Accueil recherche MENU

Monde

Les outils de survie à long terme de la République Islamique d’Iran

Le Dialogue

Des Iraniennes chantent lors d'un rassemblement pro-hijab à Téhéran le 12 juillet 2023. Photo : ATTA KENARE / AFP

 

Les manifestations ayant débutées en Iran en septembre 2022 suite au décès en détention de Mahsa Amini et dont la plupart des acteurs sont une jeunesse globalement conquise par le Soft-Power occidental contemporain et laïque ont laissé imaginer une possible métamorphose du régime politique iranien en vigueur depuis 1979 par des réformes d’assouplissement des injonctions religieuses du pouvoirdes mollahs.

Cependant, le rôle incontournable d’outil de sauvegarde que tient la religion dans cette affaire tend à rendre chimérique toute forme d’apogéedu système en place. Les puissances occidentales alors irritées tant par la montée en puissance de l’Iran que par sesambitions souverainistes en termes de commercialisation du pétrole observentune opportunité à soutenir et instrumentaliser ces mouvements contestataires en vue de ternir le prestige de l’encombrant pouvoir de Téhéran.

 

Les débuts de l’épopéed’émancipation de lapuissante main-mise occidentale

Jusqu’à la révolution islamique de 1979 suivie de l’arrivée au pouvoir de l’Ayatollah Khomeini la même année, l’Iran tenait le rôle de premierbras droit anti-communiste des États-Unis au Moyen-Orient : dans un premier temps, la position géographique stratégique qu’elle occupait la rendait indispensable aux objectifs de Washington visant à intimider son ancien rival soviétique.

Par la suite,une part considérable des réserves iraniennes de pétrole soit près d’un quart de la réserve à l’échelle planétaire étaient placées sous la coupe de l’occident… de Londres plus spécifiquement

Mais les ambitions pétro-souverainistes du Shah Mohamed Reza Pahlavi semblables à celles du nationaliste Mossadegh dès les années 1970 ainsi que son recours à une politique multi-vectorielle par un rapprochement avec Moscou en 1968 ont incité les occidentaux à laisser la révolution islamique suivre son cours en écartant tout recours à une intervention semblable à celle de 1953 et ce, au détriment de la couronne impériale iranienne, ceci principalement durant une période où les États-Unis constataient en l’islamisme un allié potentiel en vue d’endiguer le concurrent soviétique, tout en se laissant ainsi séduire par les traits islamo-intégristes de l’Ayatollah Khomeini qu’ils laisseront par la suite s’emparer du pouvoir en Iran.

En vain, ce dernier optera finalement, au détriment des intérêts de l’Ouest, pour une voie pétro-souverainiste quasi-similaire à celle de son prédécesseur et antagoniste, mais suivie désormais d’une instrumentalisation pragmatique et accentuée de la religion islamique et bien-sûr de la cause palestinienne en vue d’une montée en Soft-Power au sein non seulement d’un monde musulman constitué d’environ 1 milliard d’individus dont Téhéran vise à se tenir en tête de file dans un cadre suprémaciste, mais également auprès d’alliés spirituels et traditionnellement discordants vis-à-vis de l’occident situés en Amérique Latineou encore parmi certains pays des BRICS tel que l’Afriquedu Sud.

 

Le pétrole, un rôle incontournable

Ce fut en Iran que les premiers puits de pétrole furent découverts au début du 20ème siècle et c’est ainsi à partir de cette même période jusqu’à nos jours qu’il est devenu à l’échelle mondiale un bien de consommation intermédiaire incontournable et recouru en termes de fabrication et de mise en servicede nombreux biens de consommation finaux.

Comme évoqué précédemment, c’est également dans les sous-sols iraniens que se situent plus de 20% des réserves mondiales : détenir une main-mise sur cette forte quantité de ressource fossile conduit à influer considérablement sur l’économie mondiale, ce qui explique ainsi l’obsession de toute puissance rationnelle à en avoir le contrôle.

À l’inverse des pétro-monarchies du Golf, l’Iran persiste toutefois à refuser toute main-mise occidentale sur ses ressources pétrolières ainsi que le système de pétrodollar visant à commercialiser son pétrole en dollar américain, devise monétaire des États-Unis permettant à ces derniers d’influer méliorativement ou péjorativement sur les cours de l’or noir en fonction de leurs propresintérêts.

Par la part considérable de réserve d’or noir que l’Iran abrite dans ses sols, la volonté de la République Islamique d’émancipation de toute main-mise occidentale sur ses richesses ainsi que son rejet du système de pétrodollars tendent à nuire au degré de suprématie des États-Unis par l’alternative qu’elle représente notamment pour des puissances émergentes et ainsi concurrentes de Washington tel que l’Empire du Milieu : en effet, une commercialisation de toute réserve de pétrole à l’échelle planétaire aurait permis aux États-Unis d’influer sur la santé économique de leur puissant rival chinois dont l’Iran constitue une des seule bouffée d’oxygène disponible en terme d’approvisionnement en or noir vendu autrement qu’en dollar américain.

La maisonblanche voit ainsi une nécessitéà contrecarrer les ambitions émancipatrices de Téhéran par le soutien destiné aux diverses factions d’opposition au régime des mollahs ainsi qu’à travers des sanctions économiques renforcées la ciblant elle ainsi que ses alliés les plus proches.

 

Les stratégies d’auto-sauvegarde recourues par Téhéran

Craignant un renversement quasi-similaire à celui du nationaliste Mossadegh en 1953,Téhéran opte comme évoqué brièvement ci-dessus, pour une stratégie de renaissance d’Empire pour ainsi dire de montée en suprématie à des fins auto-protectrices face aux Américains qu’elle perçoitcomme une menacepotentielle.

L’Iran se situe parmi les 15 pays dont les dépenses militaires demeurent les plus considérables sans tenir compte de celles placées dans son programme de développement d’armes nucléaires que le Shah avait suspendu durant la fin des années 1960.

Aussi, le régime des mollahs s’appuie sur une instrumentalisation de l’Islam tout comme la Turquie depuis l’arrivée au pouvoir d’Erdogan mais surtout l’Arabie Saoudite avec qui elle se dispute le leadership du vaste monde musulman dans une opération de séduction le visant. Par ailleurs et toujours dans le même cadre, Téhéran voit en Israël un bouc émissaire utile qu’elle ne souhaite ainsi non pas intégralement annihiler mais tout simplement impacter psychologiquement.

Cette stratégie semble porter ses fruits par l’influence qu’elle tend par exemple à gagner en Afrique du Sud où le petit-fils de Nelson Mandela s’est récemment montré séduit par les engagements révolutionnaires de l’Ayatollah Khomeini et de ses successeurs.

Au Liban et en Irak ou encore au sein de l’opinion publique de pays d’Asie du Sud-Est, l’Iran est perçue comme le dernier grand défenseur de la cause palestinienne.

Enfin, toujours dans un objectif de grimpée en suprématie, l’Iran s’engage dans diverses interventions étrangères au sein de régions classées parmi les plus stratégiques de la planète tel que le détroit de Bab El-Mandeb, lieu de passage des navires commerciaux reliant l’Europe à l’Asie. Quiconque maintient une présence sur les rives de ce détroit entre dans la court des grands et gagne ainsi en degré de puissance, ce qui explique ainsi l’existence de bases militaires américaines, chinoises, indiennes, françaises et italiennes à Djibouti… mais parce que Djibouti ne souhaite guère irriter ses alliés occidentaux en accueillant une présence iranienne sur son sol, Téhéran mise ainsi sur le Yémen voisin etplus spécifiquement sur l’Ouest du pays soit une porte ouverte sur le détroit convoité et sous contrôle des Houthis chiites que le pouvoir iranien soutient.

 

L’ambiguïté des relations occidentalo-iraniennes

Bien que globalement tumultueux, les liens contemporains entre l’Iran et l’Occident caractérisés par des rapports de force sont relativisés par des points bénéfiques que peut tirer l’Ouest des stratégies provocatrices de Téhéran citées précédemment : l’Iran chiite et l’Arabie Saoudite sunnite se disputent le leadership islamique et régionale, puis parce qu’il est question de deux puissances géographiquement proches, elles tendent à seconsidérer mutuellement comme de potentiels dangers. La montée en suprématie de l’un contribue automatiquement à la chute de l’autre : la prolifération nucléaire de l’Iran ainsi que la présence de ses supplétifs au Yémen incite l’Arabie Saoudite et ses satellites du Golf à signer des contrats d’achats d’armement avec les États-Unis et la France estimés à plus de 5 milliards de dollars américains.

La courtedurée, en raisondu retrait américain,des accords de Vienne de 2015 prévoyantune limitation du programme nucléaire de Téhéran en échange d’une levée partielle des sanctions reflète parfaitement le cadre bénéfique à long terme que chacun tend à profiter de la situationcourante.

Concernant l’Europe, celle-ci œuvre à soigneret équilibrer ses relations avec Téhéran dans le cadre d’une politique multi-vectorielle d’émancipation de la domination américaine mais aussi russe en termes d’approvisionnement en gaz, celui-ci s’étant accentué depuis le commencement de la guerre en Ukraine.

 

Le récent apaisement irano-saoudien ou l’angoisse saoudienne face aux muscles dissuasifs de Téhéran

Le degré de Hard-Power iranien a récemment incité Riyad à se soumettre aux intérêts sécuritaires de Téhéran ayant menacé les pays du Golf de frappes en cas de pacte avec Israël quant au survol de ses missiles via leurs espaces aériens que Tel-Aviv tentait d’emprunter en vue d’anéantir diverses installations nucléaires implantées sur le sol iranien.

La Chine alors matériellement dépendante de la sauvegarde du pouvoir des mollahs et de son rejet du pétrodollar fut la première puissance à avoir encouragé ce processus au printemps 2023, d’autant qu’elle tient la place de premier partenaire économique des pays du Golf depuis l’année 2020. 

 

Ainsi, la prolifération nucléaire iranienne ainsi que les divers profits que les puissances occidentales tirent partiellement en tenant compte des fruits portés par l’instrumentalisation de l’islam politique par le pouvoir des mollahs à des fins d’extension du nouvel Empire Perse au sein du large monde musulman et non-aligné, sans  écarter les politiques pétro-souverainistes recourues par l’Iran faisant d’elle la première source d’alimentation en hydrocarbure de la puissance chinoise ayant encouragé une récente entente entre Riyad et Téhéran sortie vainqueur tendent à placer le pouvoir iranien sur une lignée indéfectible à long terme, le tout laissant supposer que les fantasmes des entités adverses aux autoritésiraniennes ne risquentpas d’aboutir de sitôt.