Ce vieux rusé qui vient de célébrer son centième anniversaire en mai 2023 est un personnage légendaire au vrai sens du mot. Il appartient à une famille de souche allemande qui s’est déplacée vers les Etats Unis où il a reçu son éducation et sa formation pour y débuter sa carrière de politiste et expert des relations internationales jusqu’à accéder au poste de conseiller américain à la sécurité nationale, de secrétaire d’Etat américain jusqu’à atteindre son plein essor sous l’administration des présidents américains Richard Nixon puis Jimmy Carter pour fêter cette année son centième anniversaire. Et nous, en Egypte, nous considérons Kissinger comme étant le vrai connaisseur des évolutions du conflit arabo-israélien. Les conseils qu’il avait donné à l’Etat hébreux s’inscrivaient en partie dans l’importance de la politique étrangère américaine. Et c’est à la veille de ce dernier anniversaire qu’il a prononcé son appel à éviter toute confrontation avec la Chine et à transformer les relations d’un affrontement non justifié en d’autres basées sur la coopération internationale. En fait, j’ai été personnellement tenté par certains traits intellectuels de cette mentalité inqualifiable d’un homme qui a vécu un siècle complet bondé par le haut et le bas d’événements pour que son étoile reste toujours resplendissante. Je me souviens qu’il a eu des entrevues avec tous les présidents égyptiens à partir de Sadate et jusqu’au président actuel Abdel Fatah El Sissi comme si ses visites servaient d’attestation de légitimité du nouveau dirigeant égyptien. Nous lui devons la célèbre théorie qui appelle à intégrer le facteur temps dans la résolution des problèmes internationaux et de trouver une issue aux crises régionales. Par son génie et son expérience singulière, il a constaté que si l’on ne touche pas pour des années à un problème donné, nous remarquerons au bout d’un certain temps que le problème s’est détendu en quelque sorte et que les deux belligérants ont rapproché positivement leur positions vers un point de rencontre. Selon Kissinger, le temps et ses variantes est l’un des éléments d’atténuation de la tension entre les deux parties antagonistes. En outre, il est le précurseur de la théorie de « l’ambiguïté constructive », selon laquelle les deux parties acceptent une formule générale qui convient à chacune d’elles même si cette formule ne l’énonce pas expressément mais dans d’une manière ambiguë. Nous, les Arabes, nous nous souvenons toujours de la résolution 242 du Conseil de sécurité publiée au lendemain de la guerre de 1967 où nous trouvons une concordance des deux parties au sujet « de territoires » et non « des territoires » à travers cette résolution qui escamotait intentionnellement l’article défini «les» afin que le terme soit interprété différemment selon les Arabes ou les Israéliens. Kissinger rendait ainsi un service historique à Israël dont tout le monde se souvient. Je me rappelle, à ce propos, la visite rendue - il y a un ou deux ans par l’ancien diplomate américain Martin Sean Indyk qui rédigeait un ouvrage sur Kissinger et dont certains chapitres portaient sur la relation avec le président défunt Anwar El- Sadate. Il a visité à l’époque la résidence présidentielle à Assouan où il a rencontré le doyen de la diplomatie américaine. En fait, cet homme présente un exemple unique d’une personnalité aimée par certains mais vénérée par tous tant qu’il était conçu par eux comme un génie transcendant et une personnalité sans pareil sur la scène des événements tout le long du vingtième et vingt et unième siècle. Le nom de ce diplomate américain- dont l’âge a dépassé les cent ans- demeurera toujours prestigieux et rayonnant à l’horizon de la diplomatie et des relations internationales et pour de longues années à venir grâce à ses apports inestimables et prodigieux qui ont marqué son soutien à certaines parties lorsque il a pratiqué sa « diplomatie de la navette » en 1973 qui a abouti au désengagement des troupes sur les lignes du combat entre Israël d’une part et la Syrie et l’Egypte d’autre part. Sa compétence ne se limite pas à une zone géographique déterminée mais il conçoit le monde comme un tout intégré soit en période de paix ou de guerre, comme il accorde un grand intérêt à la question de lier entre l’Histoire et le présent. De plus, il est passionné pour toutes les études prospectives; peut-être trouvons nous ici l’essence et le sens de sa valeur authentique: il évolue avec les événements et anticipe sur l’avenir. Il n’a pas fait halte à l’époque de Richard Nixon où il avait lui-même démarré sa carrière diplomatique; il avance parallèlement à tous les présidents américains leur prodiguant conseils, idées originales et visions contemporaines.
A cette époque où l’humanité toute entière fête le centenaire de la naissance de Kissinger, l’on pourrait croire qu’il aurait pu être un candidat fort aux élections présidentielles américaines à moins qu’on n’aurait pas prétexté son judaïsme d’une part et sa naissance en dehors du territoire américain d’autre part. Néanmoins, ce diplomate a été toujours l’ébauche d’une personnalité éminente au niveau des relations internationales compétentes: et c’est ce qui s’est effectivement réalisé. Ses dernières déclarations au sujet des relations entre l’Occident et la Chine étaient une prévoyance des affrontements probables sur la scène internationale comme si le doyen de la diplomatie se montrait réticent à quitter la scène politique internationale sans laisser une forte empreinte indélébile sur les relations entre l’Orient et l’Occident.
Bref, nous manifestons en toute neutralité notre fierté vis à vis de ses positions constructives et ses idées vivifiantes. Nous ne considérons pas ses positions à l’égard du conflit du Moyen-Orient comme si elles étaient l’indice unique de référence à sa personnalité grandiose. Nos pensées vont à Henry Kissinger à l’heure où il souffle la centième bougie de sa vie riche et offre un exemple resplendissant de toute personne désirant vivre éternellement dans la mémoire de l’humanité.