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Renseignement - Défense - Terrorisme

Grand entretien exclusif pour Le Dialogue avec Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) [ 1 - 2 ]

Le Dialogue

Ancien chef du service de renseignement de sécurité de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Alain Chouet a publié en 2022 un ouvrage incontournable intitulé « Sept pas vers l’enfer », dans lequel il fait le bilan de plusieurs décennies d’aveuglement et de dénis des autorités françaises successives à propos de l’islam politique et des erreurs d’analyses et de politiques de ces dernières vis-à-vis du monde arabe dont il est, lui, un fin connaisseur. 

Cet entretien exclusif accordé au Dialogue sera composé en deux volets. Cette semaine, dans cette première partie, nous évoquerons son dernier livre où il y dépeint le profond malaise d’une société française confrontée au séparatisme et à la violence fondamentaliste. Et la semaine prochaine, nous aborderons avec l’ancien espion, spécialiste des problèmes de sécurité et de terrorisme, l’actualité mondiale, du Moyen-Orient et la guerre en Ukraine.

 

Le Dialogue : Dans votre livre vous écrivez : « Quarante années d’aveuglement, d’ignorance, de lâcheté et de “bien-pensance“ ont progressivement conduit la France aux limites de la rupture du pacte républicain ». Ainsi, la France compterait aujourd’hui 1514 quartiers de non-droit, interdits d’accès aux forces de sécurité, aux services des secours, aux services médicaux et sociaux. 1514 quartiers établis sur 859 communes, et regroupant 4 millions d’habitants, soit 6% de la population de l’Hexagone. Comment et pourquoi en est-on arrivé là ?

Alain Chouet : La réponse est dans votre question : aveuglement, ignorance, lâcheté, bien-pensance. Et surtout arrogance. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres à l’international, les Occidentaux (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest et du Nord) sont collectivement si intimement persuadés de la supériorité de leurs schémas culturels, de leurs valeurs morales, de leur modèle politique, social et philosophique qu’il leur paraît inconcevable que les « autres » n’y adhèrent pas avec enthousiasme. S’ils ne le font pas c’est soit par ignorance, soit parce qu’ils en sont empêchés par des potentats locaux crispés sur leurs privilèges.

Dans ce second cas, il convient d’éliminer ces satrapes soit par des manipulations politiques et économiques, soit par la force brutale en mettant en œuvre la supériorité militaire et technologique de l’Occident. On en revient là, en fait, aux schémas les plus traditionnels de la politique de la canonnière mise en œuvre par les puissances coloniales au XIXe siècle. C’est du pur néo-colonialisme inspiré de la stratégie « du sabre et du goupillon ». On élimine les roitelets locaux qui ne nous plaisent pas puis on essaye de convertir les « bons sauvages » aux vertus de la démocratie élective et de l’économie mondialisée qui ont remplacé la vraie foi véhiculée jadis par les missionnaires. On a pu constater les effets dévastateurs de cette stratégie en Somalie, en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, dans la bande sahélienne, etc.

Si c’est par ignorance que les « autres » n’adhèrent pas à nos valeurs, il faut alors les éduquer et les en convaincre par la douceur en se montrant le plus tolérant possible à l’égard de leurs déviances par rapport à nos modèles et en témoignant toute notre admiration pour leur passé, notre respect pour leurs « racines » et notre compassion pour les souffrances (souvent bien réelles) que nos aïeux ont fait subir à leurs aïeux. Toute cette compréhension et cette repentance sont supposées les amener progressivement à se détacher de leurs propres schémas pour adhérer aux nôtres. C’est en général parfaitement contre-productif puisqu’en exaltant leur « droit à la différence » présent et passé, on ne fait que les renvoyer à leur différence, à les y enraciner, à justifier leur rejet de nos modèles et valeurs. Et, en France, c’est particulièrement dans nos communautés immigrées originaires du Maghreb et du Sahel que ces effets délétères se manifestent de la façon la plus spectaculaire.

 

Ce séparatisme en France est-il subi ou volontaire ?

Traditionnellement, toutes les vagues d’immigration on tendance à se regrouper autour des premiers arrivants pour des raisons pratiques et de solidarité avant de se fondre peu à peu dans la société d’accueil pour des raisons professionnelles, sociales, matrimoniales, etc. Ce fut le cas en France au fil des deux siècles passés pour les Italiens, les Arméniens, les Polonais, les Espagnols, les Portugais, les Vietnamiens, etc. tous peu à peu dispersés et « fondus » dans la communauté nationale dès la deuxième ou troisième génération. Ce fut également le cas des premiers arrivants du Maghreb des années 1930 aux années 1950. 

Les choses ont basculé au cours de la décennie 1970. En 1975 la France a autorisé le regroupement familial autour de la main d’œuvre immigrée qu’elle avait fait venir du Maghreb pendant les « Trente glorieuses ». C’était le pire moment pour transformer une immigration de travail en immigration de peuplement puisque, suite au choc pétrolier de 1973, l’économie était entrée en récession. L’intégration massive de ces nouveaux arrivants s’est donc faite dans les pires conditions matérielles et morales, provoquant crispation et ressentiment. Ces sentiments ont été amplifiés à partir de 1978 par la politique de légitimation religieuse mise en œuvre par l’Arabie Saoudite confrontée au double défi de la concurrence de l’Iran chiite post-révolutionnaire et des évolutions des aspirations laïcisantes et démocratiques dans le monde arabe et les communautés émigrées. L’Arabie, enrichie des pétrodollars a donc entrepris des manœuvres de contrôle de l’Islam mondial, en particulier par l’action de leurs « ennemis complémentaires » que sont les Frères Musulmans, pour encourager l’adhésion des musulmans au courant salafo-wahhabite et les dissuader de toute dérive vers les valeurs individualistes et démocratiques des sociétés d’accueil européennes. Le cocktail d’une immigration mal maîtrisée et d’une crispation fondamentaliste des nouveaux arrivants s’est révélé explosif. Il a contribué à la création de ghettos territoriaux et culturels.

 

Justement dans cette « ghettoïsation », quel est l’importance et quel rôle joue finalement le fondamentalisme islamiste ? Les Frères musulmans et les salafistes sont-ils aussi présents et influents que certains le disent dans certaines mosquées et certains quartiers ? Et si oui, quels sont leurs rapports avec les caïds de la drogue, de plus en plus puissants et violents ?

La « ghettoïsation » que vous évoquez a été autant voulue que subie et, en tout cas, n’a pas été gérée. Confrontés à une situation économique dégradée qui les contraignait au chômage ou aux emplois précaires, peu considérés et peu rémunérés, les nouveaux arrivants se sont d’abord installés dans des zones de la périphérie des grandes villes où un immobilier bon marché était traditionnellement dévolu aux catégories sociales les moins favorisées. Le fossé culturel et les différences de pratiques de vie entre les nouveaux venus et les résidents d’origine ont rapidement provoqué la fuite de ces derniers, terrorisés de plus par l’agressivité de ces jeunes qui confondent le respect auquel ils aspirent avec la peur qu’ils inspirent. Cette désertion a entraîné une « homogénéisation » communautaire de ces quartiers.

Et le contexte économique ne s’améliorant pas, ces populations ont été assez rapidement assujetties au système de transferts sociaux et d’assistanat élaboré en France après la seconde guerre mondiale. Pour modestes qu’ils soient, ces transferts sociaux ont été vite perçus par les plus anciens et les familles comme une forme de rente bienvenue, inconnue dans leurs pays d’origine et permettant de vivre de façon à peu près sûre la vie frugale à laquelle ils étaient habitués. Pour nombre des plus jeunes en revanche, le compte n’y était pas et il fallait compléter cette rente par des revenus plus conséquents et plus rapides. « L’ascenseur social » interne fourni par le système français d’éducation étant alors plus ou moins en panne et, en tout cas, d’une extrême lenteur, il fallait trouver quelque chose de plus fructueux et plus rapide. Dans un contexte de culture de rente le seul moyen d’obtenir des rentrées rapides et conséquentes ne peut s’analyser qu’en activités illégales : vol, racket, pillage, trafics, etc. C’est un cocktail de ces activités qui a été retenu, en particulier les trafics, l’un des pays d’origine de l’immigration maghrébine pratiquant la monoculture du haschich sur de larges portions de son territoire, activité favorable à la constitution de réseaux d’approvisionnement transméditerranéens.

Le problème du trafic de drogue est qu’il faut disposer d’un territoire étroitement contrôlé pour la réceptionner, la stocker et la distribuer. D’où la constitution de « territoires » réservés au sein de certains quartiers majoritairement peuplés de coreligionnaires plus ou moins favorables ou résignés, évidemment interdits d’accès aux bandes rivales et concurrentes et soustraits par tous les moyens au contrôle et aux interventions des représentants de la puissance publique collective : police bien sûr, mais aussi services de secours, services médicaux et sociaux, services fiscaux, etc. Un tel contrôle du terrain ne peut s’exercer que manu militari selon des techniques de type guerrier incluant des opérations de surveillance et de reconnaissance complétées si besoin est par l’usage des armes allant du lance pierres au lance roquettes en passant par les mortiers d’artifice et les fusils d’assaut.

C’est sur ce séparatisme socio-mafieux qu’est venu se greffer à partir des années 80 un séparatisme culturel et religieux induit par l’activisme fondamentaliste de certaines pétromonarchies moyen-orientales. Et cet activisme a essentiellement été mis en oeuvre en France et en Europe par l’Association des Frères Musulmans, seule organisation fondamentaliste islamique transnationale bien organisée susceptible de relayer sur le terrain la stratégie réactionnaire et conservatrice des pétromonarchies wahhabites qui ne disposaient pas des moyens humains pour le faire.

 

En France, il y a un virulent débat entre spécialistes et chercheurs qui s’opposent sur le fait de l’islamisation de la radicalité ou au contraire, de la radicalisation de l’islam. Qu’en pensez-vous ? D’où vient pour vous cette radicalité religieuse en France et ailleurs ?

Je n’entrerai pas dans ces querelles d’école franco-françaises, d’ailleurs largement surévaluées, qui mettent aux prises les egos de certains universitaires par ailleurs parfaitement compétents et respectables. Une chose est certaine : la lecture et l’interprétation fondamentaliste néo-hanbalite de l’Islam par les salafo-wahhabites et les Frères Musulmans ne concernait qu’environ 2% du monde musulman jusqu’au milieu du XXe siècle. Il en concerne aujourd’hui plus de 30%, voire plus dans les communautés émigrées. Le problème est donc global et pas réservé aux musulmans de France.

L’Islam de France ignorait jusqu’à l’existence du mot « salafisme » avant les années 80. Si certains ont adopté d’enthousiasme ce concept fondamentaliste séparatiste, c’est surtout parce qu’il confortait leur volonté d’isolement géographique et social indispensable à leurs activités frauduleuses. Mais si le fondamentalisme séparatiste conforte l’exclusion, la rupture et l’opposition violente avec la société d’accueil, il n’en est pas le moteur exclusif. Comme le notait le juge antiterroriste Marc Trévidic : « Tous ces jeunes entendus dans mon bureau seraient passés à la violence, fondamentalisme djihadiste ou pas… »

 

Al-Qaïda, Daesh et les Frères musulmans ont la même matrice idéologique. Ce sont juste les méthodes qui diffèrent. Alors au final, les Frères musulmans ne sont-ils pas plus dangereux ? Et pourquoi, alors que cette organisation est aujourd’hui marginalisée voire interdite dans certains pays arabes, un seul pays en Europe, l’Autriche, a décidé, après les attentats de Viennes en 2020, a décidé d’inscrire cette confrérie politico-religieuse sur sa liste des organisations terroristes ? Pourquoi la France, alors que le problème est bien connu, tergiverse encore ?

Al-Qaïda et Daesh (dont tous les grands ténors à l’exception de Ben Laden sont issus des rangs des Frères Musulmans) sont effectivement des factions salafistes comme le sont les wahhabites, les tablighis pakistanais et les Frères. Si les Frères Musulmans apparaissent au final plus dangereux que les autres c’est parce qu’ils maîtrisent parfaitement à la fois les codes culturels susceptibles de séduire les esprits faibles au sein des communautés musulmanes émigrées…. Mais aussi les codes culturels susceptibles de les rendre séduisants aux yeux des esprits faibles et ignorants des intelligentsia européennes. Faut-il rappeler qu’en France, ce sont des partis de gauche, des associations de chrétiens sociaux et certaines organisations laïcisantes qui ont introduit des gens comme Tareq Ramadan sur les plateaux télé et qui, abusés par le double discours des Frères, ont cru voir dans leur Association une sorte de parti islamo-démocrate comparable à nos partis démocrates chrétiens ? C’est sur cette erreur d’appréciation que les Frères ont pu bâtir leur activisme et leur audience en Europe avec toute l’habileté à se faire défendre par ceux qu’ils attaquaient… Nous ne sommes globalement pas sortis de cette contradiction qui contraindrait nos cercles dits « bien-pensants » à admettre qu’ils se sont trompés pendant quarante ans. Tous ceux – journalistes, universitaires, sociologues - qui ont voulu analyser scientifiquement l’activité des Frères en France et en Europe (comme récemment l’experte du CNRS Florence Bergeaud-Blackler) ont fait la cruelle expérience de la mise à l’index, de l’accusation de racisme, d’islamophobie, voire même de « nazisme », non pas par les Frères eux-mêmes qui n’ont même pas besoin de lever le petit doigt, mais par leurs propres collègues et toute une intelligentsia « bien pensante » qui estime qu’appeler un chat un chat stigmatise le malheureux félin…

 

Dans votre livre, vous évoquez des décennies d’ignorance, d’hypocrisie, de faiblesse voire d’« aplaventrisme » de la part des autorités françaises dans la lutte contre l’islamisme et surtout la politique à tenir vis-à-vis de certains pays comme la Turquie d’Erdogan ou le Qatar qui continuent à soutenir les Frères musulmans ou leurs associations en France. Pourquoi cette « mansuétude » envers ces pays ?

L’horizon politique des responsables dans les pays démocratiques est de quatre ou cinq ans, voire parfois moins. Les phénomènes de séparatisme islamique, de déviances sociétales et de violence djihadiste sont des phénomènes multifactoriels complexes qui, faute d’avoir été traités en temps voulu, ont pris maintenant une dimension générationnelle et qu’il faudra au moins une trentaine d’années pour apaiser. Entre cette tâche herculéenne au long cours sans résultat visible rapide et les bénéfices financiers, économiques, politiques et diplomatiques immédiats que nos dirigeants peuvent espérer tirer de leur complaisance à l’égard des pays riches ou puissants qui soutiennent le fondamentalisme, le choix est vite fait. Il faudra sans doute évaluer un jour ce que cette complaisance nous a collectivement coûté et ce qu’elle nous a rapporté….

 

Les terribles attentats qui ont touché le pays (et l’Europe) à partir de 2015 semblent déjà oubliés et les attaques aux couteaux encore quasi quotidiennes occultées ou minorées. Qu’en est-il aujourd’hui de la menace terroriste islamiste ? Un nouvel attentat de masse est-il toujours possible en France aujourd’hui ? 

La rémanence de l’information et de son impact émotionnel dans nos sociétés occidentales est d’environ 90 jours. C’est ce qu’ont bien compris tous les terroristes de tout poil. Inutile de se fatiguer dans des actions quotidiennes. Un attentat spectaculaire tous les trois mois suffit à maintenir la pression subversive. En ce qui concerne la violence islamiste, elle atteint actuellement un niveau d’étiage parce que depuis le milieu des années 2010 les pétromonarchies wahhabites ont commencé à changer de stratégie et à mesurer leur soutien à la Confrérie et à ses sous-ensembles violents aussi bien dans le monde musulman qu’en Occident. C’est d’ailleurs ce qui avait poussé l’Etat islamique de Baghdadi, privé de la manne saoudienne, à sortir de son réduit du nord de l’Irak en 2013 pour se constituer un territoire de prédation et maintenir son niveau de ressources. C’est une territorialisation qui a fini par lui coûter cher puisque, contrairement à Al-Qaïda, on savait désormais où le trouver et le frapper.

Il n’empêche que la culture de la violence a été durablement implantée et magnifiée dans la tête de toute une génération d’esprits faibles ou vulnérables et que nous sommes entrés dans une longue séquence d’attaques de basse intensité parfaitement imprévisibles opérées avec des moyens rudimentaires par des individus isolés agissant sans instruction particulière ni tactique définie au détour d’une déviance psychologique. Il va falloir vivre avec car ce type de dérive durera autant que la matrice salafo-wahhabite qui l’inspire existera.

Quant aux attentats de masse, l’expérience quotidienne de la vie aux Etats-Unis nous indique qu’ils sont toujours possibles, partout, sous tous les prétextes et ne sont pas réservés à la seule expression de la violence fondamentaliste. Pour l’instant, cette violence ne reçoit plus de certaines puissances d’État les soutiens idéologiques et financiers nécessaires à son expression « massive ». Cela peut évidemment changer en fonction du contexte international.

 

Certains observateurs évoquent le fait que la France est sur un volcan. Que la situation socio-économique du pays et les tensions communautaires rappellent les sombres périodes pré-révolutionnaires ou pré-conflictuelles. D’autres, et non des moindres, comme l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb et même l’ancien président Hollande ou encore l’ancien patron de la DGSI, Patrick Calvar en 2016, ont évoqué le risque d’une guerre civile ! Sensationnalisme, fantasme ou scénario probable ?

Il est aujourd’hui admis par tous les observateurs qu’environ 6% de la population française vit dans des territoires soustraits à l’autorité de l’État et de l’ordre public, livrés au contrôle de bandes mafieuses dans un contexte d’économie délinquante. C’est évidemment inquiétant pour ceux qui résident dans ces territoires sans participer à la délinquance mais aussi pour ceux qui vivent autour et supportent de moins en moins bien cette situation.

Autant que j’aie pu le mesurer, le nombre des auteurs actifs des déviances séparatistes idéologiques, crapuleuses ou religieuses qui contrôlent ces quartiers n’est pas encore suffisant pour se traduire par des offensives d’extension et de conquête qui les amèneraient à une confrontation violente directe avec le reste de la communauté nationale. En revanche, il est suffisamment important pour inquiéter le reste de cette communauté nationale au point d’inciter certains à opérer des actions « préventives » violentes en dehors du cadre de l’action régalienne de l’État jugé défaillant face au problème.

Pour faire court, ce qui me paraît à ce stade le plus à craindre, c’est la constitution informelle de groupuscules « d’auto-défense » ou de milices privées susceptibles de se livrer à ce qu’on appelait jadis des « ratonnades » à l’encontre de quiconque ressemble de près ou de loin à ceux que l’on soupçonne de déviance.

 

Enfin, s’il n’est pas trop tard, quelles seraient, selon vous, les solutions sérieuses pour combattre réellement l’islamisme sur notre territoire, enrayer la fragmentation de la société française et éviter le pire ? 

Le problème du séparatisme islamiste et de ses conséquences est un problème multifactoriel profond incluant des considérations culturelles, éducatives, économiques, sociales, sécuritaires, sanitaires, diplomatiques, etc. Je n’ai ni la compétence ni, encore moins, la légitimité pour dire ce qui devrait être fait ou pas dans tous ces domaines.

On a vu que la menace de violence dérivant du séparatisme islamiste durera aussi longtemps que la matrice idéologique qui l’alimente existera. Il paraît donc opportun de réduire rapidement l’influence « frériste » en criminalisant l’Association des Frères Musulmans comme l’ont fait nombre de pays arabes, Égypte en tête (qui savent de quoi ils parlent et ne sont pas suspects « d’islamophobie »…) ou comme l’a fait récemment l’Autriche. De même il conviendrait de réexaminer nos relations diplomatiques avec les puissances d’État qui instrumentalisent le séparatisme islamique, voire le séparatisme communautaire tout court, à des fins de politique intérieure. Il ne s’agit pas de rompre avec eux mais de prendre toutes mesures pour les convaincre que cette instrumentalisation leur coûtera plus cher qu’elle ne leur rapporte.

Sur le plan intérieur, la France ne peut pas demeurer l’un des rares pays d’Europe ou des pans entiers du territoire national échappent à l’autorité régalienne de l’État et où se développent des circuits considérables d’économie délinquante assortis de véritables guerres pour le contrôle du territoire. Le problème est que la situation est à ce point dégradée qu’il faudra bien admettre que la « reconquête républicaine » des « quartiers perdus » ne pourra pas se faire dans le cadre législatif actuel – essentiellement individualiste - qui n’a jamais prévu ce genre de déviance collective de masse et qu’on ne pourra faire l’économie de contre-offensives probablement violentes.

Il faut sortir de la doxa bien pensante qui veut que la délinquance et la violence liées au séparatisme communautaire sont le produit de la pauvreté, de l’exclusion, de la marginalisation de certaines catégories de la population. Toutes les études sur la transition à la violence fondamentaliste et à la criminalité des « quartiers » montrent qu’elles ne sont pas corrélées à une catégorie sociale précise qu’on pourrait réintégrer à la normalité par un assistanat matériel massif et une grande tolérance morale. Les terroristes du 11 septembre étaient tous des fils de bonnes familles aisées. Ceux qui ont frappé la France en 2015 ou la Belgique peu après, étaient issus de milieux divers et pas toujours défavorisés. Les milliards engloutis depuis 30 ans dans les différentes « politique de la ville » pour améliorer l’habitat, l’environnement culturel, social et éducatif des « quartiers à problème » n’ont jamais contribué à l’amélioration d’une situation qui a au contraire continué à se dégrader.

Enfin le « vivre ensemble » et l’acceptation de l’autre s’apprennent dès le bac à sable et la maternelle. L’école de la République doit retrouver son rôle intégrateur, fédérateur et promotionnel à l’abri des pressions communautaristes et idéologiques d’où qu’elles viennent. Il serait nécessaire de sortir du diktat d’un « droit à la différence » prôné par la bien-pensance qui conforte, justifie et fige toutes les inégalités pour lui substituer un « droit à l’indifférence » plus respectueux des caractéristiques de chacun. C’est en effet en rebaptisant la « marche pour l’égalité des droits » de 1983 en « marche des Beurs » qu’une certaine intelligentsia parisienne poursuivant ses propres objectifs politiques a contribué à segmenter la population française en communautés différenciées et assignées à leur différence. Cela n’a pas créé le séparatisme islamiste mais cela lui a fourni un socle de légitimation pour ceux qui voulaient l’instrumentaliser.