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Editos

Donald Trump : Pourquoi est-il toujours aussi populaire ?

Illustration de Barbara
Illustration de Barbara & Pixabay

Depuis plusieurs mois et l’annonce de sa candidature aux primaires du parti républicain, Donald Trump distance littéralement tous les adversaires de son camp dans les derniers sondages. 

 

L'ancien président américain jouit en effet d'une avance écrasante : plus de 60 % des intentions de vote contre 12 et 13 % pour Ron DeSantis, le prometteur gouverneur de Floride et son concurrent le plus proche.

Mieux, une récente enquête d’opinion américaine donnait Donald Trump vainqueur face à Joe Biden dans cinq « swing states », ces États qui peuvent faire basculer une élection présidentielle aux Etats-Unis. Malgré ses multiples ennuis judiciaires (qui semblent au contraire le renforcer), Trump est toujours aussi populaire aux Etats-Unis. Pourquoi ?

 

Un « clown » largement sous-estimé

En 2016, pratiquement tous les « experts » des Etats-Unis, notamment en France, ont largement sous-estimé Donald Trump, considéré souvent comme un simple « clown ». Ils étaient même assurés de sa défaite face à Hillary Clinton. Aveuglés par leur idéologie et coupés des réalités, ils n’avaient absolument pas cerné la vraie personnalité de ce « populiste » grossier. Seule la journaliste Laure Mandeville, dans son livre brillant, intitulé Qui est vraiment Donald Trump ?, avait réussi une plongée dans la psychologie et la construction du personnage. Elle avait parfaitement analysé ce que le phénomène Trump révélait de la révolte profonde qui secouait – et secoue encore – l'Amérique, et plus largement l'Occident.

Une personne qui arrive à être élue à la tête de la première puissance mondiale est assurément loin d’être un idiot ou un clown. En effet, l’ancien businessman et promoteur immobilier de New York, là où les hommes d’affaires ne sont pas des requins mais de véritables Tyrannosaurus rex, ne pouvait être qu’un redoutable négociateur. Héritier de l’empire de son père Fred Trump, il l’a à plusieurs fois sauvé de la faillite et l’a même fait fructifier. Envoyé dès l’âge de 16 ans par son paternel sur les chantiers pour travailler auprès des ouvriers du bâtiment de la société familiale, c’est là que le jeune Donald a appris les codes du petit peuple, à le comprendre et à « sentir » ses problèmes, ses craintes et ses aspirations profondes. Dès les années 1980, le milliardaire s’implique dans le secteur télévisuel et va ainsi parfaire son charisme indéniable et son sens inné de la communication. 

Ce n’est donc pas un politicien professionnel déconnecté et ses qualités propres feront qu’une fois élu, son bilan après quatre années de mandat, s’est avéré plus que positif.

 

Un bilan qui parle pour lui

Trump avait beaucoup de défauts, c’est le moins que l’on puisse dire ! Son style « populiste » brutal, agressif, de l’« éléphant dans une boutique de porcelaine », (mais volontaire et savamment calculé) a beaucoup choqué les bien-pensants. Issu du « Système » et en connaissant toutes ses arcanes, il a peut-être été le président le plus « antisystème » de l’histoire américaine. Contre son propre establishment qui ne lui a rien épargné, Trump, comme Churchill en son temps, a eu l’intelligence de faire le choix de s’appuyer sur le peuple.

Sa lutte incessante contre le politiquement correct, contre ouragans et tsunamis, tout en tenant ses promesses électorales (très rare de nos jours…), ont consolidé sa popularité auprès d’une grande majorité d’Américains, surtout ceux victimes de la mondialisation malheureuse. Et on le voit encore aujourd’hui… 

En novembre 2020, lors de sa défaite toujours discutée, il a recueilli, un record, 74 millions de voix (Biden, 81 millions) dont plus de voix noires qu’en 2016 et beaucoup plus de voix latinos. De fait, il a au moins permis de réveiller la démocratie américaine sclérosée jusqu’ici. 

Même si la pandémie du COVID est venue gâcher ses très bons résultats en matière d’emploi et de croissance (grâce notamment à son protectionnisme, sa politique de réindustrialisation…), je n’évoquerai pas ici sa politique intérieure car ce n’est pas mon domaine. Je parlerai seulement de son bilan en politique étrangère durant ses quatre années de mandat. Tout d’abord Trump était un ignare en relations internationales. Mais comme tout bon manager, il a su très bien s’entourer et était un pur réaliste. Un vrai patriote, non-interventionniste qui ne voulait plus que les États-Unis dépensent encore des sommes folles pour s’ingérer dans les affaires du monde et jouer le plus souvent aux apprentis-sorciers comme on l’a vu ces dernières décennies.

 

L’ancien président fut le premier leader américain, depuis des décennies, à s’être débarrassé (après les avoir utilisés à des fins de politique interne – lors des midterm de 2018) des trop influents néoconservateurs et n’avoir déclenché aucun conflit majeur dans le monde. Oubliés aussi la Corée, son désengagement militaire du Moyen-Orient, son initiative – certes imparfaite et inachevée mais qui aurait inévitablement abouti en cas de second mandat – à propos d’une paix israélo-palestinienne et surtout les Accords d’Abraham, cet accord de paix historique signé entre Israël et quatre pays arabes et qui n’aurait jamais vu le jour sans les pressions de Trump. Certains ont eu le prix Nobel de la paix pour moins que ça !

 

S’il avait été réélu, il aurait maintenu les sanctions américaines et devant l’asphyxie grandissante de l’économie du pays, les mollahs iraniens auraient été forcés de revenir à la table des négociations sur le nucléaire pour sauver leur régime. Comme les chefs de l’Autorité palestinienne voire du Hamas, privés eux aussi des aides américaines qu’ils ne pouvaient plus détourner pour leurs seuls profits personnels ou entretenir les tensions avec l’État hébreu afin d’assurer leur survie politique…

 

Car le grand avantage de Trump a été de comprendre les grands défis géopolitiques de demain pour les Etats-Unis et l’Occident en général : l’immigration (celle du Mexique pour les USA) et la montée en puissance de la Chine. 

Pour cela, le plan du pragmatique Trump était limpide : se désengager du Moyen-Orient et de l’Europe, laissant derrière le départ des Etats-Unis des États-clients (dans le sens économique et romain du terme) mais gérant eux-mêmes leur propre sécurité, puis se rapprocher de la Russie afin de se concentrer sur l’Asie et « faire face » à la Chine.  

Malheureusement pour le monde, avec sa défaite en 2020 et le retour aux commandes des Démocrates, des néoconservateurs et des « idéalistes » à Washington, la vieille stratégie antirusse « brzezińskienne » la plus virulente est réapparue. Et nous avons eu le piège tendu à la Russie qui lance son agression le 24 février 2022 en Ukraine. 

Pour certains politiciens américains en effet, la Russie de Poutine est le Croque-mitaine parfait, bien moins puissante et dangereuse que la Chine… Pour d’autres, plus influents peut-être, la Russie est le meilleur moyen de détourner l’attention de l’opinion publique américaine des problèmes domestiques de Biden… Ou mieux, de la pression contre la Chine qui, par sa finance prédatrice, a déjà pris en otage la majorité des économies occidentales et même américaine ! D’ailleurs, certains puissants soutiens et financiers de la campagne électorale de Biden (comme notamment les GAFAM), pour des questions de simples conflits d’intérêts avec Pékin, ne voulaient pas d’une poursuite de la grande guerre économique avec l’Empire du milieu initiée par Trump…

 

Or, même si à court terme le soutien américain à l’Ukraine contre la Russie est bénéfique pour les Etats-Unis (surtout pour son complexe militaro-industriel !) puisqu’ils ont un peu plus vassalisé l’Europe en lui vendant son gaz et ses armes, à long terme cette politique antirusse est, d’un point de vue strictement objectif, une totale absurdité géopolitique. Car pour les États-Unis, la seule et véritable puissance qui menace leur suprématie mondiale (mais aussi l’Europe) dans l’économie, le commerce, l’influence et le militaire, est la Chine, et non la Russie. Et au contraire, une stratégie américaine censée aurait été en toute logique un partenariat, voire une alliance avec Moscou contre Pékin. Trump, ses généraux et surtout son habile Secrétaire d’État et architecte de sa politique internationale, Mike Pompeo, « le Mazarin de Trump », l’avaient très bien compris. C’est pourquoi ils avaient lancé une grande guerre commerciale inédite contre la Chine (qui commençait à porter ses fruits avec l’accord « historique » signé avec la Chine en janvier 2020) et tenté, en dépit du blocage de l’État profond étasunien, une normalisation des relations avec Poutine, dans la droite ligne de l’ancienne et efficace stratégie de Kissinger, visant à toujours séparer Pékin et Moscou.

 

Aujourd’hui, on le voit clairement, après deux années de leur guerre via l’Ukraine contre la Russie et leur échec à la saigner à blanc, les Etats-Unis commencent à percevoir les lourdes conséquences en internes (inflation) et surtout, pour leur hégémonie mondiale : les séries de sanctions commerciales occidentales contre Moscou n’ont fait que pousser toujours un peu plus une Russie résiliente dans les bras de la Chine, créant ainsi un véritable front oriental uni en Asie. De plus, aucun pays d’Asie, d’Afrique et du monde arabe n’a cédé aux pressions américaines quant à rompre leurs relations avec Moscou, et bien au contraire, des alliés historiques comme l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis s’apprêtent à rejoindre les BRICS. Et enfin, les « alliés » ou plutôt les vassaux européens sont en train de s’affaiblir inexorablement et se ruiner économiquement. De fait, l’administration Biden, de par sa politique inconséquente et irréaliste, a accéléré la perte d’influence et le déclin de l’Empire américain, de plus en plus isolé et discrédité. Et surtout, elle a précipité le basculement du centre de gravité de la géopolitique mondiale au profit d’une Chine, toujours plus puissante et qui se frotte les mains…

Ne parlons même pas du conflit en cours entre Israël et le Hamas, où l’administration démocrate est totalement dépassée et ne contrôle plus grand-chose. 

En définitive, avec Biden, nous sommes en train d’assister au crépuscule de l’hégémon américain, à l’accélération de l’effondrement de l’Europe et au final, à l’avènement du siècle chinois…

 

Trump sera-t-il le Justinien de l’Empire américain ?

Au VIe siècle, Justinien le Grand est considéré comme le dernier empereur romain, avant que l'Empire byzantin (Empire romain d'Orient) ne commence à se différencier de l'Empire romain dont il est le continuateur direct. Il est le dernier empereur à rétablir, avec un certain succès, par des reconquêtes militaires mais également une œuvre de codification législative de grande ampleur et profonde, l'unité et l'universalité de l'Empire romain en déclin depuis deux siècles.

Trump sera-t-il alors le sauveur et le Justinien de l’Empire américain ? Les défis intérieurs sont immenses et quelle sera alors sa politique internationale ? Si Trump parvenait, en dépit des nombreux obstacles, à être réélu, il voudra relancer sa politique « révolutionnaire » et disruptive afin d’essayer d’endiguer la chute de l’Empire et contrer de nouveau son rival le plus dangereux qu’est la Chine. Pour cela, peut-être envisagera-t-il le retrait de l’OTAN comme il l’annonce déjà ou une refonte totale de l’organisation et de ses objectifs. Il abandonnera l’Ukraine et forcera ainsi Zelenski (qu’il méprise) à négocier la paix afin de pouvoir se « réconcilier » avec Poutine et l’arracher de l’orbite chinoise. Toujours en s’appuyant sur le peuple et non soumis à un quelconque serment d’allégeance comme ses prédécesseurs, il est le seul à avoir le courage et surtout les coudées franches pour relancer une véritable guerre économique et commerciale contre Pékin et un endiguement sérieux de la Chine. Reste à savoir si cela n’est pas déjà trop tard…

Quoi qu’il en soit, à un an de l’élection présidentielle américaine, il y a encore beaucoup d’incertitudes et beaucoup de choses peuvent se produire. Ce qui est certain, c’est que l’État profond américain, pour les raisons évoquées plus haut, fera tout pour l’écarter du pouvoir, d’une manière ou d’une autre, mais avec une détermination sans faille !

 

Cet article a été initialement publié sur Al-Ain.com