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Monde

La crise de Taïwan : un canon lâché en mer de Chine…

Le Dialogue

La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen inspecte des réservistes lors d'une séance d'entraînement dans une base militaire de Taoyuan le 11 mai 2023. Photo : Jameson WU / AFP.

 

 Les récents exercices militaires organisés conjointement par les Etats-Unis et les Philippines d'une part, et la Russie et la Chine de l’autre et de manière beaucoup plus impressionnante, dans les eaux qui bordent Taïwan, ne peuvent que susciter l'inquiétude du monde libre et poser des problèmes à l'international. La partie russo-chinoise a même eu recours à la méthode dite du "Tous sur le pont", dans les navires militaires, c’est-à-dire la préparation intégrale d'une attaque massive imminente. Ce dernier exercice chinois en mer de Chine a consisté à présenter ce qui s'apparente à des répétitions générales d'une invasion annoncée depuis longtemps. Le Japon et d'autres États voisins comme les Philippines et l'Australie craignent de ce fait les conséquences d'une expansion militaire chinoise régionale. Or le Japon est précisément le seul pays asiatique qui, dans l'histoire de l'ancien empire central chinois dit « du milieu », a occupé à son tour au siècle dernier, en tant qu’empire lui-même, une partie importante de la Chine alors dénommée la « Mandchourie », ceci dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Le Japon, qui s'empresse maintenant de reconstruire une défense suffisante pour faire face à la collision avec la Chine a été dépourvu durant des décennies d’une armée propre à la suite de la défaite de la guerre mondiale face aux Etats-Unis.

La situation en mer de Chine est rendue compliquée par les nombreuses revendications chinoises sur de multiples îles de la mer de Chine, dans les eaux internationales ou qui appartiennent à d'autres nations voisines. Or c'est justement dans l'une de ces zones qu'a eu lieu l’exercice américain qui a été considéré comme un acte de préparation d’invasion de la part des Chinois. 

Le commandement actuel de l'armée américaine considère lui-même qu’une invasion chinoise de Taïwan est plausible et réaliste d'ici 2025, ce qui coïnciderait donc avec le prochain mandat présidentiel américain et avec le prochain mandat présidentiel taïwanais. Le prochain dirigeant de Taiwan pourrait être selon nombre d’experts l'actuel vice-président Chien Chien Jen, de l'île "rebelle" de Pékin, une ascension qui coïnciderait même peut-être avec un éventuel nouveau pape philippin chinois, le cardinal Luis Antonio Tagle, d’ailleurs lui-même de mère chinoise…. Après l’Ukraine et l’Europe orientale, c’est donc l’Asie qui revient plus que jamais au centre. 

Outre ces considérations, il est clair que la question taiwanaise part de très loin, c’est-à-dire de la division entre Chinois communistes et anticommunistes, au milieu des années 1900, à l'époque de la Longue Marche de Mao. A cet aune, il semble difficile à comprendre du point de vue de la logique occidentale qu'une population de seulement 24 millions d'habitants et située sur une petite île, puisse résister longtemps à l'agression d'une nation de près de deux milliards de Chinois et qui possède de surcroit l'une des plus armées puissantes et évoluées du monde. Avec l'armée américaine, l’armée chinoise est d’ores et déjà la plus puissante force militaire du Pacifique et même, de fait, du monde entier. Une situation similaire, de minimis, a été vécue à Cuba, où des exilés cubains anticommunistes ont tenté en vain de renverser le gouvernement Castro. Et en Europe, dans les années du Silence politique à l'Est, de la Guerre froide, du Rideau de fer, un exode massif, presque une diaspora, avait poussé à se réfugier aux USA ou en Europe de l'Ouest tous ceux qui ne voulaient pas se soumettre à l'empire soviétique de Staline.

Revenons à Taïwan

Taïwan, d'ailleurs, a ses défauts et ses mérites : elle fut longtemps une dictature militaire, sous le joug de Chang Khai Shek, une dictature équivalente et symétrique à celle du Parti Unique de Mao et de ses successeurs. A contrario, aujourd'hui, Taipei est une démocratie, certes partielle et incomplète, mais bien plus libre et ouverte que Pékin. Toutefois, Taipei, comme Hong Kong, risque d'être réabsorbée par la grande Chine continentale et de perdre les avantages acquis au fil du temps ainsi que les importants éléments de liberté conquis. En cela, le cas de Taïwan est similaire à celui de l'Ukraine, les deux cas de pays pro-occidentaux protégés par les Etats-Unis représentant une menace pour la Chine et pour la Russie, respectivement, précisément parce qu'elles sont des démocraties « dangereuses », avec des citoyens libres et sans dictateurs, malgré la présence d'un protectorat occidental clair et spécifiquement américain et de l'OTAN. Taïwan, c'est bien connu, a d’ailleurs occupé jusqu'au début des années 1970 la place de la Chine à l'ONU : un paradoxe de l'histoire qui a été résolu plus tard par le diplomate « réaliste » Henri Kissinger et sa politique « d'ouverture » et de Ping Pong envers la Chine à la fin du règne totalitaire de Mao. Sa politique a ouvert la position de « l’ambiguïté stratégique » de l’Amérique sur ce dossier et a débouché sur le paradoxe d’un soutien américain militaire et stratégique à Taïwan assorti d’une concession envers le régime communiste chinois en faisant de Pékin l’unique représentant de la Chine aux nations unies, ce qui a abouti au fait que 96 % des pays du monde et tous les Etats occidentaux ont retiré leurs ambassades officielles à Taiwan et reconnu le principe « d’une seule Chine », celle de Pékin… Cependant, ce même Mao et ses successeurs, jusqu'à Xi Jinping, l'actuel et confirmé leader Maximo de Pékin, n'ont pas su trouver une solution pacifique et dialectique au dossier taïwanais qui améliore ce statu quoi. Une solution qui est peut-être impossible d’ailleurs, compte tenu de l'antinomie entre Taipei et Pékin, ce qui nous rappelle la dichotomie entre Moscou et Kiev. 

Toutefois, le véritable problème qui émerge de la crise de la mer de Chine est autre.

Cette fois, le choc entre l'Amérique en déclin et la Chine en plein essor ne peut être évité, et il coïncide avec le projet chinois de créer, d'ici 2049 - l'année même du centenaire de la naissance de la nouvelle Chine maoïste - un ordre international alternatif dirigé en grande partie par la Chine. Voilà donc que Taïwan, comme Sarajevo en 1914 et Pearl Harbor en 1940, se trouve être la cause possible d’un casus belli, ceci en synergie avec la crise ukrainienne, donc le point de départ d'une nouvelle guerre mondiale contemporaine… Or la Russie et la Chine sont désormais unies, avec leurs autres principaux partenaires, par un Axe qui n'a rien à envier à celui qui unissait jadis le Japon, l'Allemagne et l'Italie, lors de la Seconde Guerre mondiale, ou encore à celui des puissances anti-Entente des Empires centraux de L'Allemagne et l'Autriche puis de la Turquie qui sévirent durant la Première Guerre mondiale et qui s’écroulèrent ensuite après la défaite. 

Une résolution pacifique du différend international sur la mer de Chine et Taïwan apparaît cependant indispensable.

Exactement comme en Ukraine, la diplomatie équivaut pour certains à la situation problématique de la diplomatie du pacte de Munich de 1938 ou de la diplomatie d'avant-guerre de 1914, c’est-à-dire une non-diplomatie qui traverse des deux côtés, pour reprendre l'expression de Habermas, une « crise de rationalité ». Cette crise ne peut manquer de conduire à ce que Poutine a lui-même défini il y a quelque temps à Davos : « le lent glissement vers un conflit mondial ». D’autres, comme la porte-parole officielle des Affaires étrangères, Maria Zakharova, ont même parlé de « situation de non-retour » ... 

La Chine, malgré sa façade bienfaisante et diplomatique, ne semble quant à elle pas avoir retenu les leçons de l'histoire : l'opération de guerre mondiale menée par la Chine et la Russie alliées contre l'Ukraine et Taïwan risque en fait de devenir un élément de faiblesse plutôt que force. La démocratie et la liberté sont en effet indissociables, même en prenant en compte leur requête de création d'un ordre plus juste, plus multilatéral, donc plus multipolaire, et d'une refonte de l’architecture de la sécurité mondiale.

Le monde a certes besoin d'un équilibre multilatéral de démocraties, mais pas de dictatures. 

Tout comme le Pacte de Varsovie ne pouvait être considéré comme une alternative à une OTAN démocratique et pacifique fondée sur les libertés, une alliance mondiale de dictatures orientales et arabes ne peut pas non plus l'être aujourd'hui, à l'échelle mondiale. En fait, si la mondialisation forcée basée sur le « turbo-capitalisme » est une erreur, la « mondialisation des dictatures » opérée à la méthode de Robespierre par le tandem russo-chinois, c'est-à-dire avec la terreur mondiale, l'est aussi car ceci serait le retour à un nouveau moyen-âge global. La Chine est donc appelée, en la personne du président Xj, à planifier son avenir dans la paix ; à diriger le monde en se devenant progressivement une démocratie selon les normes et les critères orientaux, certes, et pas forcément occidentalo-centrés, ceci afin de s'ouvrir à la liberté.

Bien plus constructif est selon nous - pour l'équilibre international et pour l'avenir de la Chine – l’idée de conquérir un leadership mondial en le fondant non seulement sur le multilatéralisme mais aussi sur la paix, la démocratie et la liberté. Un progrès extraordinaire serait possible si la Chine parvenait à dépasser la réalité anachronique de son système totalitaire avec un « leader à vie », un parti unique, son modèle de communisme révolutionnaire et capitaliste à la fois, qui se contredit lui-même, et devenait peu à peu un marché économique financier libre, lié à une transition démocratique ... 

Au XXIe siècle, la revanche des dictatures sur la démocratie, le revanche du post-communisme sur le capitalisme mûr, de l'Orient sur l'Occident, n'est pas une solution mais un problème. Dans le même temps, la Chine, comme la Russie, est confrontée à la contradiction de son rôle éminent au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. Il ne peut pas ancrer l'ONU elle-même à ses intérêts partisans, ni à ceux de l'alliance politique, stratégique, militaire et financière naissante entre la Chine, la Russie (amitié sans limites), l'Iran, la Corée du Nord et les alliés collatéraux des BRICS, comme l'Inde, le Brésil, Afrique du Sud, et secrètes comme les Émirats Arabes Unis.

La Chine se concentre sur le contrôle de la mer, à tel point que la domination traditionnelle des mers apparaît encore comme un facteur tactique stratégique décisif. Il suffit de penser à la domination chinoise sur la mer de Chine, et tendanciellement sur le Pacifique et celle construite par la Russie sur la Méditerranée, comme sur la mer Baltique et à la crise en cours au Soudan, concernant le contrôle des routes pétrolières vers l'Europe, pour voir se confirmes le cadre stratégique russo-chinois en pleine évolution.

La diplomatie « alternative » de Taïwan et de ses soutiens 

L'hyperactivisme de la politique étrangère de Taiwan et de sa présidente Tsai Ing Wen, avec l'échange continu de visites avec les États-Unis et d'autres alliés directs et indirects, ressemble étroitement à l'effort d'une diplomatie mondiale alternative proposée par Zelenski, mais en partage les limites. En fait, si Taipei et Kiev venaient à être abandonnés à leur sort par les Américains en cas de nouvel isolationnisme américain, avec une présidence républicaine l'année prochaine, le monde courrait le risque d'un double « scenario Afghanistan » à la fois à Taïwan et en Ukraine. Les négociations plus ou moins secrètes entre l'ancien président de Taiwan, Ma Jing Jeu, et la Chine, à Shanghai et ailleurs, ne semblent d’ailleurs pas avoir abouti à des effets concrets de réconciliation, au contraire elles poussent les faucons chinois à agir rapidement. Au contraire, la Chine a accru la pression militaire sur Taipei et la seule solution pour les Taïwanais risque d'être un nouveau glissement de Taïwan, et par coïncidence de l'Ukraine, vers l'Occident, suite et en réaction à l'expansion chinoise et russe. 

Quelle conclusion ? 

L'amitié entre la Chine et la Russie est donc dans la balance entre l'épreuve de force de nouvelles guerres mondiales ou le choix rationnel d'un développement économique basé sur la diplomatie économique. Sincèrement, j'espère que Taïwan, l'ancienne colonie britannique de Hong Kong, et Pékin, son ennemi actuel, deviennent un jour, ensemble une nouvelle grande démocratie en s'unissant pacifiquement, faisant ainsi coïncider cette unité avec une démocratisation de la Chine. On peut toujours rêver également que la Russie évolue un jour vers une démocratie qui s'allierait, dans une Union économique euro-asiatique, dans le cadre d’une paix avec l'Ukraine et l'Europe. L'histoire est aujourd'hui à la croisée des chemins, tant en Europe qu'en Asie.