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Afrique

Le « corridor noir » : la nouvelle carte du terrorisme au Sahel

Le Dialogue

Analyse et rédaction : Dalia Abdel Rahim – Rédactrice en chef de Al-Bawaba News

Longtemps périphérique sur la carte de l’Afrique, le Sahel est devenu aujourd’hui le cœur battant des crises sécuritaires du continent.

De Mali à Burkina Faso, jusqu’au Niger, s’étend un couloir de violence que les analystes occidentaux surnomment désormais « le corridor noir » — un axe d’instabilité qui redessine la géographie du terrorisme et des influences étrangères en Afrique.

 

De partenaires du Nord à zones perdues

En moins de dix ans, ces trois pays sont passés du statut d’alliés de l’Occident dans la lutte antiterroriste à celui de territoires ouverts aux groupes armés.

La chute a été progressive : coups d’État à répétition, retrait des forces étrangères, effondrement institutionnel. Ce vide de pouvoir a été rapidement comblé par des organisations telles que Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et sa branche régionale la plus active, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM).

Depuis le retrait des troupes françaises et onusiennes, le Mali s’est enfoncé dans le chaos. Les forces maliennes, épuisées, ont perdu le contrôle du Nord et du Centre, désormais tenus par le JNIM.

Selon Crisis Group et The Economist, près de 60 % du territoire malien échappe aujourd’hui à l’État.

Les mercenaires russes de Wagner, censés remplacer les Français, se sont limités à la protection du régime militaire de Bamako sans enrayer la progression jihadiste.

 

Burkina Faso : l’effondrement en marche

Au sud du Mali, le scénario se répète. Depuis le coup d’État de 2022, le Burkina Faso vit une désagrégation accélérée.

Les attaques y ont été multipliées par cinq en trois ans, selon BBC Africa. Près de la moitié du pays échappe au contrôle du pouvoir central.

Des millions de déplacés fuient les violences, tandis que la capitale Ouagadougou est de plus en plus isolée.

Les milices locales, mal formées, ne suffisent pas à enrayer l’avancée du JNIM et de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), qui se partagent désormais le territoire et les routes commerciales.

 

Niger : le dernier rempart vacille

Considéré jusqu’en 2023 comme l’ultime bastion de la présence occidentale au Sahel, le Niger a basculé dans l’instabilité après le renversement du président Mohamed Bazoum. Le départ des troupes françaises et la suspension de la coopération américaine ont ouvert la voie à l’influence russe, tandis que les groupes armés s’étendaient à grande vitesse dans les régions frontalières de Tillabéri et Tahoua.

Selon Reuters, les attaques y ont augmenté de 70 % en un an, faisant plus de 1 200 morts et plus de 700 000 déplacés. Pour Le Monde Afrique, l’État nigérien est désormais rongé « de la périphérie vers le centre ».

 

Le « corridor noir » : une zone de non-droit transfrontalière

Les zones frontalières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont devenues un sanctuaire pour les groupes jihadistes, décrit par BBC Monitoring comme un « triangle sécurisé » pour les trafics d’armes, d’or et de carburant.

Plus de 60 % des attaques recensées en 2025 dans le Sahel se concentrent dans ce couloir de 1 000 km de long, désormais identifié comme le « corridor noir » — l’un des foyers terroristes les plus actifs du monde.

 

Du jihadisme armé à la gouvernance de l’ombre

Dans de nombreuses zones, les groupes armés ne se contentent plus de combattre : ils administrent. Ils prélèvent l’impôt, arbitrent les différends, sécurisent les marchés et imposent leurs lois. The Guardian parle d’un passage “du terrorisme à la gestion de la société”, où ces mouvements se posent comme un substitut d’État.

International Crisis Group confirme : le Sahel voit émerger un modèle de gouvernance parallèle, où Al-Qaïda et l’EI se partagent le terrain — la première contrôlant les zones peuplées, la seconde les axes désertiques.

Vers une « Afghanistan africaine » ?

Les revenus tirés de la contrebande et du commerce de l’or dépasseraient 150 millions de dollars par an, selon Reuters. Cette manne alimente un projet d’« émirat du Sahel », version africaine du califat, étendu sur trois États et structuré autour de réseaux économiques et tribaux.

Pour The Economist Intelligence Unit, l’effondrement total du Niger ou du Burkina Faso pourrait transformer le Sahel en « Afghanistan africaine », menaçant à la fois l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest, tout en ouvrant la voie à de nouveaux acteurs : Russie, Iran ou Israël.

l’Afrique au bord du basculement

Ce que l’on appelle désormais le corridor noir n’est plus une simple zone de crise : c’est un laboratoire du terrorisme du futur, où des États affaiblis, des armées fragmentées et des puissances étrangères en repli laissent place à une gouvernance armée capable de durer.

La question n’est plus de savoir si un État tombera, mais lequel tombera en premier. Et tout indique que le Niger est aujourd’hui le plus vulnérable.