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Monde

Les Balkans et l’UE: une Europe entre intégrations et désintégration

Le Dialogue

(Première rangée, de gauche à droite ) Le Premier ministre albanais Edi Rama, le président du Conseil européen Charles Michel, le chancelier allemand Olaf Scholz, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président du Conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine Zoran Tegeltija et le Monténégro. Le Premier ministre Dritan Abazovic pose pour une photo de famille avec d'autres participants à la conférence lors du Sommet des Balkans occidentaux du Processus de Berlin 2022 à la Chancellerie de Berlin le 3 novembre 2022. Photo : Jens Schlueter / AFP.

 

Dans l’espace ex-Yougoslave, l’intégration de la Slovénie et de la Croatie datent maintenant de 2013. Des processus d’adhésion ont été entamés avec la Serbie et le Monténégro, bientôt avec la Macédoine et l’Albanie. Mais il n’est pas encore question de la Bosnie-Herzégovine, mille-feuille administratif très difficile à gérer, et du Kosovo en proie à l’instabilité politique et au chaos sécuritaire. Lors du dernier sommet UE-Balkans qui s’est tenu à Sofia en mai 2018, la date d’adhésion envisagée pour les deux premiers d’entre eux a été repoussée à 2028, et c’est juste un repère hypothétique. La question est de savoir si l’UE a encore la volonté de procéder à un élargissement sur ses frontières orientales et dans quelle configuration politique l’UE y procédera. Pour la Serbie et le Monténégro, les atermoiements de l’UE ont déjà laissé un espace aux géopolitiques russe, turque, émirati ou chinoise, notamment dans l’énergie et les transports. A l’heure où l’Union européenne est traversée par des problèmes internes, il est temps de reconsidérer son l’élargissement, notamment au Sud -est de l’Europe. Mais n'est-il pas déjà trop tard pour l'UE, face aux géopolitiques russe et chinoise? 

 

  1. La question de l’adhésion de l’ex-Yougoslavie: une histoire lancinante depuis plus de 20 ans

L’intégration des Balkans occidentaux, c’est-à-dire des anciennes républiques de l’ex-Yougoslavie, est un processus que l’UE a entamé depuis vingt ans déjà. En effet, il commence le 30 juillet 1999, avec la création par Bruxelles du «Pacte de Stabilité pour l’Europe du sud-est». Le Pacte envisage l'intégration de tous les pays de l'Europe du Sud-Est dans l'UE, mais lie explicitement celle-ci au strict respect des critères de Copenhague (1993) : démocratie libérale et économie de marché. Mais les instances européennes attendent la démocratisation du régime politique à Zagreb (après la mort du Président Tudjman en décembre 1999) et à Belgrade (à la chute de Milošević à l’automne 2000) pour accélérer le processus d’adhésion. A l’Initiative de la Présidence française de l’UE, le Sommet de Zagreb (24 novembre 2000) réunissait pour la première fois les pays de l’Union européenne et les Balkans occidentaux. Il a ouvert la voie à leur rapprochement européen, confirmé par le Sommet de Thessalonique, en 2003, qui a reconnu la « perspective européenne » des Etats des Balkans occidentaux. Ce sommet est le début d’un processus pas encore terminé, la proposition par l’UE d’adhérer, en échange de normes en termes de justice, d’Etat de droit et de démocratie. Chaque pays signataire se doit de respecter ces normes , en mettant aux normes son système économique et social, pour pouvoir ensuite dans une seconde période entamer des discussion sur l’adhésion directe. Ce processus se précise dans les années suivantes avec une série d’accords sectoriels. En juin 2006 , la Commission européenne impose un traité établissant une Communauté énergétique de l'Europe du Sud-Est, qui est un cadre légal pour un marché intégré des réseaux d'électricité et de gaz naturel. En décembre 2006 est créé l’ «Accord Centre-Européen de Libre-Echange», qui permet de mettre fin aux tarifs douaniers en Europe centrale. 

 

II- Croatie, Serbie, Slovénie: des pays déjà dans la cour européenne

La Slovénie est le premier pays d’ex-Yougoslavie à avoir intégré l’UE. Cet acte réalisé en 2004 lui a permis de stabiliser son système politique et, en menant des réformes libérales rapides, d’assurer une croissance économique soutenue. En Croatie, l’intégration, qui date de 2013, est déjà marquée par un désenchantement vis-à-vis de l’UE. Beaucoup de Croates, qui aspiraient à une rapide augmentation de leur niveau de vie en entrant dans l’UE, se sentent déçus par le moins-disant social représenté par l’UE; de nombreuses grèves ouvrières ont fait même émerger un sentiment yougo-nostalgique. L’autre problème que l’UE n’a pas su régler est un différend frontalier avec la Slovénie. Dans la baie de Piran revendiquée par les deux pays pourtant membres de l’UE avec Slovénie, une Cour d’arbitrage de La Haye a donné par une décision de juillet 2017 les 2/3 à la Slovénie, ce qui irrité l’opinion publique croate. Par ailleurs, l’ Istrie est revendiquée par certains mouvements politiques italiens. A terme, la question du retour des 235 000 Serbes expulsés de Krajina en 1995 et de la politique vexatoire à l’égard des Serbes de Croatie, contraire aux accords de Copenhague, finira par poser un problème aux autorités croates. 

Les relations entre la Serbie et l’UE ont connu des périodes de rapprochement suivies d’éloignement. Les négociations avaient bien commencé, avec l’ouverture dès octobre 2005, en même temps que pour la Bosnie-Herzégovine, des négociations pour l’antichambre de l’UE, l’«Accord de stabilité et d’association». Mais elles sont suspendues sept mois plus tard par l’UE, qui considère que la coopération de Belgrade avec le Tribunal Pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) est insuffisante. Heureusement, un Accord de Stabilisation et d'Association est signé en avril 2008 qui rentre en vigueur en septembre 2013. Depuis cette date, des négociations ardues mais sérieuses ont permis de signer 25 chapitres sur 34. Le contexte régional a en effet changé depuis quinze ans: la Serbie, malgré des difficultés économiques, semble être le pays le plus sûr dans un entourage instable. C’est la raison qui explique que l’UE l’ait nommé dès 2015, en pleine crise migratoire, le «Pôle de stabilité» des Balkans. Il n’en reste pas moins un obstacle de taille pour Belgrade, la question du Kosovo. L’UE a obligé Belgrade à entamer un dialogue d’égal à égal dès 2013 avec ce qu’elle considère toujours comme sa province méridionale, malgré une proclamation d’indépendance en février 2008. Outre que ces négociations ont montré la position intransigeante des autorités de Priština, Belgrade sera confrontée à un dilemme cornélien à la fin du processus entamé avec Bruxelles. Soit elle signe le chapitre 34 lui permettant de clore les négociations d’adhésion, mais au prix de la perte de souveraineté sur sa région méridionale; soit elle préserve son intégrité territoriale en maintenant dans son giron sa province méridionale en disant définitivement au revoir à l’UE. 

Cela explique peut-être le rapprochement du gouvernement serbe avec les deux puissances que sont la Chine et la Russie. Celle-ci déploie sa stratégie énergétique dans la région et a ouvert en décembre 2020 le raccordement de la Serbie au gazoduc «Turkish stream»; par ailleurs, elle n’a de cesse de soutenir la Serbie à l’ONU sur la question du Kosovo, devenue la pierre angulaire de sa politique extérieure. La Chine a transformé au même moment la Serbie en «Cheval de Troie» de son expansion en Europe: routes, chemin de fer, mines et investissements massifs en font un allié de choix. Et le soft power déployé par ces deux puissances dans la politique vaccinale face à la Covid ont accentué leur attachement à la Serbie.

 

III- Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine-Nord et Monténégro: une intégration rejetée aux calendes grecques? 

La Macédoine-Nord et le Monténégro ont depuis longtemps signé des Accords de stabilité et d’association, en 2004 et en 2010. Des leaders pro-européens et une relative ouverture aux réformes économiques ont représenté une garantie de bonne gouvernance aux yeux de Bruxelles. Malgré des fractures internes encore vives, représentées par l’irrédentisme albanais dans les deux cas, on semble s’orienter vers un « paquet» d’intégration Monténégro-Macédoine avec la Serbie. En effet, le 24 mars 2020, Oliver Varhelyi, commissaire européen à l’élargissement, après plusieurs mois d’atermoiements, notamment liés au refus d’Emmanuel Macron de tout élargissement de l’UE avant l’approfondissement des institutions, a ouvert les négociations d’adhésion de la Macédoine du nord  . 

Dans un rapport datant d’octobre de la même année, la même Commission observe que même si « aucun progrès en matière de liberté d’expression n’a été constaté», l’Albanie se voit accorder par elle un satisfecit, avec « une bonne progression de la réforme de son système judiciaire» ainsi que « des progrès satisfaisants en matière de lutte contre la criminalité organisée ». Or au 1 mars 2021, le même Oliver Varhelyi a estimé que l’Albanie avait rempli toutes les conditions nécessaires à l’organisation de sa première conférence intergouvernementale. Alors que le gouvernement français, toujours en pointe dans la défense des musulmans d’Europe, « soutient pleinement l’adhésion de l’Albanie» et «salue les progrès accomplis par l’Albanie ». Matteo Salvini ménage la chèvre et le chou , en affirmant que «de mon point de vue, les frères albanais et les Serbes seraient les bienvenues» en Europe. Mais la Bulgarie a exprimé sa réserve, enrayant un processus basé sur l’unanimité. Le chemin est encore long et douloureux pour l’Albanie et la Macédoine-Nord.

Malgré la signature d’Accords de stabilité et d’Association respectivement en 2015 et 2016, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo semblent être pour le moment exclus de toute intégration européenne. En premier lieu, parce qu’ ils représentent un terreau d’activisme islamiste que l’UE ne peut plus se permettre d’accueillir: ces deux pays sont en effet en Europe les deux foyers les plus denses en combattants d’ISIS et leurs djihadistes ont des camps d’entraînement localement. Par ailleurs, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo sont considérés comme deux «Etats faillis». Chacun d’entre eux ne contrôle plus une grande partie de son territoire ( les autorités de Priština n’ont plus autorité sur le «Kosovo-Nord» – Sarajevo voit la Republika Srpska et l’Herzégovine happées par des mouvements centrifuges); de plus, leurs gouvernements corrompus sont aussi fondés sur des administrations ingérables (mille-feuille en Bosnie-Herzégovine de 13 états– dirigeants du Kosovo mafieux , Ramush Haradinaj et Hashim Thaçi poursuivis pour crimes de guerre par le « Tribunal Spécial pour le Kosovo »). 

 

En guise de conclusion…

L’UE, en lutte contre les géopolitiques russe et chinoise, a donc accéléré un processus d’adhésion des Balkans occidentaux à sa sphère. Mais hormis la Serbie et dans une moindre mesure le Monténégro, qui peuvent espérer en 2028 leur intégration,  les quatre autres pays semblent encore bien loin d’une intégration pleine et entière. Le mot de la fin revient au représentant de l’Allemagne, Heiko Maas, qui manie bien la langue de bois pour ne rien dire : « Une souveraineté stratégique pour l’Europe ne peut être finalement réalisée sans un lien étroit entre les Balkans occidentaux et l’Union européenne».