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La présence de l'Iran en Afrique est-elle avant tout une question idéologique ?

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Pour sa première tournée en Afrique, le président iranien, Ebrahim Raïssi, s’est rendu en juillet 2023, tour à tour au Kenya, en Ouganda et au Zimbabwe. Il s’agissait de la première tournée sur le Continent pour un président iranien depuis onze ans.

 

Par ces visites, au-delà des relations politiques et économiques de son pays avec le continent, Ebrahim Raïssi, il avait trois objectifs principaux à atteindre : 

D’abord, contourner les sanctions américaines à un moment d'impasse dans les pourparlers nucléaires avec Washington. 

Deuxièmement, le chef de l’État iranien souhaitait étendre l'influence idéologique iranienne sur le continent africain et obtenir un soutien politique pour les positions iraniennes dans les organisations internationales. 

Enfin, ces visites visaient à démontrer que la faction conservatrice au sein de l'establishment iranien se concentre sur le renforcement des liens avec des pays non alignés.

Dans cette perspective, Téhéran avait qualifié l’Afrique, selon les propos du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Nasser Kanani, rapportés par le média panarabe, de “continent d’opportunités”. En 2022, l’Iran avait exporté pour 1,2 milliard de dollars de biens et de services vers l’Afrique. Un chiffre jugé “pas assez élevé” et qui demande donc à être rehaussé.

 

L’urgence de rattraper son retard

C’est ainsi qu’Alireza Peyman Pak, ancien directeur de l'Organisation de promotion du commerce de l'Iran et actuel responsable au ministère de l'Agriculture, a déclaré à la télévision d'État en juillet 2023 que l'Iran avait "négligé" les opportunités en Afrique au cours des dernières années, alors que la Chine et plusieurs voisins de Téhéran, dont la Turquie et les Émirats arabes unis, renforcent leur présence sur le Continent.

Alireza Peyman Pak a indiqué que l'Iran avait exporté en 2022 des biens et services d'une valeur de 1,2 milliard de dollars vers l'Afrique, y compris des produits pétrochimiques, de la nourriture, des médicaments, ainsi que des services d'ingénierie et techniques. Il a ajouté que le montant n'était toujours pas assez élevé, bien qu'il représente une amélioration par rapport aux années récentes.

« Un dollar africain vaut autant qu'un dollar européen. Les intérêts sont les mêmes. L'économie mondiale exige que nous saisissions toutes les opportunités à l'échelle internationale et améliorions nos revenus en devises étrangères », a-t-il lancé, ajoutant que l'Iran pourrait également échanger des biens avec des pays africains dans des circonstances où les systèmes bancaires sont faibles ou les sanctions posent des défis, indique Aljazeera

Dans cette perspective, l’agence de presse iranienne MEHR détaille les opportunités que peut offrir l’Afrique, rappelant que ce continent dispose de 12 % des réserves mondiales de pétrole et de 8 % de celles de gaz naturel.

Pour sa part, Press TV vante un continent qui abrite « 30 % des réserves minérales mondiales, dont 40 % de l’or mondial et jusqu’à 90 % de son chrome et de son platine. Les plus grandes réserves de cobalt, de diamants, de platine et d’uranium se trouvent en Afrique, qui détient également 65 % des terres arables du monde et 10 % des réserves d’eau douce renouvelables internes de la planète ».

Chemin faisant, la chaîne iranienne destinée à l’international note que l’Iran est moins éloigné de l’Afrique qu’il ne l’est de la Chine, une relative proximité géographique qui a permis dans le passé à des marchands perses de s’installer et faire souche sur l’île de Zanzibar, en Tanzanie… indique Courrier International.

Selon l’agence iranienne MEHR, les trois pays visités n’ont pas été choisis au hasard, chacun offrant des perspectives économiques ou commerciales. 

De fait, le Zimbabwe dispose “de mines et de ressources naturelles” qui sont autant d’opportunités d’échanges commerciaux. 

Pour ce qui est du Kenya, sa position géographique lui donne accès à l’océan indien, ce qui ferait de lui un partenaire idéal de l’Iran et un lien entre ce dernier et les pays africains. Enfin, l’Ouganda offre les mêmes avantages que le Kenya, tout en étant l’un des pays source du Nil.

Ce déplacement officiel doit aussi être replacé dans le désir iranien d’élargir son champ d’influence à de potentiels alliés. Une stratégie qui s’est accélérée, note Al-Jazeera, depuis que les États-Unis ont unilatéralement abandonné l’accord nucléaire avec l’Iran en 2018. (JCPoA), Téhéran cherche à diversifier ses relations. Quoiqu’il en soit les sanctions contre l’Iran restent un problème sinon un obstacle.

De même, cette volonté iranienne de sortir de sa zone habituelle d’influence, cantonnée au Moyen-Orient, n’a pas manqué d’alerter les États-Unis.

Le think tank américain The Atlantic Council, sous la plume de Danny Citrinowicz,  met ainsi en garde, dans une note publiée en mai 2023, contre “l’influence croissante de l’Iran sur le continent ”et avertit de la “nécessité” pour les États-Unis d’adopter “une politique qui limitera la liberté d’action de Téhéran en Afrique”.

« Pour les Iraniens, l’Afrique fait figure de ‘champ de bataille’ leur permettant d’affirmer leur autorité et leur emprise territoriale face à l’Arabie saoudite. Téhéran cherche également à contrecarrer l’influence occidentale sur le continent – notamment celle des États-Unis –, avec une approche anticolonialiste et en essayant d’ouvrir la voie à plus d’indépendance ».

Téhéran pourrait également utiliser son réseau mondial d’organisations religieuses et culturelles comme levier d’influence sur les quelques minorités chiites en Afrique.

Pour mémoire, le Sommet économique Iran-Afrique de l'Ouest à Téhéran, qui s'est tenu le 7 mars 2023. L’Iran cherche en effet à renforcer ses relations avec les pays africains et à renforcer sa présence, en particulier dans l'ouest du continent.

Ce sommet s’est inscrit du reste dans la vision du président Ebrahim Raïssi quant aux relations entre les pays d'Afrique de l'Ouest et l'Iran, qui a été mise en avant lors de sa visite en Guinée-Bissau en août 2021. 

A bien des égards, cette activité ressemble à la politique du président Mahmoud Ahmadinejad en Afrique, qui cherchait à réchauffer les relations avec le Continent.

Outre les intérêts traditionnels de l'Iran en Afrique, de nombreux éléments géopolitiques militent pour autant pour que le réchauffement des relations avec le Continent soit freiné. 

 A ce titre, on soulignera volontiers, en premier lieu, la campagne que Téhéran mène contre les alliés américains en Afrique…Sachant que l’Oncle Sam a osé participer aux efforts de normalisation avec Israël, en particulier avec le Soudan et le Maroc. 

Pour atteindre cet objectif, l'Iran a renforcé ses liens militaires et diplomatiques avec Alger et a augmenté l'aide militaire au Front Polisario au Sahara occidental. 

Cet effort a du reste amélioré la capacité du front à infliger des dommages graves à l'armée marocaine et à contester le contrôle marocain sur le territoire. 

L'Iran s’intéresse par ailleurs, activement à la Mauritanie qu’il considère comme une zone prioritaire pour ses plans d'influence dans la région du Sahara, ce qui est extrêmement important pour la sécurité marocaine.

S’agissant du Soudan, la tentative de l'Iran de renforcer son influence dans la Corne de l'Afrique, si stratégique à bien des égards, a bel et bien échoué après l'adhésion de Khartoum aux Accords d'Abraham. 

Pour infléchir cette tendance bien infructueuse, l'Iran accuse Israël de causer une instabilité politique dans les affaires intérieures du Soudan. 

De plus, Téhéran ne ménage pas ses efforts quant à la propagation de sa doctrine chiite dans le pays tout en conspirant coûte que coûte, pour créer un vide politique au Soudan qui affaiblirait les forces ayant accepté de signer un accord de normalisation avec Israël.

Par ses actions, Téhéran tend à montrer qu'il y a assurément un prix à payer pour rejoindre les Accords d'Abraham et qu'il peut constituer une menace directe ou indirecte pour le Soudan et le Maroc.

L'Iran mène à ce titre une puissante campagne politique pour empêcher Israël de conforter ses relations avec d'autres pays africains et d'améliorer sa présence diplomatique dans diverses institutions africaines, à l’instar de l'Union africaine.

En plus du réseau illégal de contrebande d'armes que l'Iran a réussi à tisser dans la Corne de l'Afrique - lui permettant de faire passer des armes aux pays du Continent - Téhéran, a semble-t-il prévu aussi d'augmenter de manière significative ses ventes de drones vers le continent africain. 

Du reste, des preuves sont tangibles quant à l'implication de l'Iran dans la guerre civile en Éthiopie et la vente de drones Mohajer-6Il s’agit de drones de renseignement, surveillance, ciblage et acquisition de renseignements (ISTAR) iranien à moteur unique capable de transporter une charge utile de surveillance multispectrale et/ou jusqu'à quatre munitions guidées de précision - à l'armée éthiopienne.

Dans ce contexte, l'Afrique est bien un continent naturel susceptible de combler les désirs de l’Iran, sans parler du transfert de ces capacités au Front Polisario.

Enfin, il est nécessaire de prêter une attention toute particulière aux complots éventuels ou révélés dans plusieurs pays africains après l'assassinat du commandant de la Force Qods, Qasem Soleimani, en janvier 2020, le complot déjoué visant à assassiner l'ambassadeur américain en Afrique du Sud étant le plus notable. 

C’est ainsi que plusieurs plans ont été découverts dans lesquels l'Iran cherchait à nuire aux intérêts américains ou israéliens en Afrique ou à utiliser sa présence sur le Continent pour recruter des terroristes…

On l’aura compris, la présence de l'Iran en Afrique est bel et bien une question idéologique, économique et de sécurité. 

En effet, dans la vision de l'élite politique révolutionnaire iranienne depuis 1979, les relations avec les pays du Sud global doivent être comprises non seulement dans le cadre du principe idéologique khomeiniste d'anti-impérialisme, mais aussi dans le contexte de l'exportation du modèle politico-religieux iranien. 

Cette ambition nécessite une ingérence dans les affaires internes des États africains pour mener des activités missionnaires, mais aussi pour construire des réseaux d'acteurs non étatiques, tels que des acteurs religieux, des associations culturelles, des sociétés écrans et des réseaux de drogue.

A terme, il s’agit d'affirmer sa puissance en Afrique est de cibler les "ennemis" de l'Iran, y compris les rivaux régionaux et les adversaires mondiaux, en particulier les États-Unis. 

Enfin, on l’a dit et chacun aura noté, la visite d’Ebrahim Raïssi de juillet 2023 en Afrique consistait à la recherche de nouveaux marchés pour les exportations militaires iraniennes, telles que les drones et les systèmes d'armes peu sophistiqués.

De fait, la diplomatie persane a fixé des objectifs bien trop ambitieux pour la coopération mutuelle entre l'Iran et l'Afrique. Étant entendu que des difficultés apparaissent dans la réalisation de projets de coopération économique, et des tensions surviennent souvent quant aux activités idéologiques et sécuritaires de l'Iran sur le continent africain.