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Monde

L’industrie d’armement, un atout stratégique de première importance pour la Russie dans cette guerre d’usure qu’est devenu le conflit ukrainien

Le Dialogue

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken examine les armes alors qu'il visite un site du commandant détaché du Bureau de la sécurité et de l'approvisionnement en ressources des gardes-frontières de l'État ukrainien, le 7 septembre 2023, dans l'oblast de Kiev. Le haut diplomate américain Antony Blinken a annoncé une nouvelle aide de plus d'un milliard de dollars à l'Ukraine lors d'une visite à Kiev le 6 septembre 2023, dans le cadre d'un programme qui, selon lui, aiderait la contre-offensive ukrainienne à « prendre de l'ampleur ». Photo : Brendan Smialowski / PISCINE / AFP.

La dépendance ukrainienne en matière d’armement et ses conséquences

L’Ukraine est de plus en plus handicapée par sa dépendance à la fourniture d’armes et de munitions occidentales et, facteur aggravant qui en découle, par la gestion d’un parc de matériels hétéroclites (plus d’une dizaine de types de blindés, de canons, de systèmes AA, etc.), ce qui lui pose un problème de formation des personnels à leur maintenance et de disponibilité des pièces de rechange nécessaires. 

 

De plus, le remplacement ou l’obtention de matériels nouveaux dépend totalement des Etats-Unis qui modulent le volume, la qualité et le rythme de l’approvisionnement à leur guise comme l’a déclaré le 1er novembre 2023 à « The Economist » le chef d’état-major ukrainien le général Valery Zaluzhny[1] : « en freinant l’approvisionnement en systèmes de missiles et chars à longue portée, l’Occident a permis à la Russie de se regrouper et de renforcer ses défenses après une percée soudaine dans la région de Kharkiv au nord et à Kherson au sud à la fin de 2022. « Ces systèmes étaient les plus pertinents pour nous l’an dernier, mais ils ne sont arrivés que cette année », dit-il. De même, les avions F-16, prévus pour l’année prochaine, sont maintenant moins utiles, suggère le général, en partie parce que la Russie a amélioré ses défenses aériennes : une version expérimentale du système de missiles s-400 peut atteindre au-delà de la ville de Dnipro, prévient-il ».

Last but not least, fin 2023 les occidentaux ont vidé leurs stocks de munitions notamment d’obus de 155 et seront incapables d’en produire au rythme des besoins ukrainiens au moins jusqu’en 2025.

 

L’atout déterminant que constitue pour la Russie son industrie d’armement

A l’inverse, depuis 2018 l’industrie d’armement Russe est devenue la seconde du monde[2] pour les exportations d’armes derrière les Etats-Unis et loin devant celle de la Grande -Bretagne et de la France, d’autant plus que les chiffres du SIPRI ne prennent pas en compte, faute de données fiables, les ventes d’armes à la Chine et à la Corée du Nord.

Ces ventes d’armes ont représenté durant cette période plus de deux fois le total des dépenses d’équipement de l’armée russe et ont porté sur des armes et des systèmes d’armes notamment pour les armements terrestres d’une génération plus récente et plus performante que l’armement en service dans les forces terrestres en février 2022.

De plus, pour les pays avec lesquels Moscou entretient des relations de long terme comme l’Inde et la Chine qui ont acheté dans cette période 40% des exportations russes[3], les industriels russes ont été autorisés à leur fournir des licences de fabrication. Cela permet ainsi à la Russie de disposer d’une capacité de production sur son sol et chez ses clients bien supérieure à ses besoins de temps de paix. 

 

En temps de guerre cette situation offre des avantages déterminants

Ainsi pour remplacer les matériels détruits sur le champ de bataille, l’alimenter en munitions et pour équiper une nouvelle armée, la 21ème armée, que les Russes ont pu recréer grâce à la mobilisation de 300 000 réservistes, les dirigeants russes ont pu bénéficier en plus de l’accroissement de production planifié pour leur armée de trois autres leviers :

  1. Ils ont retardé pour raison de « force majeure » la livraison des matériels produits pour leurs clients et les ont redirigés vers leur armée ;
  2. Ils ont acheté des matériels produits sous-licences par les pays avec lesquels Moscou entretient des relations stratégiques de long terme comme l’Inde et la Chine. Ainsi en Inde qui le plus gros acheteur d'armes russes, la société indienne Hindustan Aeronautics Limited (HAL) a produit sous licence plus de 200 chasseurs lourds Su-30MKI depuis 2000 avec l'aluminium et le titane que la Russie lui fournit[4]. C’est aussi le cas de la Corée du Nord qui a expédié plus d’un million d’obus à la Russie depuis le mois d’août dernier selon les dires de Séoul. Le parlementaire Yoo Sang-bum a affirmé que le service de renseignement national avait estimé que près d’un million d’obus avait été envoyés à Moscou. La Corée du Nord fait marcher à plein régime ses usines pour répondre à la demande de la Russie[5].
  3. Ils ont racheté à leurs clients des matériels ou des pièces de rechange qu’ils leur avaient déjà livrés : « La Russie a cherché à récupérer des pièces des systèmes de défense qu’elle avait exportés vers des pays tels que le Pakistan, l’Égypte, la Biélorussie et le Brésil, alors qu’elle tente de reconstituer les énormes stocks d’armes dépensées pour la guerre en Ukraine. En avril, une délégation de responsables russes en visite au Caire a demandé au président égyptien Abdel Fattah Al Sisi de rendre plus de 100 moteurs d’hélicoptères russes dont Moscou avait besoin pour l’Ukraine, ont déclaré trois personnes au courant de la négociation. Sissi a accepté et les livraisons d’environ 150 moteurs devraient commencer en décembre, ont-ils déclaré. »[6]

 

Lorsque l’on ajoute à ce facteur déterminant, aux avantages stratégiques et tactiques de la Russie, l’usure morale et personnel de l’armée ukrainienne, le conflit au Moyen-Orient qui s’est ouvert le 7 octobre et qui divise l’attention et aussi les aides espérés, le contexte de la présidentielle américaine où un candidat républicain[7] a traité Zelensky de « Nazi », l’année 2024 s’annonce dramatique pour l’Ukraine. 

Aussi la question ne doit-elle pas être posée : à refuser de négocier maintenant sur la base des propositions russes[8], Ukraine ne risque-t-elle pas de perdre encore plus de territoires en 2024 ?


 


[1] https://www.economist.com/europe/2023/11/01/ukraines-commander-in-chief-on-the-breakthrough-he-needs-to-beat-russia

[2] https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/la-russie-devient-le-deuxieme-plus-gros-producteur-darmement-de-la-planete-237608

[3] Les autres pays importateurs sont dans l’ordre d’importance : Algérie, Vietnam, Kazakhstan, l’Egypte, Irak, Turquie, Pakistan, Brésil, Venezuela

[4] Selon Ivan Konovalov, directeur du développement de la Fondation pour la promotion des technologies du XXIe siècle.

[5] https://www.msn.com/fr-xl/actualite/other/la-cor%C3%A9e-du-nord-a-exp%C3%A9di%C3%A9-plus-d-un-million-d-obus-%C3%A0-la-russie/ar-AA1jgxdf

[6] https://www.wsj.com/public/resources/documents/S5UteTsWmC69jXlbogvi-WSJNewsPaper-11-9-2023.pdf

[7] https://www.indiatoday.in/world/story/vivek-ramaswamy-calls-zelenskyy-nazi-third-republican-presidential-debate-miami-2460844-2023-11-09

[8]https://www.lesoir.be/428849/article/2022-03-09/guerre-en-ukraine-voici-les-exigences-de-la-russie-pour-arreter-son-offensive

: « un statut « neutre et non nucléaire » pour l’Ukraine, sa « démilitarisation obligatoire » et sa « dénazification », la reconnaissance de l’annexion de la péninsule de Crimée par la Russie et la « souveraineté » des régions séparatistes prorusses de l’est ukrainien, Donetsk et Lougansk, dans leurs territoires administratifs ».