitement avec les valeurs de la liberté de l’égalité et de l’humanisme tels que le verset 105 de la sourate 5, La Table servie : « Ô les croyants vous êtes responsables de vous-mêmes, celui qui s’égare ne vous nuira point si vous avez pris la bonne voie », recommandant le respect des liberté individuelles et le verset 70 de la sourate 17, le Voyage Nocturne : « Certes, nous avons honoré les fils d’Adam » qui peut être un fondement pour valoriser l’humain quelque soit son sexe, sa couleur ou sa religion. Le problème c’est que ces versets font partie de ceux que les musulmans ne prennent pas en considération. Ils leur ont préféré d’autres versets. Depuis des années que je ne cesse de dire que si les musulmans ont choisi certains versets, pourquoi ne pas choisir d’autres aujourd’hui ?  Il ne s’agit pas d’une relecture du textes carniques uniquement, mais de faire d’autres choix. Pour cela, il faut se libérer de l’épistémologie salafiste.

Ce travail revient aux musulmans de confession ou de culture.  Cela ne veut pas dire que les autres n’ont pas le droit de participer au débat idée, d’autant plus qu’ils sont concernés par les problèmes qui se posent au sein de l’islam. Ce travail de réforme ne sera pas fait par les religieux, car leur objectif a toujours été de protéger leur discours et par la même leur pouvoir. Dans le monde musulman, l’État a lui aussi une responsabilité dans cette réforme est son premier devoir consiste à séparer l’État de la religion, c’est-à-dire entre le domaine de l’État et celui de la religion. C’est une réforme politique qui permettra à la réforme de l’islam de se faire et qui ne peut être à l’abri d’un retour en arrière que si elle est accompagnée de ce travail au sein de l’islam.

Enfin, le rapport à la pensée est le fil conducteur de votre travail. Quelle relation avec le problème des femmes ? Quels sont, selon vous, les leviers pour que les femmes soient le fer de lance du changement dans le monde musulman ?

En effet, lorsque les pays musulmans ont voulu au début du XXe siècle se moderniser, l’obstacle contre lequel ils se sont heurtés était celui de l’égalité entre les hommes et les femmes. Les modernistes et les démocrates qui voulaient moderniser leur pays ne voulaient pas reconnaître l’égalité juridique entre les hommes et les femmes alors qu’ils avaient aboli l’esclavage, la dhimmitude et les châtiments corporels qui sont des règles islamiques inscrites dans le Coran. 

Ils ont refusé d’accorder aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes sous prétexte que c’étaient des règles islamiques et donc impossible à changer. C’est la preuve que la religion n’était pas la vraie raison de leur refus d’égalité juridique entre les hommes et les femmes, mais le désir des hommes de protéger et de préserver leurs privilèges. Mais cela révèle surtout les contradictions dans le discours religieux qui sont nombreuses d’ailleurs et qui témoignent toutes de la défaite de la pensée rationnelle dans la pensée musulmane. 

Pour que les femmes soient le fer de lance du changement dans le monde musulman, il faut que la société leur rende leur dignité en les traitant à égalité avec les hommes, que ces derniers dominent leur désir de domination et que les femmes abordent revendiquent leur droit à avoir les mêmes droits que les hommes devant la loi et cesser d’éviter cette question et d’en faire un tabou. Je dis bien un tabou car de plus en plus on évite de la poser. Les femmes elles-mêmes s’interdisent de la poser car elles ont la peur d’être accusées de critiquer ou de se rebêler l’encontre de la religion. Combien de règles de la religion, inscrites dans le Coran que les musulmans ne mettent pourtant, pas en pratique ?