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Monde

Les dessous de l’accord de saoudo-iranien et les conséquences pour la suite de la guerre civile au Yémen

Le Dialogue

Le saoudien Ali al-Youssef (à gauche), directeur des affaires consulaires au ministère des Affaires étrangères et chargé des affaires consulaires à l'ambassade d'Iran, Hassan Zarnegar, assiste à la cérémonie de réouverture officielle de l'ambassade d'Iran à Riyad, le 6 juin 2023. L'Iran a rouvert aujourd'hui son ambassade en Arabie saoudite après une fermeture de sept ans, réaffirmant un rapprochement négocié par la Chine qui a redessiné la diplomatie de la région. Photo : Fayez Nureldine / AFP.

 

Le 10 mars 2023, à la surprise de la plupart des chancelleries occidentales, un accord de paix entre l’Iran et l’Arabie saoudite a été trouvé. Il n’y avait certes pas de conflit ouvert entre les deux pays.  Mais, depuis la condamnation à mort et l’exécution du clerc chiite Cheikh Nimr Baqr al-Nimr par l'Arabie saoudite, les tensions entre les deux pays avaient atteint leurs paroxysmes[1]. Attaque de l'ambassade saoudienne en Iran par des étudiants, soutien accru aux rebelles Houtis chiite au Yémen, renforcement du soutien au parti chiites du Moyen-Orient, la liste continue. Cela fut donc une surprise lorsque le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, accompagné d’Ali Samkhani (chef du conseil national de sécurité iranien) et Musaid al Aiban (Conseiller national à la sécurité saoudienne) présenta cet accord aux yeux du monde. Et, s'il y a bien un pays qui a beaucoup à attendre de cet accord, c'est bien le Yémen. En effet, le Yémen a longtemps été le terrain d’affrontement frontal entre milices chiites pro-iraniennes et armées du Conseil de Coopération du Golfe (surtout Arabie saoudite et Emirats arabes unis), et leurs supplétifs locaux. L'accord de paix était donc attendu par les Yéménites comme un premier pas qui devrait permettre aux différentes factions yéménites de trouver un terrain d’entente. Mais, les négociations qui ont suivi entre l'Arabie saoudite et les rebelles Houtis nous posent une question majeure, question clé pour comprendre la crise yéménite 

 

Où se trouve le gouvernement yéménite officiel ? 

Cette négociation directement entre l'Arabie saoudite et les Houtis exclut un des principaux acteurs de ce conflit, à savoir le gouvernement légitime yéménite, reconnu par l’ONU[2]. Cette absence dans les négociations nous permet d'observer trois points d’analyse important pour la suite des événements. Tout d'abord, il apparait explicitement que le nouveau gouvernement yéménite, censé représenter toutes les factions hostiles au régime Houti, ne trouve pas de légitimité internationale. Les conflits tribaux et affrontements politiques, notamment entre séparatistes et membres du Congrès pour la réforme yéménite (Al Ilsah, parti des frères musulmans) continuent de diminuer la crédibilité de ce gouvernement[3]. Celui-ci n'arrive pas à prévenir les actes terroristes sur son sol, ni le banditisme. Il est dépendant des aides internationales, et le Yémen officiel ressemble de plus en plus à un Etat failli qui échoue à exercer ses plus simples tâches régaliennes. Cette situation est d'autant plus frappante que certains gouverneurs de région, qui agissent sans attendre d’ordres de la part du gouvernement central, comme Sultan Al Aradah à Marib[4], réussissent à faire refonctionner les institutions locales, malgré les crises humanitaires, les déplacements de population, etc. Il semble donc que le Yémen continue de se morceler, avec un Conseil de la présidence qui ne siège pas, des vices présidents ouvertement en guerre les uns contre les autres, et des tensions intérêts très élevés...

Le second point concernant ce gouvernement yéménite, c'est qu'il parait de plus en plus livré à lui-même. Le processus de négociation entre l'Arabie saoudite et les Houtis montre davantage une envie saoudienne de quitter le Yémen qu’une réelle volonté de trouver un accord politique à un conflit qui dure depuis 2004. Cela s’observe notamment par les futures zones économiques d'investissement annoncées par l'Arabie saoudite en début d'année 2023. On peut mentionner notamment la zone économique de Jazan[5] qui se trouve à moins de trente kilomètres des premiers bastions des Houtis dans le nord du Yémen.

 

Partir la tête haute du Yémen, l’objectif saoudien immédiat

Il semble donc que l’Arabie saoudite cherche à partir la tête haute du Yémen, ou du moins par un accord de papier acceptable pour quitter dignement le théatre-bourbier yémenite. Cela permettra d'éviter à l'Arabie saoudite les mêmes images négatives qui ont suivi le départ américain d’Afghanistan durant l’été 2020. On peut aussi y voir les prémices d'une lutte d'influence entre Saoudiens et Émiratis dans le sud Yémen. On a, par exemple, pu observer la tentative de reprise en main de l'ile de Socotra par l'Arabie saoudite, afin de la sortir du contrôle des séparatistes du sud Yémen (et donc des alliés des Emirats arabes unis). 

Dans son récent article sur l'accord de paix entre l'Arabie saoudite et l’Iran, l’avocat et spécialiste de géopolitique Ardavan Amir Aslani voyait dans cet accord une forme de passage du «  fardeau sécuritaire moyen-oriental » des épaules américaines vers celle de la Chine[6]. Avec le désengagement progressif saoudien, nous voyons ici un processus similaire, ou Mohamed Ben Salmane (MBS) tenterait de laisser ses voisins émiratis en charge de l'épineux dossier yéménite. 

Enfin, le troisième point sur cette situation est le plus important pour les Yéménites, mais le moins essentiel pour les acteurs internationaux. En oubliant le gouvernement yéménite officiel des négociations et en se repliant progressivement du Yémen, les Etats du GCC abandonnent le reste du pays aux Houtis chiites. Le gouvernement yéménite, déjà fragile, perdrait toute légitimité internationale en cas d'accord de paix yéménite où cette mouvance ne serait pas convié. Les luttes internes au gouvernement yéménite seraient alors démultipliées, et un effondrement du gouvernement serait à prévoir. Déjà, les rebelles Houtis se renforcent, reprennent du terrain dans les montagnes du Shawbah, se rapprochent de la ville d’Harib[7] et présentent au monde leurs nouveaux équipements dans de grands défilés militaires[8]... Le gouvernement yéménite, au bord de l'asphyxie, sans le soutien de l'armée de l'air saoudienne, ne pourra pas retenir et contenir longtemps les Houtis dans leur poussée vers les régions du sud.

 

En guise de conclusion…

Bien qu'il suscite des espoirs de paix, cet accord irano-saoudien signera assurément la fin de l'intervention saoudienne au Yémen dans les prochaines années. Pour ce qui est de la fin de la guerre, c'est une tout autre Histoire…

 


 


[1]Reuters, « l’Arabie saoudite exécute 47 personnes dont le Cheick Al Nimir » , 2 janvier 2016 , Le monde, https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/01/02/l-arabie-saoudite-execute-47-personnes-dont-le-cheikh-chiite-al-nimr_4840883_3218.html

[2] Ali Khan Veena , “Yemen’s Troubled Presidential Leadership Council” 4 mai 2023 , International Crisis Group https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/gulf-and-arabian-peninsula/yemen/yemens-troubled-presidential-leadership-council

[3] Yemen review , “Coalition Competition in Hadramawt”, 10 mars 2023 , Saana Center of Strategic Studies, https://sanaacenter.org/the-yemen-review/jan-feb-2023/19706

[4] Muller Quentin , « Marib , comme un phare dans la nuit » , 2 avril 2023 , La croix https://www.la-croix.com/Monde/Yemen-Marib-comme-phare-nuit-2023-04-02-1201261767

[5] Direction Générale du Trésor , Lancement de quatre « zones économiques spéciales » en Arabie saoudite, 18 avril 2023, https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2023/04/18/lancement-de-quatre-zones-economiques-speciales-en-arabie-saoudite

[6] Amir-Aslani Ardavan, Réconciliation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, un « game changer » pour le Moyen-Orient , 12 mars 2023 , Atlanticohttps://atlantico.fr/article/decryptage/reconciliation-entre-l-iran-et-l-arabie-saoudite-un-game-changer-pour-le-moyen-orient-diplomatie-dialogue-chine-soft-power-etats-unis-ardavan-amir-aslani

[7] Yemen Review , Fighting Escalates on Multiple Fronts, 14 avril 2023 , Saana Center of Strategic Studies, https://sanaacenter.org/the-yemen-review/march-2023/20001

[8] H.H , Capital witnesses largest military, security parade in region, 22 septembre 2022, Yemen News Agency , https://www.saba.ye/en/news3203688.htm