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Monde

Arménie Azerbaïdjan, « Je t’aime, moi non plus »

Le Dialogue

Un observateur de l'Union européenne regarde en direction du corridor de Lachin, le seul lien terrestre de la région séparatiste du Haut-Karabakh à population arménienne avec l'Arménie, le 30 juillet 2023. Le Karabakh est au centre d'un différend de plusieurs décennies entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan , qui ont mené deux guerres sur le territoire montagneux. Photo : Karen MINASYAN / AFP

 

Depuis un tiers de siècle, la question du Haut Karabakh envenime les relations entre Bakou et Erevan, du sanglant conflit de 1993 (cf .infra) aux escarmouches et incidents de frontières multipliés au cours des deux dernières décennies en passant par la vaine tentative de cessez le feu de 2020.

Mais le 15 Juillet dernier, à Bruxelles, sous la houlette de Charles Michel, Président du Conseil de l’Europe, les deux leaders concernés, le Président azéri Ilham Aliev et le Premier Ministre arménien Nikol Pashinian, s’engageaient solennellement « à prendre des mesures courageuses pour accomplir des progrès irréversibles sur la voie de la normalisation de leurs relations et de la Paix » (sic)

Charles Michel se réjouissait des rapports « plus que cordiaux »  manifestés par les deux  responsables et la plupart des Chancelleries européennes  se félicitaient de la démarche.

Alors, évènement majeur …ou coup d’épée dans l’eau ?

De fait, dès le lendemain, Bakou accusait la Russie de ne pas tenir ses obligations et ses engagements actés en 2020 quant à la protection du couloir de Lachine et le 18 Juillet, fermait à nouveau ledit corridor, seule voie d’accès vers le Haut Karabakh.   

La poursuite d’une longue et dramatique histoire :

Dès la disparition de l’Union Soviétique, en 1991, un conflit ouvert éclate entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à propos du Haut Karabakh. De fait, il  n’est  que la dramatique poursuite des relations singulièrement tendues, depuis des générations, entre ces deux nations qui viennent d’accéder à l’Indépendance. Des relations tendues qui remontent au début du…XVIIeme siècle, et confortées à partir de 1928, par la guerre entre la Russie tsariste et l’Iran. Avec de douloureuses conséquences régionales, et notamment les déplacements forcés d’Arméniens de Turquie et d’Iran vers les horizons du Caucase. Des relations illustrées, au crépuscule de  l‘Union Soviétique, par une guerre sourde, strictement localisée, opposant à partir de 1988 les séparatistes karabakhtsis à l’Azerbaïdjan.

Au début de l’année 1993, les forces arméniennes pénètrent en territoire azéri et occupent une zone qu’elles qualifient de « périmètre de sécurité » autour du Haut Karabakh, soit quelques 8  000 Km2 de terres azerbaïdjanaises. A l’issue du conflit, au terrible bilan (plus de 40 000 morts, 1,3 million de personnes déplacées vers Bakou, et par d’effroyables massacres, comme celui de Khojaly (613 cils ,dont 106 femmes et 87 enfants), 20% du territoire azéri sont désormais contrôlés par Erevan : le Haut Karabakh et sept districts voisins, ceux de Fuzuli, d’Agdam, de Djebrail, de Goubadly, de Latchin, de Klebadjar et de Zangian..

Le contexte régional s’avère d’autant plus complexe que, quelques mois avant l’implosion de l’URSS, les Arméniens du Haut Karabakh, après avoir vainement réclamé leur rattachement à Erevan, décident unilatéralement de leur indépendance. Le 7 Janvier 1992, la « République du Haut Karabakh » est proclamée. Une « République » qui, aujourd’hui encore, n’a été reconnue par aucun membre des Nations Unies et seulement par trois Etats  non membres de l’organisation internationale : l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud et la Transnistrie.

Mais cet événement, du côté des Arméniens de la région, appuyés par Erevan, a permis  à l’époque de qualifier le conflit lui même de « lutte de libération nationale » et non de guerre interétatique entre l’Arménie et  l’Azerbaïdjan.

Du rôle de la communauté internationale :

Dès le milieu de l’année 1992, la communauté internationale va tenter de mettre un terme à la guerre, via la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE), devenue, à partir de 1995, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Le 24 Mars 1992, la CSCE officialise la  création d’un « Groupe de contact pour le Haut Karabakh », rapidement appelé  « Groupe de Minsk », dans la mesure où les premières séances de travail de ladite structure auraient du se tenir dans la capitale bélarusse. 

Le Groupe de Minsk va recenser onze participants, dont la France et les Etats Unis, rejoints en 1994 par la Russie de Boris Eltsine. Avant l’intégration de la Russie au Groupe, ce dernier suggère dès Avril 1992 la mise en place d’une force de maintien de la paix « OTAN/CEI pour vérifier la pérennisation du cessez le feu et pour protéger les convois humanitaires ». Mais Moscou va s’opposer à cette initiative, refusant  le déploiement sur le territoire concerné d’une force comportant des combattants de l’OTAN.

Au cours de l’année 1993 (année o combien cruciale), l’ONU va prendre les choses en mains. A la demande pressante du Conseil de Sécurité, son Secrétaire Général, Boutros Boutros Ghali, valide un Rapport sur la situation du Haut Karabakh. Il y rappelle « que les combats dans le Haut Karabakh constituent une menace pour le maintien de la Paix et de la sécurité internationale dans toute la Transcaucasie » et suggère audit Conseil de Sécurité de charger la CSCE d’oeuvrer pour atteindre dans les meilleurs délais la résolution du contentieux par les voies pacifiques.

L’ONU adopte quatre résolutions au cours de cette seule année 1993:

-La Résolution 822 du 30 Aout 1993 :

«Le Conseil de Sécurité « reconnait avec inquiétude qu’il y  a eu invasion du district de Klebadjar en République azerbaïdjanaise par des forces arméniennes, exige la cessation immédiate de tout acte d’hostilité et le retrait immédiat de toutes les forces d’occupation du Klebadjar et des autres régions occupées de l’Azerbaïdjan ».

-La Résolution 853 du 29 Septembre 1993 :

A la suite de la prise du district azéri d’Agdam par les Arméniens, le Conseil de Sécurité « condamne cette nouvelle invasion, exige le retrait immédiat des forces occupant Agdam et les autres zones occupées, et demande à tous les Etats membres de s’abstenir de fournir des armes et des munitions qui pourraient intensifier le conflit ».

-La Résolution 874 du 14 Octobre 1993 :

« Le Conseil de Sécurité prend acte de l’entrée de la Fédération de Russie au sein du Groupe de Minsk et rappelle expressément la nécessité de consolider le cessez le feu en vigueur ».

--La Résolution 884 du 12 Novembre 1993 :

Le Conseil de Sécurité constate « l’aggravation de la situation dans le Haut Karabakh  et l’escalade des hostilités armées; condamne les violations du cessez le feu, l’occupation des districts azéris de Zangian et de Goubadly et exprime sa vive préoccupation face aux bombardements du territoire de la République azerbaïdjanaise ».

Inutile sans doute de préciser que ces quatre résolutions restèrent lettre morte ! Et si un cessez le feu a été effectivement signé le 16 Mai 1994, à Moscou, le conflit reste latent (cf.infra), comme l’ont montré les nombreux incidents de frontières qui illustrent les trois dernières décennies,  notamment en 2006, 2008, 2010, 2012, 2013, et, surtout en Avril 2016 et en Octobre 2020,  où les incidents ont dégénéré, faisant craindre à deux reprises le retour d’une véritable guerre ouverte.

Le Groupe de Minsk n’a pas cessé de proposer un règlement « par étapes » de la question du Haut Karabakh. Quatre suggestions seront émises, convergeant vers l’obtention d’un compromis, sur la base  de concessions mutuelles et la quête d’une solution pacifique comprenant la restitution de l’ensemble des  territoires occupés par les Arméniens et le droit au retour, en échange d’une véritable autonomie accordée à la communauté arménienne résidant sur ces lieux

En Juin 2016,par exemple, le Groupe a présenté de véritables propositions concrètes, reposant sur :

-le retrait complet des forces arméniennes  des sept enclaves occupées ;

-la démilitarisation du Haut Karabakh avec déploiement d’une force multilatérale de paix et de sécurité ;

-la réinstallation des personnes déplacées et le financement de la reconstruction des villes et des villages détruits par la guerre

-in fine, un référendum sur le statut du Haut Karabakh.

L’impartialité du Groupe de Minsk est difficilement contestable. Plusieurs documents, depuis cette date, appuyés ultérieurement par l’ONU, ont été validés par l’OTAN, l’OSCE, le Conseil de l’Europe et l’Organisation  de la Coopération Islamique, pour résoudre le problème conformément aux normes du droit international. Bakou semblait assez ouvert à ces propositions. Le Président azéri avait  accepté l’idée d’un statut transitoire, sur cinq ans, pour les districts de Klebadja et de Latchin, avec un corridor vers l‘Arménie. Mais Erevan n’avait ,à l’époque, pas donné suite..

En Octobre 2020, une nouvelle crise se manifeste, après de multiples incidents de part et d’autre de la frontière. L’ aviation azerie bombarde la ville de Stepanakest. Le Premier Ministre arménien Nikol Pachinian appuie le gouvernement karabakhtsi  et le Président Erdogan se solidarise des initiatives de Kabou. Mais Le cessez le feu est obtenu le 10 Novembre, via l’intervention du Kremlin et les deux Présidents, azéri et arménien, signent un « Traité de Paix » qui reprend dans ses grandes lignes le document évoqué supra et les propositions suggérées par le Groupe de Minsk en 2016 :Erevan s’engage à rétrocéder à Bakou les districts d’Aghdam et de Lkebadja ; un corridor est aménagé à Latchin ; le retour des personnes déplacées sera effectué sous le contrôle de l’ONU ; et, plus concrètement encore, dès le lendemain de la signature de l’Accord , deux mille soldats russes sont déployés le long de le l’ancienne ligne de front..

Les espoirs suscités par le « Traité de Paix » vont vite s’évanouir rapidement. Les incidents  de frontières se sont de nouveau manifestés au cours des trois dernières années…

De quoi laisser sceptique quant aux résultats positifs attendus de la rencontre de Bruxelles. De facto, la question  du Haut Karabakh envenime dépasse les strictes relations conflictuelles entre les deux belligérants mais concerne l’ensemble du Caucase. Et comme le soulignait François Thual ,« tant en Azerbaïdjan qu’en Arménie, la question karabakhtsie est devenue le centre de gravité de la géopolitique du Sud Caucase ».