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Afrique

Que veut la jeunesse Africaine ?

Le Dialogue

Josue Bung (au centre), coordinateur du mouvement Sang Lumumba, fait un geste alors qu'il est arrêté lors d'une manifestation contre la visite du président français Emmanuel Macron en République démocratique du Congo à Kinshasa le 4 mars 2023. Photo : Arsene Mpiana / AFP.

 

Face à la montée en puissance d’une jeunesse contestataire, du principe de souverainisme, à un moment où l’Afrique a le choix d’une multiplication des partenaires : Chine, Inde, Russie, Turquie, Etats-Unis et Européens… la France n’a-t-elle pas d’autre alternative que de se réinventer afin de se maintenir sur ce continent et y jouer un rôle décisif ?

D'ici 2050, l'Afrique comptera déjà 2,5 milliards d'habitants, et l'Europe seulement 450 millions.

Emmanuel Macron a-t-il pris toute la mesure de cette véritable lame de fond, quand les Africains en appellent à un aggiornamento radical ?

 

« Le sentiment anti-occidental est très largement partagé si on prend les BRICS, si on prend l’Afrique, on voit bien comment l’Afrique est montée contre nous. Comment elle cherche à faire en sorte que la France quitte l’Afrique… Il y a un sentiment extrêmement actif, On se trompe si on parle de neutralité (NDLR vis à vis de la Russie) Et cette capacité à jouer sur le levier du Monde est un élément qui joue assurément en faveur de la Russie, ne l’oublions pas… » martèle Dominique de Villepin.

Dans ce contexte, un point commun est frappant, un fil rouge à savoir : la désespérance de la jeunesse, surtout en Afrique francophone. Cette jeunesse est en colère contre ses gouvernants et veut fuir. Cette dernière est très conservatrice d’un point de vue sociétal. Elle s’oppose du reste farouchement à l’idéologie woke, à la mouvance LGBT et à la nouvelle religion écologiste.

"Il y a une très profonde méconnaissance aujourd'hui des nouvelles réalités africaines. Ce sont des pays où la jeunesse est très importante. Cette jeunesse s'informe sur les réseaux sociaux et nous n'avons pas forcément les moyens d'accéder à elle. Nous, nous fonctionnons très à l'ancienne". "Ce sont des relations qui sont encore marquées par l'empreinte néocoloniale", a-t-il poursuivi. Interrogé sur le devenir de la présence française au Niger, l'ex-ministre des Affaires étrangères, considère qu'"il faut maintenir des canaux", car "rien n'est pire que la table vide".

 

C'est justement autour de cette jeunesse que la France a fixé la porte d'entrée de sa nouvelle stratégie, tentant de redorer son image politique et pousser ses pions sur le terrain économique où elle a considérablement reculé. Le Sommet Afrique-France qui a rassemblé, en octobre 2021, des jeunes de la diaspora à Montpellier, sommet que la France a vraisemblablement raté. Du reste, le niveau des débats étaient éloquents à l’aune de déclarations entendues ; à titre d’illustration : « Si la relation entre les pays d'Afrique et la France était une marmite, elle serait sale ».

Pour l’heure, Emmanuel Macron essaie de se rattraper. Si au départ la France affiche sa volonté de reprendre le leadership économique ravi par la Chine et dans une moindre mesure par la Turquie à l’instar de la gestion des aéroports d’Abidjan, de Niamey et de Dakar, dans plusieurs pays francophones, les tournées africaines d'Emmanuel Macron en juillet 2022 (Cameroun, Bénin et Guinée Bissau) et en mars 2023 (Gabon, Angola, Congo, RDC) ont mis en évidence la forte rivalité avec le Kremlin.

Dans cette perspective, Ristel Tchounand, journaliste, a interrogé pour l’Afrique la Tribune, notamment un panel d’entrepreneurs africains quant à la posture que devrait adopter la France à l’aune de cette nouvelle Afrique, à l’instar de Valérie Houphouët-Boigny, de Paul Obambi ou de François Jeanne-Beylot.

« La Russie est extrêmement marginale et surmédiatisée. La stratégie russe fonde son contenu sur ce que dit la rue africaine. Je pense même que la propagande russe en Afrique n'est pas destinée aux Africains, mais vise plutôt à déstabiliser les puissances occidentales (Etats-Unis et France) du point de vue cognitif, sur leurs terrains de prédilection », analyse avec justesse Valérie Houphouët-Boigny, consultante en intelligence économique, Responsable du Club Afrique de l’AEGE,  Elle estime que Moscou favorise Pékin : « l'alliance Chine-Russie est très claire à ce niveau. Si la France -et plus largement l'Europe- se retrouve au milieu de la guerre Etats-Unis - Chine, elle n'aura pas de marge de manœuvre propre. C'est un piège à éviter ».

Dans le même temps, le Président français, cumule les couacs dans sa démarche diplomatique -notamment sur les questions monétaires en lien avec le Franc CFA, des déclarations souvent jugées offensantes, relève Ristel Tchounand.

 

Paris ne sait pas exploiter ses atouts

Pour autant, la France dispose pourtant d'atouts « pas exploités comme il faudrait », parce que disent-ils, le rejet de la France en Afrique est politique, pour ne pas dire largement lié à la l’attitude condescendante du Président Emmanuel Macron, mais pas économique. « Je le vois en tant que chef d'entreprise intervenant en Afrique. Dans les pays où soi-disant on n'aime pas la France, on aime bien travailler avec les entreprises françaises. Donc les gens peuvent ne pas aimer les déclarations du président français, mais continuer de travailler avec les entreprises françaises », témoigne François Jeanne-Beylot, Secrétaire Général des Assises Africaines de l’IE, Gérant fondateur de la société Troover InMédiatic.

Paris pourrait s'appuyer pour se repositionner économiquement, « non pas en tant que puissance, mais en tant que partenaire »« Sur ce volet, la France a un avantage par rapport aux Etats-Unis, parce que les entreprises américaines sont très peu connues en Afrique », compare Valérie Houphouët-Boigny.

Et il y a plus, on ne saurait occulter la Francophonie. « La question est de savoir pourquoi l'État français ne joue pas la carte de la francophonie économique ? », interroge François Jeanne-Beylot, remarquant que le Commonwealth devrait inspirer la Francophonie. Dans ce sens, l'Alliance des patronats francophones est considérée comme un premier pas « innovant », qu'il faudrait « multiplier »« Déjà en parlant d'alliance, on se rapproche de l'échelle de valeur africaine. Et avec cette alliance des patronats francophone qui rassemble tous les patrons d'Afrique francophone, la France redevient un acteur légitime au même titre que le patronat ivoirien, marocain, congolais, camerounais, burundais ou autre », souligne la responsable du Club Afrique de l'AEGE.

 

Les Chefs d’État africains militent pour la diversification des partenaires

Face à la convoitise internationale dont l'Afrique fait l'objet, ses dirigeants prônent dorénavant la diversification des partenaires. « Il y a peut-être une obsession aux Etats-Unis à propos des activités chinoises sur le continent. Mais il n'y a pas une telle obsession ici à propos de la Chine. [...] Tous les pays sont nos amis et nous avons des relations à différents degrés d'intensité avec chacun d'entre eux », a déclaré le président ghanéen Nana Akufo-Addo.

Dans la même veine, Paul Biya, le Président du Cameroun, au sujet de la Russie, se refusant -comme la majorité de ses pairs- de condamner l'invasion russe en Ukraine. 

« L'Afrique est suffisamment lucide. Nos pays ont encore des ressources y compris les ressources écologiques. Nous devons en faire bon usage. Les pays doivent choisir les partenaires qui leurs font les meilleures offres, c'est-à-dire la meilleure qualité au meilleur prix. Si celles-ci sont françaises, américaines, russes ou chinoises, le choix se fera dans le cadre d'un partenariat gagnant-gagnant », défend Paul Obambi, PDG de SAPRO, un conglomérat industriel majeur au Congo-Brazzaville.

« L'intérêt économique revient au centre des préoccupations des Africains », remarque Valérie Houphouët-Boigny, tant au niveau des États que des entreprises ou des individus. « Ce que chacun des partenaires peut apporter est décrypté », ajoute l'experte, soulignant notamment le nombre grandissant d'Africains qui se forment en intelligence économique ».

 

La République Démocratique du Congo est consciente de son pouvoir d’attraction ; elle veut en tirer profit

Plus grand pays francophone au monde avec plus de 108 millions de locuteurs, la RDC est un « berceau » de ressources naturelles : premier producteur mondial de Cobalt avec près de 70% de la production et plus 50% des réserves mondiales ; troisième producteur mondial de cuivre avec des gisements importants de manganèse, de chrome ou de lithium, sans parler du coltan, métal rare et stratégique considéré comme un métal stratégique. Il est surtout utilisé dans la fabrication de condensateurs pour les équipements électroniques mais entre également dans la composition d'alliages de cobalt et de nickel dans l'aéronautique et particulièrement pour la fabrication des réacteurs, dont la RDC est donc l'un des principaux producteurs sur la planète... 

Des ressources précieuses pour faire face à l'avenir écologique mondial, sans parler des vastes réserves forestières. Une richesse dont le gouvernement congolais a conscience. « La transition mondiale vers les énergies vertes et la décarbonisation qui a stimulé la demande en véhicules électriques ne sauraient se faire sans les métaux dits stratégiques pour la RDC et critiques pour le reste du monde », a déclaré le président Félix Tshisekedi.  « Notre positionnement actuel d'exportateur de minerais bruts nous place au bas de la chaîne de valeur mondiale d'un marché qui atteindra 8 000 milliards de dollars d'ici 2025 et pour lequel nous ne captons que 3%. Notre ambition est donc claire. Il s'agit pour nous de promouvoir la transformation locale des ressources naturelles et de placer la RDC au cœur d'une chaîne de valeur verte régionale de production de véhicules électriques », a-t-il exposé sous les ovations des Congolais.

 

Quand la France paye en Afrique sa politique résolument atlantiste

Pour Michel Losembe, consultant spécialisé en Financial Advisory, ancien président de l'Association congolaise des banques et Vice-président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), sans la guerre à l'Est de la RDC, le voyage d'Emmanuel Macron aurait été « bien perçu, tout comme les précédentes visites de présidents français », ce pays d'Afrique Centrale n'ayant pas de passé colonial avec l'Hexagone. « L'agenda de Macron était essentiellement politique, entre le repositionnement de la France suite à son recul en Afrique de l'Ouest, la volonté de rendre la balle à la diplomatie russe qui se renforce sur le continent et passer le message aux entreprises face à la stratégie économique de la Chine. Le président français a habillé tout cela avec un programme économique, d'où le forum de Kinshasa. Je crois que dans le contexte actuel, la RDC a une carte tactique à jouer pour tirer avantage économiquement parlant. Toutefois, la nouvelle politique économique de Paris prend plus de sens en zone CFA ».

« Il faudrait aujourd'hui que nous puissions parler de partenariat »

Pour Paul Obambi, PDG de Sapro Group et président de la Chambre de commerce, d'industrie; d'agriculture et des métiers du Congo (CCIAM), le complexe lié au passé colonial est révolu : « Le temps est passé, l'environnement des affaires a évolué, précédé par l'évolution de l'environnement politique,  nous ne sommes plus en France-Afrique, il y a eu de gros progrès. Il faudrait aujourd'hui que nous puissions parler de partenariat ».