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Ukraine/Russie

Neutralité d’Israël dans le conflit russo-ukrainien : la stratégie de la marche entre les gouttes de pluie

Le Dialogue

La neutralité d'Israël dans le conflit armé russo-ukrainien provoque une réaction allergique en Occident, principalement aux États-Unis, qui insistent pour qu'Israël fournisse des armes létales à l'Ukraine. Dans la situation actuelle, la Russie est tout à fait satisfaite du statut neutre d'Israël, car il garantit l'absence d'armes et de munitions israéliennes ultramodernes dans l’armée ukrainienne. 

L'attitude d’Israël même à l'égard de cette neutralité est intéressante. Elle est tout à fait inattendue et décevante pour ceux qui souhaitent armer l'Ukraine avec des Merkava et des Uzi israéliens.  Ainsi, selon le sondage du Centre analytique international pour le développement humain de l'organisation non gouvernementale Dor Moriah ” (https://dor-moriah.org.il/en/israel-should-observe-neutrality-in-the-russian-ukrainian-conflict/ ) en avril 2023 72 % des personnes interrogées ont déclaré ne pas être d'accord avec la fourniture par Israël des forces armées pour soutenir l'Ukraine. 70 % se prononcent contre la rupture des relations diplomatiques avec la Russie. 44 % estiment qu'Israël ne devrait pas non plus imposer de sanctions économiques à la Russie. 

Le Dialogue a interrogé le politologue israélien, docteur ès sciences juridiques et rabbin orthodoxe, Mikhail Finkel, afin d’obtenir son appréciation de la situation. 

 

 

Le Dialogue : Que signifie pour Israël la neutralité dans le conflit russo-ukrainien ?

Mikhail Finkel : Israël est un État qui a mené des guerres contre des superpuissances à de nombreuses reprises au cours de son histoire. Et le dernier conflit avec une superpuissance a coûté à Israël son statut d'État – il s'agit de la guerre avec Rome. Trois guerres contre l'Empire romain pour être exact. La première guerre de Judée et celles deuxième et troisième. Et puis deux mille ans d'exil, de mépris, d'antisémitisme... Nous comprenons qu'il ne faut pas faire la guerre aux superpuissances, c'est dangereux. Nous avons été en guerre contre Rome, avant cela contre Babylone, contre l'Assyrie, et nous avons appris une leçon : un petit pays, aussi fort soit-il, ne peut jamais se permettre d'entrer en guerre avec des superpuissances. 

Nous devons donc entretenir de bonnes relations avec la Russie et les États-Unis. La Russie se trouve aux frontières d'Israël, elle a des bases en Syrie, elle entretient de bonnes relations avec les pays du Golfe, elle coopère avec l'Iran. Nous n’avons aucun intérêt à nous disputer avec la Russie ! Mais nous ne pouvons pas non plus nous disputer avec les États-Unis, qui nous versent trois milliards et demi de dollars par an – la moitié en argent, l'autre avec les meilleurs équipements et machines. Il est important qu'Israël ne se dispute avec aucune des superpuissances, qu’il passe sec entre les gouttes de pluie, aussi difficile que ce soit.

 

Y a-t-il une opposition à la politique de neutralité en Israël ? 

Bien que nous soyons soumis à une pression quotidienne énorme de la part de l'administration démocrate de Biden pour fournir des armes létales à l'Ukraine, même si c'est par des moyens indirects, Israël ne le fait pas. Nous fournissons des médicaments et de l'aide humanitaire à l'Ukraine. Nous y fournissons même des équipements capables de faire tomber des drones Shahed. Mais nous le faisons pour que l'Iran comprenne qu’il est impossible de nous intimider, et c'est plutôt un message à l'Iran, qui ne reconnaît pas le droit à l'existence d'Israël et qui mène une guerre chaude contre Israël. Mais ce n'est pas plus que cela. Israël, que ce soit sous le gouvernement Lapid ou le gouvernement actuel, n’a pas franchi et ne franchira pas les lignes rouges qu'il s'est fixées et ne fournira pas d'armes létales offensives ou défensives à l'Ukraine. 

 

Dans la majorité des médias israéliens, comme en Occident, on trouve les mêmes informations et uniquement les opinions en faveur de l'Ukraine, un point de vue unilatéral. Il n'y a donc pas de neutralité dans le domaine de l'information en Israël ?

Oui, il existe un lobby pro-ukrainien en Israël qui aimerait pousser le pays à en faire un participant actif à cette confrontation, le voir se ranger du côté des États-Unis, du bloc de l'OTAN, de l'Ukraine et lui faire fournir des armes létales. Mais jusqu'à présent, ce lobby n'a eu aucun succès dans les gouvernements successifs du pays.

Le domaine de l'information dépend des sources de son financement ou du lobbying. De nombreux journalistes donnent des descriptions pro-ukrainiennes du conflit parce que c'est rentable et que cela ne les fera pas figurer sur les listes de sanctions des États-Unis et de l'Union européenne. Personne ne veut être étiqueté comme "propagandiste russe". Cela pourrait être un coup dur pour les poches des journalistes et pour l'ensemble de leurs activités. C'est pourquoi chacun montre ce qui doit être montré, ce qui est rentable, ce qui est pragmatique. Les ressources en informations des adversaires de la Russie sont bien plus importantes que celles des partisans de Moscou. Il n'est donc pas surprenant que la plupart des journalistes s'adaptent aux conditions du marché. 

 

 

Quelle est l'attitude des Israéliens, en particulier des Israéliens orthodoxes, à l'égard de la glorification en Ukraine des nazis qui exterminaient les Juifs ? 

De nombreux Israéliens se souviennent et savent que, malheureusement, de nombreux héros nationaux et régionaux d'Ukraine sont des assassins sanglants du peuple juif. Pour n'en citer que quelques-uns : Bohdan Khmelnytsky, qui a assassiné au moins cent mille Juifs, Ivan Gonta, le massacre d'Ouman et de ses environs, et bien d'autres encore. Nous pouvons également nous souvenir de Symon Petlioura, le chef de l'Ukraine indépendante, qui est responsable de 200 000 Juifs assassinés lors de divers pogroms perpétrés par son armée et ses atamans. A propos, Sholem Schwarzbard, l’assassin de Petlioura à Paris, est un héros d'Israël, trois rues portent son nom en Israël, et il a été acquitté par une cour à Paris parce qu'il a tué le meurtrier et le pogromiste. Il y a aussi Choukhevytch et Bandera, les défilés des SS de Galicie, contre lesquels le ministère israélien des affaires étrangères a toujours protesté. Tout récemment, il y a un mois, à Kiev, on a voulu renommer la rue Prjevalski en rue du fondateur de la division SS de Galicie. Sans l'intervention de l'ambassadeur israélien et ses exhortations du maire Klitschko, la rue aurait été rebaptisée et aurait porté le nom d'un SS et d'un assassin de Juifs. Pour nous, en Israël, tout cela est répugnant, et pas seulement pour les Juifs orthodoxes, mais aussi pour tous ceux qui ont une conscience et connaissent l'histoire. Vous ne pouvez pas donner à des rues les noms des meurtriers. Nous ne pouvons pas imaginer une Allemagne moderne où il y aurait aujourd'hui une rue Hitler, Göring, Himmler et d'autres meurtriers et criminels.

 

On a entendu des comparaisons entre le conflit russo-ukrainien et le conflit israélo-palestinien. Dites-moi, sont-ils identiques ou opposés et dans quelle mesure de telles comparaisons sont-elles possibles ?

Je ne pense pas qu'il soit légitime de comparer le conflit israélo-palestinien, le conflit israélo-arabe avec le conflit russo-ukrainien. Une telle comparaison ne serait pas complète. Il y a une histoire et un contexte différents, d'autres raisons et je m'abstiendrais de telles comparaisons, qui ne reflètent pas la réalité.