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Politique - Société

Le grand entretien du Dialogue avec Jean-Michel Fauvergue sur le malaise de la police française

Le Dialogue

Après la mise en détention provisoire d'un policier de la BAC à Marseille, la colère gronde dans les rangs de la police. Dans les commissariats du sud de la France, les arrêts maladies s'enchainent et l’activité des services tourne au ralenti. Pire, le mouvement s'étend progressivement au reste de la France et est bien suivi en région parisienne.

Jean-Michel Fauvergue, ancien député français et patron du RAID de 2013 à 2017, auteur du livre Les Hommes en noirchez Plon (2023), analyse la situation dans un entretien exclusif pour Le Dialogue.

Propos recueillis par Angélique Bouchard  

 

Le Dialogue : A son retour de Nouvelle-Calédonie, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui ne s'est pas exprimé publiquement depuis le début du mouvement de contestation dans la police, a reçu les organisations syndicales ce 27 juillet dernier. Cette célérité atteste-t-elle d’une inquiétude de l’exécutif dont les prises de parole sont très prudentes ?

Jean-Michel Fauvergue : Inquiétude sans doute je rappelle que les forces de l’ordre en général et les policiers en particulier sont souvent le dernier rempart contre les terroristes, la criminalité organisée, la délinquance violente et bien sûr aussi contre les émeutiers qui pillent et qui cassent s’en prenant aux commerces et aux équipements en particulier dans les quartiers défavorisés et brulant les véhicules, outils nécessaires pour se rendre au travail, des habitants qui vivent sur ces secteurs. Mais bien plus que l’inquiétude, c’est le respect qui a mu l’action du Ministre de l’intérieur. Respect pour le travail quotidien qu’accomplissent les hommes et les femmes de la police nationale, respect aussi vis à vis de leurs exceptionnelles mobilisations lors de ces très violentes émeutes où ils ont fait preuve de courage, d’abnégation et d’esprit républicain.

 

Les protestations, qui se manifestent principalement par des mises en code 562 (c’est-à-dire un service minimum assuré dans les unités - et par des arrêts maladie), ont un impact difficilement évaluable. Selon vous, s’agit-il là d'un mouvement de défiance vis-à-vis du ministre ?

Non, c’est essentiellement un mouvement de ras le bol et de perte de sens. Les policiers sont les éboueurs de la société, ils sont confrontés quasi-quotidiennement à ce que l’humain a de plus vil, les meurtres d’enfants, les attentats sanglants etc… mais aussi à des tragédies et des accidents qui nous impactent tous. Nous sommes ébranlés par le cadavre d’un enfant migrant qui a échoué sur nos côtes, par une femme qui a été massacrée par son compagnon, par un étudiant qui s’est immolé par le feu etc… et pourtant nous, nous le vivons de notre canapé par écran interposé et ça nous chavire, alors imaginez-vous les policiers qui sont sur place. Je ne vous dis pas ça pour faire du misérabilisme ou du sensationnalisme, je veux juste faire comprendre que le job de flic n’est pas un boulot comme un autre et qu’on leur doit respect et compréhension y compris aux moments où ils peuvent être mis en cause. Ils l’ont tous dit et il faut l’entendre : Ils ne sont pas au-dessus des lois, mais ils ne sont pas en dessous des lois.

 

Le syndicat Unité SGP Police demande, en particulier, la création d'un statut spécifique du policier mis en examen, excluant la détention provisoire d'un agent agissant en mission. Peut-on avoir une justice d'exception à l'endroit des policiers aujourd’hui en France ?

La mise en détention provisoire n’est pas un jugement, c’est un acte de procédure et en tant que tel il est codifié non pas par le code pénal mais par le code de procédure pénale ceci a son importance. Le CPP liste les conditions de mise en détention provisoire, elles sont très claires et il est difficilement pensable qu’un policier mis en cause dans le cadre de ses fonctions lors d’une mission ordonnée par sa hiérarchie puisse enfreindre ces obligations. Mais comprenez-moi bien, je parle d’un policier agissant dans le cadre de ses fonctions, concernant un policier voyou, délinquant ou criminel celui-là pour le coup ne doit bénéficier d’aucun aménagement d’aucune sorte et d’ailleurs lors de sa condamnation sa qualité de policier peut être retenue comme circonstance aggravante. Pour répondre totalement à votre question, non, pas de justice d’exception, mais des actes de procédures qui prennent en compte la qualité de policier agissant en service, et sans doute aussi des magistrats ou des cours mieux spécialisés sur ce contentieux très particulier.

 

Les forces de l’ordre témoignent de leur « le ras-le-bol » et leur « fatigue » car elles ont été « exceptionnellement mobilisées » ces derniers mois avec, entre autres, la réforme des retraites et les émeutes d’une intensité incomparable. L’exécutif doit-il redouter selon vous, de voir la grogne des policiers encore monter dans le pays, avec la Coupe du monde de rugby en septembre, puis les Jeux olympiques dans un an ?

Non, a aucun moment notre police républicaine n’a manqué ni à l’appel ni à ses devoirs. Elle sera présente lors de ses grands événements, mais aussi dans le cadre de ses missions quotidiennes.

 

Quelles devraient être selon vous les mesures adéquates pour réconcilier les policiers avec leur haute-hiérarchie voire, plus largement, avec la Justice et une certaine classe politique ? 

C’est une question à multiples facettes. La haute hiérarchie vient de démontrer en la personne du Directeur Général de la Police Nationale et aussi du Préfet de Police qu’elle comprenait ses troupes et qu’elle les soutenait. Je pense néanmoins qu’aux niveaux intermédiaires la hiérarchie se doit d’être plus présente et de délaisser les réunions incessantes qui l’éloigne du terrain. C’est vrai pour tous les niveaux, du commissaire de police au brigadier-chef en passant par l’officier. Le travail de terrain doit être valorisé et les demandes et désirs de nos citoyens pour plus de sécurité, doivent être des priorités absolues. En ce domaine les objectifs de sécurité publique ne doivent pas être définis d’en haut sur un coin de bureau ou pour répondre à des directives peu en rapport avec les spécificités criminogènes locales, pas plus qu’ils ne doivent dépendre du bon vouloir d’équipes de terrain qui fixent leurs préférences en fonction de leurs envies. Non définitivement non, le rôle d’un policier quel que soit son grade, c’est d’écouter son concitoyen et de se mettre à sa disposition. Concernant la justice tout est à faire en respectant de la même manière le profond désir des justiciables à être protégés. Cela n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui, sauf pendant les émeutes ou la justice a retrouvé sa fierté, je forme des vœux pour que ce mouvement se perpétue. Une partie de la classe politique, situé à l’extrême gauche a divorcé définitivement avec la police. A travers les accusations permanentes contre les forces de l’ordre, ces groupes dogmatisés s’attaquent tout simplement à nos structures étatiques et à nos valeurs, comme leurs prédécesseurs baignés des mêmes idéologies l’ont fait à plusieurs reprises dans notre histoire proche ou plus lointaine. Il ne peut y avoir de réconciliation avec cette frange étroite car il n’y a aucun partage de valeurs.